Pendant des années, Catherine Frérrot a travaillé de 5 heures à 13 heures, puis de 17 heures à 22 h 30… « C’était compliqué avec les enfants à l’école : quand la maîtresse me proposait un rendez-vous, je partais au travail », raconte cette agente d’entretien, qui intervient dans des entreprises pour faire le ménage, ou « assurer la propreté », comme disent les employeurs du secteur. Compliqué aussi d’échanger avec les entreprises clientes, puisqu’elle ne croisait jamais personne ou presque, dans les bureaux qu’elle nettoyait. Mais aujourd’hui, elle est cheffe d’équipe chez ADC Net, une entreprise d’insertion qui a fait du travail en journée et en continu son cheval de bataille. « Nous n’avons qu’un seul salarié sur 310 qui travaille de nuit et il termine à 21 h 30 », précise ainsi Anne-Lise Lorcy, DRH et directrice générale adjointe de cette entreprise nantaise, qui assure l’entretien de bureaux, d’immeubles, de lieux culturels et d’espaces extérieurs à Nantes, Guérande et Saint-Nazaire. « Pour nous, le travail en journée et surtout, en continu* sont deux choses importantes : cela permet une meilleure conciliation des vies pour nos salariés, et du côté de nos clients, c’est un vrai engagement RSE que de nous suivre dans cette voie », dit-elle.

Les collectivités locales de l’ouest, métropole nantaise en tête, ont été pionnières sur le travail en journée dans le secteur de la propreté. En 2009, une première charte était signée dans la région. Depuis, plus de 2 200 agents en bénéficient, soit 30 % des salariés du secteur dans la région, selon les chiffres de la Fédération de la propreté. L’exemple nantais a ainsi fait des émules à Rennes, Brest, Caen… Avec un avantage pour les employeurs : le travail en journée et en continu, qui facilite l’accès au transport en commun et limite les frais de garde d’enfants, est un argument de recrutement. « La gestion des plannings est plus compliquée, mais cela améliore grandement notre attractivité », confirme Anne-Lise Lorcy. « Au niveau de la marque employeur et de la qualité de vie au travail des salariés, cela change tout. Nos salariés me disent : enfin, on est visible. Ils se sentent intégrés dans les entreprises clientes, où les salariés les appellent par leur prénom », note la DG, qui précise aussi qu’ADC Net propose également des cours de français pour attirer plus largement.

Dans les locaux de Nickel, filiale de BNP Paribas, au pied de la gare de Nantes, Catherine Frérrot intervient chaque jour avec deux ou trois collègues. Huit étages à nettoyer, soit 4 200 m². Et l’aspirateur côtoie les 350 collaborateurs, dont un bon nombre sont conseillers clients. « Il faut de la discrétion, travailler avec ses yeux et sa tête et s’adapter, résume-t-elle. Si un conseiller part en pause-café, on va en profiter pour faire son bureau, en revanche, s’il est au téléphone, on repasse plus tard. Mais on peut déjà vider sa poubelle. » Chez Nickel, elle a pour interlocutrice Laura Charreire, l’office manager. Pour cette dernière aussi, la propreté en journée a tout bon. « Je trouve ça normal de permettre à ces personnes de travailler en journée. Et c’est plus simple pour la communication, dit-elle. Au lieu d’un cahier de liaison, on peut expliquer directement une demande. C’est quand même moins froid ! » Elle se souvient d’ailleurs des matins où, alors qu’elle travaillait chez SFR Business et commençait sa journée à 8 heures, elle croisait les femmes de ménage sur le départ. « Je les voyais terminer leur travail, mais on ne se connaissait pas », regrette-t-elle.

En fait, dans la banque, pour des questions de sécurité, les locaux doivent être fermés la nuit et aucun prestataire ne peut intervenir sans que des salariés ne soient présents – ce qui rend donc obligatoire la propreté en journée. « Le ménage est un travail ingrat et chacun peut faire des efforts pour rendre la vie de ces salariés plus facile », poursuit Laura Charreire, qui rappelle régulièrement aux collaborateurs, et notamment aux nouveaux, le pourquoi de ce ménage en journée : pour la sécurité des locaux, mais surtout, pour permettre une vie personnelle à ces travailleurs. « Tout le monde comprend lorsqu’on explique, assure-t-elle. Et je dis aussi aux collaborateurs qu’ils doivent être coopératifs : s’ils veulent que leurs bureaux soient propres, ils se lèvent cinq minutes pour laisser aux agents d’entretien le temps de faire leur travail, sinon, qu’ils ne viennent pas se plaindre après », tranche-t-elle.

Louis et Laurène, deux analystes en conformité bancaire croisés à la pause-café, acquiescent. « Je ne trouve pas ça gênant. Et si cela peut leur offrir des horaires plus adaptés, c’est bien ainsi », déclare Laurène. « Cela fait aussi un interlude dans le travail, on dit bonjour, puis on travaille et eux aussi. Cela ne m’a jamais dérangé », ajoute Louis.

« Du fait qu’ils connaissent ceux qui nettoient, les salariés, dans les bureaux, ont tendance à être plus respectueux. Avec le travail en journée, la responsabilité est davantage partagée entre nous et nos clients », confirme Anne-Lise Lorcy, la DRH d’ADC Net. D’autant que « le matériel a également beaucoup évolué, enchaîne-t-elle. Nos fournisseurs proposent des aspirateurs moins bruyants, des produits plus discrets. » Enfin, « la notion de santé et sécurité au travail est mieux comprise et appliquée ces derniers temps, note la DRH. Et nos clients réalisent qu’ils peuvent aussi être porteurs de sens vis-à-vis des agents de propreté. »

La crise sanitaire a en effet renforcé l’intérêt pour certains sujets RSE et la DRH perçoit « une écoute différente » – même si parfois, elle se sent seule au milieu de ses homologues, réunis au sein de la Fédération de la propreté. « Nous avons une position différente de beaucoup d’entreprises classiques de la propreté, mais nous les remuons et nous faisons bouger les lignes et les habitudes », conclut-elle.