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Entretien : « Les salariés “survivants” convaincus seront vos relais de communication »

Le point sur | publié le : 03.10.2022 | N. T.

Maîtresse de conférences en gestion des ressources humaines à l’université Versailles-Saint-Quentin, Delphine François-Philip Boisserolles de Saint-Julien a étudié les « survivants » des plans de sauvegarde de l’emploi. Elle livre ses conseils.

Le nombre de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) a augmenté avec la crise sanitaire. Les entreprises continuent-elles à réduire leurs effectifs aujourd’hui ?

Sur 2020 et 2021, la Dares a comptabilisé respectivement 625 et 617 PSE. Aujourd’hui, le nombre de PSE diminue : 75 en fin d’année dernière, 57 sur le premier trimestre 2022. Nous observons les mêmes évolutions concernant les ruptures de contrat de travail. Cependant, les ruptures conventionnelles individuelles, qui représentent un autre indicateur, sont reparties à la hausse après la crise sanitaire. En 2021, 454 000 ruptures conventionnelles individuelles ont été homologuées, 6,1 % de plus qu’en 2020. Les entreprises semblent donc utiliser davantage de modalités de ruptures individuelles que collectives via le PSE, qui les oblige à suivre une procédure de validation très réglementée.

Quels sont les impacts psychologiques de ces réductions d’effectif sur les salariés qui restent ?

Ils éprouvent tout d’abord un sentiment d’injustice. D’une part, ils ont l’impression que la direction ou leur supérieur hiérarchique ne les ont pas suffisamment informés. D’autre part, ils peuvent ressentir une injustice procédurale, car un télescopage existe : l’entreprise veut aller très vite dans son PSE pour passer à autre chose, déployer son changement, mais le salarié à qui l’on propose des formations, une mobilité professionnelle, a besoin d’un temps long. Se rajoute un sentiment d’injustice distributive : typiquement, il a l’impression que les indemnités que ses collègues ont reçues sont insuffisantes ; on ne leur a pas assez proposé une reconversion professionnelle… De plus, les salariés éprouvent souvent un sentiment d’insécurité qui peut se transformer en stress. C’est une remise en cause tant personnelle que professionnelle, une réflexion sur leur avenir dans l’entreprise…

Comment ces salariés réagissent-ils face à leur employeur ?

Dans une première phase, vous avez une modification de l’implication organisationnelle des salariés. Leur lien avec l’entreprise est modifié. Ils se reconnaissent ou non dans les valeurs et les buts de l’entreprise, éprouvent ou non un sens du devoir d’y rester, en calculent le coût. Dans une deuxième phase, cela modifie leur engagement au travail et se traduit par une intention de quitter l’organisation physiquement ou de manière plus informelle en travaillant moins, par exemple. Au cours de mes recherches, j’ai démontré que nous pouvions déterminer des profils de réactions de ces salariés « survivants ». Les premiers sont convaincus de la nécessité du PSE, qui apparaît comme une opportunité d’évolution professionnelle. Ils approuvent la stratégie de l’entreprise et l’expriment. Les deuxièmes sont les salariés « survivants » soumis. Ils ne sont pas surpris du PSE, qui leur semblait inéluctable. Très souvent, ils seront moins impliqués dans leur travail et peuvent même devenir négligents : remettre au lendemain, arriver systématiquement en retard… La troisième catégorie correspond aux ambivalents. Ils ne savent pas si le PSE est un avantage ou un inconvénient pour eux ni pour l’entreprise. Lorsqu’ils pensent que c’est un avantage, ils ont une stratégie de loyauté, atteignent les objectifs fixés par leurs supérieurs, peuvent aussi exprimer leur adhésion. Lorsqu’ils trouvent qu’il y a trop d’inconvénients, ils sont moins engagés. C’est souvent un ping-pong entre ces deux attitudes. Dans mon étude, je dénombrais 30 % de convaincus, 30 % de soumis et 40 % d’ambivalents.

De quelle manière l’entreprise pourrait-elle remobiliser ces salariés restants ?

Il est nécessaire d’avoir une politique RH différenciée. Le cœur de cible au début est de s’appuyer sur les salariés « survivants » convaincus, car ils seront votre relais de communication. Il est très important de communiquer pour expliciter la stratégie. Cela permet de donner un sens au management que vous mettez en place, de créer une vision, des valeurs communes, qui peuvent être similaires aux précédentes, mais il faut les redonner. Les convaincus peuvent fédérer progressivement les ambivalents. Puis, les soumis peuvent être aspirés dans cette spirale positive et les émotions négatives disparaître petit à petit. Ce processus peut paraître lent aux entreprises, mais il est nécessaire à la reconstruction. Enfin, il faut de nouveaux projets pour redonner une dynamique à l’entreprise et faire en sorte qu’il y ait une résilience de l’organisation, mais aussi et surtout des salariés qui restent.

Auteur

  • N. T.