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Spécial diversité

Intégration : Salariés et réfugiés en binômes pour décrypter les codes de l’entreprise

Spécial diversité | publié le : 07.11.2022 | Lucie Tanneau

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Intégration : Salariés et réfugiés en binômes pour décrypter les codes de l’entreprise

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Pour les réfugiés, trouver du travail n’est pas simple. Outre les difficultés administratives, les habitudes et les valeurs ne sont pas forcément les mêmes que dans leur pays d’origine. Une association, Kodiko, leur propose de rencontrer des salariés bénévoles pour leur permettre de faire leurs premiers pas dans le monde du travail en France. Reportage au sein du groupe Vinci, à Tours.

Clara Isturiz, réfugiée vénézuélienne en France, a dépassé ses a priori sur les Français – grâce à Vincent Caillis… L’adjoint au chef de district Touraine-Poitou chez Vinci Autoroutes et l’ancienne esthéticienne et comptable dans son pays d’origine ne se seraient sans doute jamais rencontrés sans Kodiko. Créée en 2016, l’association forme des binômes salarié-réfugié pour échanger autour des codes (kodiko, en grec) de l’entreprise. « Cela permet de donner aux réfugiés des clés pour favoriser leur insertion, explique Lucie Mely, la chargée de communication de Kodiko. Du côté des salariés, le fait que leur entreprise signe le partenariat avec l’association et leur fournit l’occasion de faire du bénévolat sur leur temps de travail donne du sens à leur travail, ce qui est très recherché actuellement. »

L’association rencontre les réfugiés et leur propose un premier temps « intensif » de trois semaines, afin de faire un diagnostic de leurs besoins et de définir avec eux leur projet professionnel à partir de leurs compétences et de leurs expériences. Une rencontre d’une demi-journée permet ensuite à tous les réfugiés et salariés d’une même promotion de se rencontrer. Enfin, pendant six mois, les binômes formés se retrouveront environ une fois par semaine. « Ces tandems sont créés en fonction des métiers, des entreprises ou du parcours professionnel des réfugiés », explique Lucie Mely. Aujourd’hui, 20 entreprises sont engagées avec l’association en France et 330 binômes font partie de la promotion 2022, dans quatre villes (Tours, où l’association est née, Rennes, Paris et Strasbourg). Ainsi, Vincent Caillis et Clara Isturiz se rencontrent toutes les semaines à Chambray-lès-Tours, dans les locaux de Vinci Autoroutes ou parfois chez Clara. « Cela lui évite de se déplacer, puisqu’elle n’a pas de voiture », résume le collaborateur de Vinci. Il est d’ailleurs souvent question d’automobile pendant leurs rencontres… Car le projet principal de Clara, qui vient de débuter une formation à distance d’esthétique afin de valider son diplôme en France, est de passer le permis de conduire. Chaque semaine, Vincent l’aide donc à réviser son Code.

Être utile

« Lorsque j’ai décidé de m’engager avec Kodiko, je me suis d’abord demandé en quoi je pourrais être utile, se souvient-il. Les membres de l’association m’ont parlé d’aide à la rédaction de CV ou de lettres de motivation et de préparations aux entretiens. Je fais souvent des recrutements et j’ai pensé qu’en effet, c’était dans mes cordes. » Avant Clara, il a accompagné pendant six mois Abel, un réfugié soudanais. « Je lui ai appris à faire un CV et une lettre. Il vient d’un pays où les habitudes sont vraiment différentes. Je pense que je lui ai été utile. Aujourd’hui, il a trouvé un emploi chez Ikea et je suis réellement content pour lui. Je continue de le voir. Actuellement, sa femme est enceinte et l’on échange beaucoup sur le suivi de grossesse en France, très différent de ce qui se passe dans son pays… », poursuit Vincent Caillis. Quand, pour la première fois, il a rencontré Clara, dont le projet professionnel était déjà bien avancé, la question de son utilité lui est revenue. En fait, la révision du Code de la route leur convient à tous les deux. « Il me donne le sens de certains mots techniques », précise ainsi Clara avec son accent chantant. Autour d’un café, on sent que les deux coéquipiers ont appris à bien s’entendre et s’apprécier. Ils se prendront même par l’épaule au moment de la photo. « J’avais vraiment l’idée que les Français étaient très fermés, avoue Clara. Avec Vincent, je vois qu’il est très occupé dans son travail, mais qu’il prend quand même le temps de m’aider… » Quant à Vincent, il recommande à chacun de faire cette expérience. « Au niveau professionnel, cela m’apprend l’écoute, et au niveau personnel, cela répond à mon envie d’aider les autres », résume-t-il.

Changer le regard des recruteurs

Au sein du groupe Vinci, dont la Fondation Vinci pour la cité est partenaire de Kodiko, 117 salariés de plusieurs entités se sont engagés au cours des cinq dernières années. Anne-Flore Couronné, la responsable de la Fondation dans l’ouest de la France, est convaincue du bien-fondé du partenariat. « Cela permet à tous les salariés qui le souhaitent de s’engager dans des projets de bénévolat, alors même que combiner bénévolat et travail peut paraître difficile lorsqu’on est en activité professionnelle », argumente-t-elle. Dans un partenariat organisé, avec une association choisie et un cadre défini, l’engagement est facilité. « Cela renforce le sentiment d’appartenance au groupe, puisque les salariés comprennent que leur entreprise ne fait pas que du business et cela permet aussi de préparer les équipes, et notamment les recruteurs, à s’ouvrir à des profils différents en entreprise. Cela change le regard sur les personnes réfugiées ou sur des jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville ou sur d’autres candidats, car les échanges permettent de décloisonner », assure-t-elle.

Un point important au vu des difficultés de recrutement actuelles. Quelques belles histoires permettent ainsi de donner du contenu au discours visant à attirer de nouveaux candidats à l’embauche. De même que de nouveaux salariés volontaires.

Grandir humainement

À Tours, Yannick Santona vient ainsi de rejoindre l’association. Responsable des outils RH au sein de Vinci Énergie France, il souhaitait se lancer dans une aventure bénévole, mais sans savoir par où commencer… « Je n’ai jamais baigné dans ce milieu », reconnaît-il. En découvrant l’action de Kodiko, peu avant la crise Covid, il a décidé d’y participer, à Tours, où il vit. « C’était important pour moi de m’engager localement et je cherchais plutôt une rencontre individuelle, avec un tiers », poursuit-il. Depuis mai, il retrouve chaque semaine Eman, une réfugiée venue de Libye. Menacée dans son pays, elle ne peut donner son vrai nom ni courir le risque de se laisser prendre en photo. Elle se tourne aussi régulièrement vers Yannick Santona pour être rassurée. Professeure d’université en informatique, programmation de systèmes et travaux pratiques dans son pays, Eman ne peut pas avoir d’équivalence de son diplôme en France et projette de reprendre des études. « Mais s’inscrire dans une école ou une université française est très difficile », souligne d’emblée Yannick Santona. Le salarié l’aide donc dans ses démarches, pour trouver une formation, rédiger des dossiers, rencontrer des interlocuteurs à l’université de Tours… « Eman partage avec moi ses rêves et ses envies, cela va vraiment plus loin qu’une simple relecture de CV ou la création d’une page LinkedIn, dit-il. On parle de son mari, de ma femme, de nos enfants… » Ils se rencontrent d’ailleurs régulièrement au domicile du salarié. « La première fois, nous nous sommes vus dans un café, mais le niveau sonore rendait la conversation difficile en français pour Eman », se souvient-il. Depuis, autour d’un café ou d’un thé, les rencontres sont plus chaleureuses. Eman a aussi rencontré la femme de Yannick Santona, professeure de français à destination d’un public étranger… qui lui donne depuis un cours particulier en bonus ! « Ce qui est intéressant dans ce binôme, c’est l’aspect humain, la rencontre au-delà d’autres considérations, résume le salarié. Je suis là pour l’aider, je ne cherchais pas à grandir professionnellement avec cette action, mais plutôt humainement… » Ils ne connaissent ni l’un ni l’autre la date de fin officielle de leur collaboration. Leurs rendez-vous font désormais partie de leur semaine. Et même de leur week-end : avec d’autres membres de l’association, ils devraient aller voir l’équipe de hockey de Tours jouer son prochain match. Eman est curieuse « d’apprendre et de découvrir », dit-elle. Et pour Yannick Santona : « L’objectif, c’est Eman et son projet de vie ici. » Il n’hésite donc pas à lui proposer de découvrir différentes facettes de la culture française, en entreprise ou en dehors.

Auteur

  • Lucie Tanneau