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Sécurité : Prévenir les accidents du travail

Le point sur | publié le : 23.01.2023 | Lucie Tanneau

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Sécurité : Prévenir les accidents du travail

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L’Hexagone enregistre plus de 500 000 accidents du travail, parfois mortels, par an. Pis, les mesures de prévention actuelles ne permettent plus de faire reculer ce chiffre. Comment combattre ce fléau ? D’abord en sortant du silence. Et ensuite, en se penchant, pour les améliorer, sur les conditions de travail au niveau de chaque entreprise.

« Adrien Leparoux est mort le 14 octobre dernier sur un chantier dans l’agglomération d’Angers. Fauché par la flèche d’une grue qu’il installait. Audrey Adam, assistante sociale, est elle aussi morte au travail, le 12 mai 2021, dans l’Aube, tuée par un sexagénaire qu’elle accompagnait. Danish Ahmedi, réfugié afghan de 23 ans, est décédé à la suite de l’effondrement d’un mur, sur un chantier à Orgères (Ille-et-Vilaine). Il voulait devenir développeur informatique. Flavien Bérard, sondeur de 27 ans, est décédé sur un chantier de forage. Il a été frappé à la tête par une pièce métallique qui s’est détachée d’une machine », rapporte Matthieu Lépine, un professeur d’histoire-géographie de Seine-Saint-Denis, sur le compte twitter Accident du travail : silence des ouvriers meurent, qu’il a créé en 2016 pour rendre visible ces victimes. Chaque année, plusieurs centaines de personnes meurent, en France, de leur travail. Et si la récente Coupe du monde de football, au Qatar, a été l’occasion d’évoquer les morts sur les chantiers de construction de l’émirat, en France, les noms des victimes n’apparaissent souvent que dans la presse régionale… Seul l’assassinat d’un inspecteur des finances publiques, le 21 novembre 2022, à Bullecourt (Pas-de-Calais), dans le cadre d’un contrôle, a fait la Une des journaux…

« Quelque 540 000 accidents du travail, dont 550 mortels, hors accidents de la route, ont été recensés en 2020 » – soit en moyenne dix morts par semaine –, rapporte Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des Retraites et de la Santé au travail, en préambule du 4e Plan santé au travail (PST4), dont un volet est consacré à la lutte contre les accidents du travail graves et mortels. « En 2022, nul ne devrait mourir en faisant son travail », rappelle-t-il. Pourtant, malgré les règles du Code du travail et la multiplication des services de santé et sécurité au travail, la fréquence des accidents du travail mortels a atteint un plancher. Elle était de 50 pour 1 000 salariés au début des années 2000 et de 34 en 2020. Une évolution positive, certes, mais qui ne recule plus depuis 2010. Le secrétaire d’État se donne ainsi pour défi de « faire baisser significativement et de manière durable le nombre des accidents du travail mortels », grâce à quatre axes de travail détaillés dans le plan 2022-2025.

De nombreuses études montrent que ces accidents touchent d’abord les salariés jeunes et/ou nouvellement embauchés, les travailleurs intérimaires, indépendants ou détachés. Le plan prévoit donc davantage de formations à la sécurité, notamment lors de la prise de poste, et un renforcement des messages de prévention vers ces publics. Les TPE et les PME apparaissent aussi comme des cibles prioritaires. Ayant « souvent moins de ressources à consacrer à la prévention », leurs salariés sont en effet davantage victimes d’accidents.

Manque de reconnaissance

En parallèle, d’après une enquête du ministère du Travail menée en 2017, la moitié des accidents du travail ne seraient pas reconnus par une commission de la Sécurité sociale. Et 72 % ne seraient même pas déclarés. En outre, l’indice de gravité des accidents a augmenté ces dernières années, ce qui laisse penser que les accidents les plus minimes seraient moins déclarés… « Les statistiques médico-légales des caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) ignorent les travailleurs qui ne sont pas couverts par le risque accidents du travail (artisans-commerçants ou professions libérales), rappelle à cet égard la sociologue Véronique Daubas-Letourneux (lire son interview ci-après). Cela peut aussi refléter une pression de l’employeur ou une volonté du salarié de ne pas se faire remarquer, particulièrement pour les jeunes ou les travailleurs en situation précaire », ajoute-t-elle, tandis que les intérimaires sont également parmi les premières victimes d’accidents du travail. Les statistiques de la Sécurité sociale ne recensent en outre que les salariés inscrits au régime général et excluent les indépendants, les agriculteurs, les salariés non déclarés (sans-papiers, notamment). Ils font pourtant partie des populations exerçant les métiers les plus à risques…

Une sous-déclaration que réfute Virgile Pradel, avocat spécialisé en santé au travail, qui défend de nombreuses grandes entreprises dans des litiges les opposant à la Sécurité sociale sur des cas de reconnaissance d’accidents du travail. « Il y a une obligation déclarative, rappelle-t-il. Dans les grandes entreprises, j’observe plutôt une sur-déclaration, et si toutes les déclarations ne donnent pas lieu à une reconnaissance en accident de travail, les accidents cardiaques sont, eux, quasiment toujours retenus, bien que la présomption d’imputabilité soit difficile à prouver. » Alors que la branche « accidents du travail et maladies professionnelles (AT/MP) » de la Sécurité sociale reverse un milliard d’euros à la branche « maladie » chaque année au titre des sous-déclarations supposées, l’avocat évoque, lui, un intérêt de l’organisme social à augmenter par ce biais les cotisations des entreprises. « Les critères de reconnaissance des accidents du travail sont très poussés en France, peut-être plus qu’ailleurs dans le monde, et les entreprises, particulièrement les grandes, ont des process très aboutis, via les responsables RH ou des responsables de la sécurité, pour déclarer ces accidents », reprend-il en regrettant les gros titres qui cataloguent régulièrement la France comme « championne des accidents du travail ». L’avocat demande davantage d’expertise médicale à la suite des déclarations. Las, mise en avant par le secrétaire d’État Laurent Pietraszewski pour faire baisser le nombre d’accidents du travail, la profession de médecins experts manque de bras, comme celle des médecins du travail, chargés entre autres choses de la prévention. Les branches professionnelles devraient donc être davantage impliquées dans la prévention, au niveau des territoires pour aller vers les entreprises et les salariés. L’idée d’une communication renforcée autour de la Journée internationale de commémoration des travailleuses et des travailleurs morts ou blessés au travail, le 28 avril, est aussi évoquée.

Auteur

  • Lucie Tanneau