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Décarbonation : Valérie Bouillon-Delporte, force motrice pour l’hydrogène

Les pionnières | publié le : 06.03.2023 | Natasha Laporte

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Décarbonation : Valérie Bouillon-Delporte, force motrice pour l’hydrogène

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La directrice écosystème hydrogène chez Michelin, par ailleurs première vice-présidente de France Hydrogène, est une engagée de la première heure. Elle a porté avec conviction, dès 2013, l’émergence et le développement de cette énergie du futur, qui aura un rôle clé à jouer dans la décarbonation de l’économie.

On l’appelle parfois « Madame Hydrogène », chez Michelin. Les débuts de sa carrière ne laissaient pourtant pas présager un tel destin, puisque Valérie Bouillon-Delporte, diplômée de Kedge Business School et de l’Essec, avait démarré dans le domaine du luxe et des métaux précieux… avant de bifurquer en tant que spécialiste du marketing dans le secteur automobile en 1997, « par hasard », dit-elle. Et là, c’est la révélation… « J’ai adoré travailler avec des ingénieurs ! », s’exclame-t-elle. Un secteur qu’elle trouve particulièrement intéressant en termes de diversité d’activités notamment – et qu’elle ne quitte plus. Après ses premiers pas pour des groupes américains sur le marché des pièces de rechange (pots d’échappement, amortisseurs…), elle planche, au sein d’un leader des réservoirs à carburant, sur les technologies réduisant l’impact carbone. Puis, en 2010, tombe à pic pour intégrer le groupe clermontois. « Michelin cherchait quelqu’un qui avait une formation en marketing et qui était capable de collaborer avec des ingénieurs, se souvient Valérie Bouillon-Delporte. Avec pour objectif de travailler sur des technologies en dehors du pneu, ce qui était assez disruptif en 2010. » Et notamment sur un projet dans le cadre d’un centre de recherche basé en Suisse et dévolu aux technologies liées à la mobilité durable. « Le but était de voir quelles étaient les opportunités de marché pour ces innovations », explique-t-elle. De quoi ouvrir la voie à l’hydrogène, puisque, dans le cadre de ce projet, « la pile à combustible était un élément qui permettait d’alimenter en électricité une chaîne de traction électrique intégrée dans la roue ».

De là, tout s’enchaîne… « Mon patron de l’époque m’a dit, “tu vas porter le sujet”. C’est ce que j’ai fait. En 2013, l’hydrogène, chez Michelin, était plutôt un sujet de recherche que de marché. Petit à petit, j’ai créé mon poste, j’ai porté mes convictions », se souvient-elle.

Une place stratégique

Elle commence par accompagner la start-up Symbio, spécialisée dans les systèmes hydrogène pour la mobilité, qui a débouché sur la création, avec l’équipementier Faurecia, d’une co-entreprise. Cette nouvelle société espère réaliser 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2030. C’est dire l’importance de cet élément chimique au sein du groupe Michelin, dont il constitue désormais l’un des axes stratégiques. En même temps qu’elle fait grandir le groupe sur cette énergie clé de la transition énergétique, son poste évolue. Et elle prend rapidement les rênes de l’entité écosystème hydrogène. Sa mission ? « Tant une fonction de support des activités business chez Michelin, qu’elles soient en joint-venture comme Symbio ou en interne, puisque nous avons créé un opérateur de mobilité zéro émission, que l’accompagnement de toute la supply chain de la décarbonation des transports », répond-elle. Autre volet, la création, avec la région Auvergne-Rhône-Alpes, de la première vallée hydrogène de l’Europe. En somme, résume-t-elle, « l’écosystème hydrogène, c’est la capacité de Michelin à porter ce sujet en s’appuyant sur ses compétences internes et en développant des opportunités nouvelles de business pour le groupe. »

Celle qui œuvre, par ailleurs, à la tête d’associations professionnelles – en ayant présidé, pendant près de cinq ans, celle des industriels d’Hydrogen Europe, de même qu’en tant que première vice-présidente de France Hydrogène – témoigne de l’essor fulgurant de la filière. « Le soutien de la première heure était le fait des seuls convaincus. En 2013, nous devions être qu’une petite cinquantaine de membres chez France Hydrogène. En 2023, nous sommes plus de 450 », se réjouit Valérie Bouillon-Delporte. Une accélération des adhésions qui s’est faite dans le sillage de la stratégie de l’Union européenne sur l’hydrogène, avec ses ambitions fortes pour qu’il fasse partie du mix énergétique des 27, ainsi que des stratégies nationales, dont celle de la France, assortie de plusieurs enveloppes budgétaires, puis complétée par le Plan de relance. De même, la crise sanitaire a joué un rôle salutaire, l’hydrogène ayant été considéré comme l’un des leviers de la croissance et de la résilience économiques, puis la crise énergétique, qui a mis l’hydrogène au centre des débats.

Former les talents

Source de diversification d’avenir, l’hydrogène est aussi, pour certaines organisations, une question de survie, dans le contexte de la fin programmée de la vente des véhicules thermiques. Sans oublier la nécessité, pour les entreprises, de se saisir de l’enjeu écologique et de leurs obligations réglementaires en matière de responsabilité sociale et environnementale (RSE). « Chacun a son rôle à jouer », estime Valérie Bouillon-Delporte. Aux côtés de l’État et des institutions, la transition énergétique passe en effet également par les entreprises. Et par les salariés, « pour appliquer les ambitions de leur employeur en matière de transition écologique, mais aussi comme apporteurs de solutions ou initiateurs », ajoute-t-elle. Elle-même l’a fait, en travaillant sur le thème de l’hydrogène au sein de son groupe à un moment où il intéressait comme simple objet de recherche, sans encore percer comme objectif majeur. « Il faut de la résilience, de la conviction, du courage, il faut aussi avoir une appétence pour le risque », avance-t-elle, pour enchaîner : « Quand vous prenez des positions sur des sujets nouveaux au sein d’une entreprise, il y a une part de risque que le salarié doit être capable de porter. Les collaborateurs doivent retrouver cette faculté d’oser ! Et ce n’est pas seulement se laisser enfermer dans des objectifs individuels. C’est aussi se demander : “Est-ce que l’action que je mène crée de la valeur pour l’entreprise et pour la société ?”. »

Surtout, pour Valérie Bouillon-Delporte, la transition passe par les compétences. Or celles qui sont nécessaires à l’avènement de l’hydrogène manquent à l’appel… Un référentiel métiers, réalisé il y a deux ans dans le cadre de France Hydrogène, pointait déjà les difficultés. « On estime qu’à l’horizon 2030, la filière représentera plus de 100 000 emplois créés, rappelle-t-elle. Sur les 84 métiers identifiés dans le cadre de ce livre blanc et dont la filière hydrogène avait besoin, il y en avait 17 en tension. » De quoi motiver France Hydrogène à lancer un consortium qui rallie l’Afpa, Adecco, Pôle emploi… afin de faciliter l’émergence des nouvelles offres de formation dans le domaine de l’hydrogène. Certaines sociétés n’ont pas attendu pour se saisir du sujet en interne, à l’instar de Symbio Academy, tandis que le partenariat public-privé avec la Commission européenne, Clean Hydrogen Partnership, dont Valérie Bouillon-Delporte était l’une des administratrices, devrait lancer un appel à projets pour créer une European Hydrogen Academy.

Parmi les talents, les femmes, comme les hommes, doivent prendre part à cette révolution. Valérie Bouillon-Delporte est ainsi également membre fondatrice de Wave (Women Automative and Vehicles in Europe), une association qui cherche à attirer davantage de femmes dans ce secteur où elles postulent peu. « Les métiers techniques peuvent être passionnants », martèle-t-elle. Et la transition écologique, porteuse de valeurs intrinsèques, « une façon plus facile d’intéresser les femmes aux métiers techniques », ajoute-t-elle. Les jeunes, aussi…

Autant d’actions et d’engagements que cette pionnière enchaîne avec détermination. Son implication lui a même valu la distinction de chevalier de la Légion d’honneur, en 2021, pour ses efforts en faveur de la filière hydrogène. Une filière dont la force est aussi, selon elle, « d’envisager le développement des technologies de façon globale ». Car sur le chemin de la transition énergétique, il n’y a pas qu’une solution miracle. « Nous allons devoir jouer avec tous les leviers technologiques dont nous disposons », assure-t-elle. Et tous ensemble.

Auteur

  • Natasha Laporte