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Prévention : La santé mentale des salariés s’invite dans les restructurations

Tendances | publié le : 17.04.2023 | Dominique Perez

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Prévention : La santé mentale des salariés s’invite dans les restructurations

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Les plans de sauvegarde de l’emploi qui s’annoncent vont avoir lieu dans un contexte de santé mentale des salariés déjà fragilisée par les effets de la pandémie. Si les risques psychosociaux ne sont pas toujours suffisamment évalués par les entreprises en restructuration, une prise de conscience semble toutefois s’amorcer pour un traitement plus humain…

Après deux ans d’accalmie pendant la crise sanitaire, les restructurations, sur fond de crise économique, ont tendance à reprendre ces derniers mois. Et avec elles, les risques pour la santé mentale des salariés… « Entre les tensions sur les coûts de l’énergie et des matières premières liées à la guerre en Ukraine et les baisses de chiffre d’affaires dues à l’incapacité de produire de certaines entreprises, le tout coïncidant avec la fin des aides aux sociétés apportées pendant la pandémie, nous sentons un vrai risque pour l’emploi » , indique d’abord Camy Puech, président fondateur de Qualisocial, un cabinet de conseil spécialisé dans la qualité de vie au travail (QVT) et la prévention des risques psychosociaux (RPS). De fait, poursuit-il, « nous recevons, depuis septembre 2022, de plus en plus d’appels de dirigeants nous demandant de les accompagner dans le cadre d’une restructuration qu’ils envisagent. » Ce qui traduit certes une augmentation des projets de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), mais aussi, selon lui, un souci plus grand de la part des entreprises en ce qui concerne les risques psychosociaux… Publiés par la Banque de France le 6 avril 2023, les indicateurs ne sont effectivement pas favorables. Ils montrent une hausse des défaillances d’entreprises de 50 % par rapport à 2022, tandis que, selon une étude de la Dares, publiée en octobre dernier, la progression des PSE validés ou homologués au deuxième trimestre 2022 est de près de 52 % par rapport au trimestre précédent.

L’humain d’abord ?

Derrière les enjeux économiques, le risque de « dégâts humains » de ces restructurations – à défaut d’être chiffré et précisément évalué – est tangible, particulièrement quand, par restructuration, l’on entend « la fermeture d’une entreprise ou d’une unité de production, ajoute Camy Puech. Les salariés entrent alors dans une zone délicate, où tout ce qui a fait le sens de leur carrière disparaît, où ils ont l’impression de ne plus avoir d’avenir » . En dehors des obligations du PSE, qui prévoit un accompagnement ad hoc, et au-delà des enjeux juridiques, une approche d’abord « simplement » humaine doit être privilégiée. Ce n’est pas toujours le cas, mais cette philosophie semble, d’après le consultant, progresser. « Un dirigeant d’une multinationale m’a appelé récemment et sa première préoccupation était de savoir comment présenter la nouvelle de la fermeture d’un site employant plusieurs centaines de personnes, en premier lieu au directeur de ce site et aux managers, qui s’y étaient beaucoup investis. Quand on nous contacte, la question de la prise en compte de l’humain vient d’abord, avant la réalisation d’un nouveau projet d’entreprise et le respect des obligations juridiques » , assure-t-il. Ajouter un risque supplémentaire en matière de santé mentale dans une période déjà fortement marquée par « la recherche de sens au travail » et une hausse des risques psychosociaux place en effet les entreprises face à une forte responsabilité…

Des obligations légales reprécisées

Ainsi, « les entreprises prévoient l’intervention, pendant la procédure, d’un cabinet extérieur, en général d’outplacement, pour effectuer un audit de l’employabilité des salariés et s’assurer qu’il y aura bien une aide au reclassement, témoigne de son côté Olivia Guilhot, avocate en droit social, associée au sein du cabinet Voltaire Avocats. L’élaboration du livre 4, qui accompagne le PSE, doit identifier ses conséquences sur les conditions de travail des salariés, liées notamment aux transferts de charges pour ceux qui restent, analyser les sources de stress et les facteurs de risques et doit préciser les mesures mises en œuvre. Les seules mises en place de cellules d’écoute psychologiques ne peuvent plus suffire. »

Les risques psychosociaux associés aux PSE vont-ils donc devoir faire l’objet d’une vigilance accrue de la part des entreprises ? C’est en tout cas ce qui sous-tend deux décisions rendues par le Conseil d’État le 6 avril dernier, précisant comment les risques psychosociaux doivent être pris en compte par les entreprises lorsqu’un PSE est élaboré et comment les DREETS (Directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) doivent le contrôler. Dans ces deux cas, le Conseil d’État a ainsi confirmé la décision du tribunal administratif puis de la cour administrative d’appel de refus d’homologation de PSE, estimant que « si la DREETS s’était assurée que les IRP (Instances représentatives du personnel) avaient bien été informées et consultées sur les risques psychosociaux, elle n’avait pas vérifié que le document unilatéral de l’employeur comportait bien des mesures pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. (…) En l’absence de mesures de prévention des risques psychosociaux, alors qu’ils étaient avérés, la DREETS ne pouvait pas légalement homologuer le PSE de la société » , a estimé le Conseil.

Pour Claude Fabre, enseignant-chercheur en sciences humaines à l’université de Montpellier, l’anticipation et la précision des mesures mises en place ne sont effectivement pas toujours au rendez-vous, souvent par « manque de réflexion en amont et de pilotage avec les personnes concernées, qui devraient être plus impliquées dans les processus de décision » , estime-t-il. En outre, il pointe un autre élément de risque sur la santé mentale des salariés, peu ou pas étudié actuellement : « J’ai une forte interrogation sur les conséquences des licenciements “hors PSE”, qui sont encore relativement encadrés, et sur les ruptures conventionnelles, dit-il. Les salariés ont-ils véritablement, dans ce cadre, accès à l’information sur leurs droits et sur d’autres solutions que le départ ? En fait, les départs de l’entreprise passent de plus en plus par des procédures individuelles, avec un accès aux droits plus limité… » À cela s’ajoute une incertitude forte concernant les conséquences de ces départs sur la santé mentale des salariés, parfois contraints, en réalité, de quitter l’entreprise et qui se retrouvent isolés dans leurs démarches…

Auteur

  • Dominique Perez