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La retraite, c’est la santé !

Chroniques | publié le : 01.05.2023 |

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La retraite, c’est la santé !

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Par Martin Richer fondateur de Management & RSE

Si la réforme des retraites a suscité un rejet aussi vigoureux et unanime de la part des actifs, c’est qu’elle a évacué la réflexion sur la soutenabilité du travail.

L’anxiété vis-à-vis de la soutenabilité de son travail

Or cette question est au cœur de l’anxiété française : « Est-ce que je serai capable de tenir dans mon travail jusqu’à l’âge de la retraite ? » La Dares (branche des études du ministère du Travail) a posé précisément cette question à un échantillon représentatif de salariés français en 2019, avant que les débats liés à la réforme actuelle ne s’enflamment. Les résultats publiés en mars 2023 sont sans appel : 37 % répondent par la négative (41 % des femmes et 34 % des hommes), ce qui représente neuf millions de salariés. La pénibilité est au cœur de cette inquiétude : près de la moitié (46 %) des salariés exposés aux risques physiques (bruit, chaleur, humidité, fumées, poussières, postures pénibles, port de charges lourdes…) déclarent ne pas pouvoir occuper ces métiers jusqu’à la retraite, alors que ceux faiblement exposés sont bien moins nombreux (27 %). Les contraintes psychosociales (travail intense, manque d’autonomie, exigences émotionnelles, insécurité socio-économique, conflits de valeur…) en font aussi partie : 58 % des salariés qui y sont les plus fortement exposés déclarent estimer ne pas pouvoir tenir jusqu’à la retraite.

Qu’est-ce qu’un travail soutenable ?

Dans ses travaux les plus récents, la Fondation de Dublin (Eurofound) a adopté une vue large de la notion de travail soutenable, qui me semble très pertinente. Elle le définit par six critères : bien sûr, les exigences physiques et mentales du poste, mais aussi l’intensité du travail et le niveau d’autonomie, le pouvoir d’agir, la maîtrise du temps au travail, les perspectives d’évolution et la reconnaissance du travail. Sur cette base, les métiers (et leurs contraintes) pèsent lourdement mais avec des différences considérables : les secteurs les plus soutenables sont les services financiers, suivis par les services divers et les services publics, mais ceux qui sont les moins soutenables sont la santé, suivie des transports, puis de l’agriculture et du commerce-hôtels-restauration. Dans cette seconde catégorie, on retrouve les fameux « invisibles », qui ont maintenu le pays debout pendant la pandémie, à qui nos gouvernants avaient promis une reconnaissance et qui n’ont reçu qu’une réforme les pénalisant plus fortement du fait de leur entrée précoce dans la vie active. Cette réforme est donc paradoxale en ce qu’elle demande de rester plus longtemps en activité… à ceux qui tiennent les métiers les moins soutenables.

La singularité de la situation française dans le contexte européen

Eurofound vient de publier les résultats de sa dernière enquête (qui porte sur l’année 2021). Elle montre que la France est désormais le pays dans lequel la soutenabilité du travail est la moins bonne, parmi les huit pays européens retenus par le COR (Conseil d’orientation des retraites) pour dresser ses diagnostics (dans l’ordre décroissant de soutenabilité : Pays-Bas, Allemagne, Suède, Espagne, Belgique, Italie, Royaume-Uni, France). Par rapport à l’étude précédente de 2015, la position de la France s’est dégradée, alors qu’elle s’est fortement améliorée en Allemagne et en Espagne. Compte tenu de cette position française très défavorable, les réactions à la réforme des retraites prennent tout leur sens. Cette position est d’autant plus problématique qu’Eurofound montre qu’un travail peu soutenable non seulement compromet la capacité du travailleur à atteindre l’âge de la retraite dans de bonnes conditions, mais est aussi associé à une santé dégradée, un moindre engagement au travail, une défiance plus prononcée et une mauvaise conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle.