logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Chroniques

La vie face au travail

Chroniques | publié le : 08.05.2023 |

Image

La vie face au travail

Crédit photo

Par Benoît Serre vice-président délégué de l’ANDRH

Pour renouer un dialogue social assez sérieusement abîmé par des mois de conflit social, le gouvernement vient donc d’annoncer sa volonté de bâtir un nouveau pacte de la vie au travail. Au regard des thèmes adressés dans cette intention louable, il apparaît que le réflexe jacobin visant à penser que l’État peut tout prendre en charge est toujours assez vivace. En effet, parmi les sujets portés au dialogue social, on trouve les seniors, la pénibilité ou encore les conditions de versement du RSA. Soit ! Ce sont bien là des thèmes pour lesquels les pouvoirs publics comme les partenaires sociaux peuvent utilement s’entendre. En revanche, les autres ambitions telles que l’organisation du travail, la rémunération ou le partage de la richesse ont plus vocation à relever du dialogue social, comme le prouve d’ailleurs l’accord national interprofessionnel sur le partage de la valeur qui sera transcrit in extenso dans un texte législatif.

Quoi qu’il en soit, tous ces sujets sont d’autant plus importants que nombre d’entreprises y sont confrontées depuis longtemps et tentent de les traiter dans un contexte législatif souvent complexe et même parfois antinomique.

Promouvoir un pacte de la vie au travail est positif, mais la question posée par ce qu’on observe de ce nouveau rapport au travail relève plus du « travail dans la vie » que de « la vie au travail ». Cette inversion des termes interroge comme si nous voulions gérer la vie des personnes malgré elles alors que précisément ce que nous voyons chaque jour dans les entreprises relève plutôt d’une attente de nouvelles régulations du travail dans la vie, de sa place, de ses contraintes et de son organisation. En effet, la pénurie de recrutement, les attentes nouvelles sur l’impact des organisations du travail dans la vie, l’appétence non pas au télétravail mais à une plus grande autonomie dans sa manière de produire et d’exercer ses missions relèvent plus de la place qu’on entend accorder au travail dans la vie. Certains y voient un changement de mentalité et d’autres vont jusqu’à parler de nouvelle paresse. Ce n’est pas ce qui est observé, mais une exigence de rééquilibrage des temps de vie et de travail qui n’entame pas forcément la qualité du travail, mais pose le défi d’une plus grande liberté d’organisation qui vient évidemment bousculer des habitudes prises depuis longtemps. C’est en cela que ce choix du pacte de la vie au travail peut paraître surprenant car il pourrait présupposer que l’enjeu est l’adaptation de la vie et non celui du travail.

Et pourtant, sur ce plan-là, les sujets ne manquent pas, mais c’est d’abord dans l’entreprise qu’ils se joueront et notamment dans le cadre d’un dialogue social de terrain par le biais ou non des accords majoritaires en particulier. Chacun doit être vigilant pour éviter qu’une trop large négociation accompagnée de textes législatifs trop contraignants ne vienne empêcher des évolutions de travail déjà en action sous l’effet de la réalité, de l’inversion relative du marché du travail et des enseignements de la crise sanitaire. C’est dans chaque organisation, au regard de ses contraintes, de ses opportunités comme de ses convictions que de tels pactes doivent être passés. Cela est primordial et nous avons pu constater l’efficacité de cette approche pragmatique notamment pendant la crise Covid, mais aussi depuis quelques mois au sein d’entreprises qui ont choisi, parce qu’elles le pouvaient et le voulaient, de tester de nouvelles formes d’organisation du travail. Rien ne serait pire que de tenter d’imposer par le biais de ce pacte de nouvelles formes de travail qui – fruit d’une négociation trop globale – tendrait à uniformiser, à normer plutôt qu’à donner une liberté de choix justement protectrice, mais utilement adaptable aux différentes réalités. Le télétravail par exemple ne concerne que 35 % de salariés et même s’il devrait progresser dans les prochaines années, cela ne sera possible qu’à condition de laisser les organisations en choisir les formes et les règles. Le pacte de la vie au travail souhaité par le gouvernement doit s’attribuer un objectif : comment permettre aux organisations de construire dans le dialogue social de proximité les pactes locaux du travail dans la vie. Si cette approche pouvait être privilégiée, nous pourrions enfin entamer le chemin de la reconstruction d’un nouveau modèle social puisque le nôtre semble si épuisé qu’il ne vit que par la contestation qu’on lui oppose. Il devra alors donner sa juste place au travail dans la vie et non pas l’inverse !