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Quand l’information finit par étouffer la communication

Chroniques | publié le : 22.05.2023 |

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Quand l’information finit par étouffer la communication

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Par Marie Veillon, Master 2 Management Communication à l’Ircom et alternante en communication à Accor ; Charles-Henri Besseyre des Horts professeur émérite à HEC Paris.

La question de la communication est au cœur des préoccupations des DRH depuis de nombreuses années et pourtant, on constate fréquemment un décalage entre une volonté et une réalité perçue sur le terrain par les managers et les collaborateurs. Ce décalage peut s’expliquer par la confusion entre information et communication. Depuis un siècle, en effet, d’innombrables innovations techniques se sont développées, permettant une diffusion très forte d’informations par divers moyens : radio, télévision, digital. Ces moyens se veulent « communicants », mais ils excluent la relation avec l’autre. Petit à petit, le règne de l’information s’impose, accentuant l’idée d’une « communication automatique ».

Cependant, une « communication automatique » relève de l’oxymore. La communication est une activité humaine, elle est propre aux êtres sociaux1. Par le biais d’Internet, il n’y a pas de communication, seulement de l’interactivité : des messages sont transmis, mais il n’y a pas de relation inter­humaine2. Quand nous sommes sur les réseaux sociaux, par exemple, nous sommes bien seuls face à nos écrans, même s’ils peuvent parfois donner l’illusion d’être en relation avec les autres – au risque même de devenir des « crétins digitaux »3.

Pourtant, on privilégie le message à la relation, cette dernière étant évidemment plus compliquée. En effet, la communication a un risque : je dis quelque chose à quelqu’un, mais est-ce que la personne est d’accord avec ce que je dis ? M’écoute-t-elle ? La communication suppose le dialogue. Elle ne peut se faire sans l’information, mais elle suggère l’écoute et le compromis. Ce sont les mimiques, l’attitude, le ton de la voix, bref le non-verbal qui offrent d’emporter l’adhésion. Cet aspect « subjectif » de la communication humaine est celui qui permet de gagner la confiance et de créer de l’engagement. Face à l’humain, les données techniques sont « froides » et parfois incomprises, créant le quiproquo.

Sans être manichéen, la performance de la communication technique, aussi extraordinaire soit-elle, ne crée pas la communication humaine. Il n’y a pas de communication sans altérité. Même si les nouvelles technologies sont génératrices d’autonomie et d’efficacité, nous entrons à travers elles dans « l’ère des solitudes actives » 4. Voici le paradoxe : la communication technique est souvent perçue comme une solution pour combler les lacunes de la communication, alors que ce que l’on recherche réellement, c’est une communication humaine authentique. Et cette situation ne va pas réellement s’améliorer avec le développement exponentiel du recours aux outils d’IA générative, comme ChatGPT5, susceptibles de produire de la communication automatique à grande échelle, à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise.

Alors, comment faire pour que la communication devienne à nouveau un moyen sain permettant d’établir une relation entre les individus face à l’infobésité ambiante ? Commençons par prendre en considération le contexte dans lequel la personne se situe6. Par exemple, dans ce contexte post-Covid, privilégions la communication par de vraies relations humaines face à la mode du télé-travail, perçu comme un enfermement par beaucoup7.

Comme nous avons pu le constater, la communication est un processus bien plus difficile que ce que nous pouvons penser, car son essence se trouve dans les aspects implicites de toute relation humaine : « L’homme est un animal social. » Cette complexité en garantira cependant sa qualité et son aspect humain si fondamental. L’enjeu est de taille : appréhender le fait que les avancées techniques de la communication n’auront de véritable signification que si elles contribuent à établir une cohabitation productrice de sens entre les êtres humains, malgré leurs divergences de valeurs et d’opinions. C’est dans cette perspective que l’on peut envisager le rôle des DRH créateurs de sens, comme le défendaient, il y a deux ans, plusieurs d’entre eux dans un ouvrage collectif : Le Sens, ADN de l’entreprise responsable8.

(1) Fischer, GN : Les concepts fondamentaux de la psychologie sociale, chapitre 6, Dunod, 2020.

(2) Wolton, D : Informer n’est pas communiquer, Paris, CNRS Éd., 2009.

(3) Desmurget, M. : La fabrique du crétin digital, le danger des écrans pour nos enfants, Le Seuil, 2019.

(4) Wolton, D : Internet et après, une théorie critique des nouveaux médias, Paris, Flammarion, 1999.

(5) Besseyre des Horts, CH : « ChatGPT : opportunité ou menace pour les DRH », Entreprise & Carrières, n° 1616 du 20 au 26 mars 2023, p. 22.

(6) Watzlawick, P : Une logique de la communication, Points Essais, 2014.

(7) Besseyre des Horts, CH : « Détresse psychologique, comment éviter un tsunami ? », Entreprise & Carrières, n° 1514 du 8 au 14 février 2021, p. 22.

(8) Cercle Societhics : Le sens, ADN de l’entreprise responsable, Diateino, 2021.