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Politique sociale

Les Pinçon-Charlot, mauvais rêve élyséen

Politique sociale | publié le : 01.11.2011 | Emmanuelle Souffi

Leur brûlot, le Président des riches, cartonne. Le couple de sociologues bourdieusiens, qui s’est fait connaître en travaillant sur les nantis, est entré en guerre. Contre l’oligarchie.

À chaque débat public, dans le Gers ou à la Fête de l’Humanité, c’est toujours le même scénario. Elle, volubile, squatte le micro. Lui, timide échalas, bute sur ses mots, cherche les bonnes dates qu’elle a toujours en mémoire… et se fait clouer le bec ! Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, ce sont ces drôles d’oiseaux qui, depuis un an, font enrager l’Élysée. Leur best-seller, le Président des riches, s’est écoulé à plus de 100 000 exemplaires, 7 000 se sont vendus dans les premières heures de sa sortie en septembre 2010. Le titre de leur brûlot anti-Sarkozy est même devenu une formule politique, reprise par la gauche pour dénoncer les cadeaux faits aux nantis, et une étiquette que la droite tente, vaille que vaille, de faire oublier.

Cela fait quarante ans que ce couple de sociologues, spécialiste incontesté de la grande bourgeoisie et des rallyes, ausculte les rapports de pouvoir et dissèque les liens ataviques qui unissent les beaux quartiers. Ils ont été les premiers à faire des plus fortunés une classe sociale à part entière, aussi soudée dans la défense de ses privilèges que les ouvriers de jadis. Tels les inséparables, ces oiseaux incapables de se quitter, Monique, 65 ans, et Michel, 69 ans, ont toujours tout fait à deux. « Nous sommes complémentaires », lancent-ils. Depuis leur « coup de foudre » à la bibliothèque de Lille en 1965, ils ont enquêté sur la chasse à courre, les châteaux… et même les gagnants du Loto ! Fascinés par ce milieu replié sur lui-même, ces « marxistes bourdieusiens », comme ils se définissent, entrent désormais en guerre contre « cette oligarchie décomplexée » aux manettes de l’État. Pendant des années, ils se sont efforcés de rester neutres, sans jugement sur ces « biens nés ». Retraités du CNRS depuis quatre ans, ils se lâchent. « Si on avait publié un tel ouvrage durant notre activité, notre laboratoire en aurait fait les frais et on l’aurait mal vécu », confessent-ils, conscients d’appuyer là où ça fait mal.

Dès le 7 mai 2007, le lendemain de l’élection de Nicolas Sarkozy et de la fête du Fouquet’s, ils décident de tenir un journal de bord, sorte de compilation de « tous les cadeaux faits aux riches par Sarkozy qui en est le fondé de pouvoir », tance Monique Pinçon-Charlot. Claquemurés dans leur coquet pavillon de Bourg-la-Reine (Hauts-de-Seine), ils découpent les journaux, surfent sur Internet, traquent la moindre information qui nourrira leur démonstration. Des experts leur décryptent les effets pervers du bouclier fiscal et de la loi Tepa. Entre piscine et footing, ils détricotent la pelote de laine qui entoure les milieux politiques, économiques et médiatiques. Deux mois durant, ils s’enferment dans un mobil-home pour écrire, dans une ambiance parfois électrique.

Le ministre, l’avocat, la dynastie familiale… Si le Président des riches cartonne, c’est parce qu’il décrit avec force détails cette toile d’araignée que les cercles et réseaux de pouvoir ont tissé depuis des années. Exemple : une poignée de dirigeants de BNP Paribas, ancien directeur de cabinet, inspecteur des finances ou diplômé de l’ENA, sont présents dans 10 conseils d’administration de sociétés du CAC 40, ont-ils calculé. De quoi favoriser, selon eux, les renvois d’ascenseur et les pressions politiques… L’affaire Woerth-Bettencourt a servi leur cause. Enregistrements du majordome à l’appui, M. et Mme Michu avaient soudain accès à tout ce qu’ils pointaient déjà depuis des années. « Comme dans une pièce de théâtre, il y a là toutes les figures d’identification oligarchiques : le ministre, l’avocat, la dynastie familiale… Avec cette histoire, les réseaux devenaient vivants », souligne, avec malice, Monique.

En moins d’un an, ils ont parcouru plus d’une centaine de villes. Partout, le même désarroi. Et cette envie de comprendre. « On arrive à créer une conscience du collectif, observe Monique. L’individualisme fait le jeu des puissants car eux sont unis. » Dans leur pensum, ils décrivent comment utiliser Internet pour accéder aux informations financières d’une société. La curiosité comme arme de résistance massive. Ces pourfendeurs des privilèges se sont fondus dans le moule de l’aristocratie sans jamais y avoir pourtant appartenu. Elle, fille de procureur de la République et petite-fille d’un patron d’une PME dans la soie, connaît les rites des grandes familles. Envoyer un mot pour remercier après un dîner, multiplier les courbettes. Lui, au contraire, vient d’un milieu ouvrier. Père polisseur chez Renault, reconverti comme garçon de recettes « tellement il avait avalé de poussière », confie-t-il en tripotant un petit vélo en fer rapporté d’Afrique.

La Lozérienne et l’Ardennais partagent un profond dégoût de la violence des rapports de domination. « Je crèverais avec cette rage », tranche madame, qui a fait sien le slogan d’Olivier Besancenot « nos vies valent plus que leurs profits ». Au Centre de sociologie urbaine, ils commencent par plancher sur la ségrégation sociale. Puis décident d’investir le monde des dominants pour mieux comprendre celui des dominés. Les riches sont une famille qui a ses attributs identitaires et ses rites de passage. « Le patronyme est une richesse en soi, précise monsieur. Quand vous vous appelez Rothschild, vous n’avez pas besoin de vous présenter. » À son premier dîner dans le 16e arrondissement de Paris, Monique serre la main de la domestique et se sent « toute petite avec [sa] frange alors que les femmes ont le front dégagé et le port altier ». Lui, coincé dans son nouveau costume, a l’impression « d’être en dimanche alors que pour eux, c’est comme s’ils étaient en survêt ». Au volant de leur 4 L (troquée depuis contre une Kangoo rouge) ou juchés sur leur VTT, ils débarquent dans les grands prix hippiques. « Ils ont été invités partout, se souvient Blanche de Kersaint, directrice du Bottin mondain. Ils mettent en confiance et font preuve d’une certaine humilité. » Mais les amis d’hier rient désormais jaune. « Beaucoup sont furieux et se sentent trahis », poursuit-elle.

À part un contrôle fiscal, les sociologues n’ont reçu ni menaces ni courriers vengeurs. Ces farceurs en seraient presque déçus ! Partisans de la retraite à 60 ans et des 35 heures – « le bonheur de mon fils quand il pose une RTT ! » se réjouit la mère –, ils appartiennent à cette génération qui culpabilise d’avoir été des enfants gâtés. « Avant, il y avait plus de gaieté populaire, l’avenir devait être meilleur. Là, tout est régressif », regrette Michel. En 2007, ils ont voté Ségolène Royal. « Par pur antisarkozisme. » Et ce n’est pas la taxation sur les hauts revenus ou la fin du bouclier fiscal – insuffisants à leurs yeux – qui les feront changer d’avis. Leur objectif à quelques mois de l’élection présidentielle ? « Que Nicolas Sarkozy ne soit pas réélu et remplacé par un autre oligarque de droite ou de gauche », clament-ils. Et si le cauchemar se produit, eh bien ils écriront un troisième volet. Celui qui voulait incarner la France qui se lève tôt n’a pas fini d’entendre siffler les Pinçon.

Biblio

1989 : Dans les beaux quartiers, Seuil.

1993 : la Chasse à courre. Ses rites et ses enjeux, Payot et Rivages.

1996 : Grandes fortunes. Dynasties familiales et formes de richesse en France, Payot.

1997 : Voyage en grande bourgeoisie. Journal d’enquête, PUF.

1998 : les Rothschild. Une famille bien ordonnée, La Dispute.

2000 : Sociologie de la bourgeoisie, La Découverte.

2005 : Châteaux et châtelains. Les siècles passent, le symbole demeure, Anne Carrière.

2007 : les Ghettos du gotha, Seuil.

2010 : les Millionnaires de la chance, Payot.

2010 : le Président des riches, La Découverte.

2011 : deuxième édition revue et augmentée du Président des riches.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi