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La mobilité : un apprentissage au long cours

Décodages | publié le : 06.03.2017 | Lou-Eve Popper

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La mobilité : un apprentissage au long cours

Crédit photo Lou-Eve Popper

« On ne naît pas mobile, on le devient »  : telle pourrait être la devise des plateformes de mobilité. Pour conduire les publics en difficulté vers l’autonomie, elles proposent des actions de conseil et d’accompagnement. L’occasion pour les participants de développer des savoir-être, d’acquérir des compétences requises dans le monde du travail. À long terme, de se rapprocher de l’emploi.

Farida, Farouk, Djamila, Mina, Véronique… », 17 heures pile, Christian Boutet, conseiller mobilité, fait l’appel. Dans la petite salle de classe, une trentaine de personnes ont bravé le froid et la nuit tombante pour venir assister au cours de « vocabulaire technique du code ». Pendant deux heures, le conseiller va déployer des trésors de pédagogie pour expliquer à ses élèves les mots « désembuage » et « rétrograder ». Une fois le jargon acquis, ces apprentis conducteurs pourront envisager de passer l’examen du code de la route et, peut-être, un jour, celui du permis de conduire. D’ailleurs, toutes les personnes inscrites à la plateforme ont cet unique objectif en tête. Et pour cause, il est plus facile de trouver du travail lorsqu’on peut se déplacer.

D’après le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), une personne sur deux en insertion a déjà refusé un emploi ou une formation pour des raisons de mobilité. Faiblesse des revenus, véhicule en panne, psychomotricité défaillante, phobie de la conduite ou des transports, incapacité à lire un plan, difficulté à déchiffrer la signalétique des panneaux… les obstacles sont multiples. Pour leur permettre de devenir autonomes, les plateformes de mobilité proposent à ces publics en difficulté des actions de conseil et d’accompagnement. Comme l’information sur les possibilités de déplacement, le diagnostic mobilité, la formation à la mobilité, l’auto-école sociale, le vélo-école, le prêt de véhicules, la location à bas prix ou encore le garage solidaire.

À Grenoble, la plateforme s’est construite sur plusieurs années. Ici, tout commence en 2003. Quelques habitantes du quartier prioritaire Mistral sollicitent leur centre social en raison des difficultés qu’elles rencontrent dans leur formation en auto-école. Christian Moutet, moniteur, se propose de les aider dans leur apprentissage du code de la route. Un accompagnement qui révèle également d’importants obstacles au niveau de la conduite liés à la non-maîtrise de la langue et au manque d’orientation. Les premiers modules « cours de français du code de la route » ou « comment lire un plan, se repérer dans la ville » sont mis en place. Ils aboutissent à des résultats encourageants. Les années passent, le projet se structure et la demande des habitants augmente fortement. En 2009, Grenoble est lauréat de l’appel à projets « Des quartiers vers l’emploi : une nouvelle mobilité », lancé par le ministère de la Ville, et bénéficie d’un financement pendant trois ans. En 2010, la plateforme de mobilité ouvre ses portes.

Lever les freins.

Après des déménagements successifs, la structure s’installe au cœur du quartier sensible de la Villeneuve, une cité du sud de la ville où le taux de chômage touche près de 25 % de la population. De nombreux usagers de la plateforme en sont issus, majoritairement orientés par Pôle emploi ou la mission locale. Près d’un tiers est bénéficiaire des minima sociaux et un quart ne perçoit aucun revenu. Beaucoup sont des femmes étrangères entre 30 et 50 ans, qui, après avoir élevé leurs enfants, souhaitent retravailler.

Apprendre à ce public à devenir autonome n’est pas simple. Nicolas Cauzid en sait quelque chose. Moniteur à mi-temps à la plateforme, il anime les séances de bilan mobilité, les cours de code de la route, les stages de formation, et suit le projet des usagers en lien avec leurs prescripteurs. Les autres jours de la semaine, Nicolas est moniteur à l’auto-école sociale, partenaire directe de la plateforme. Là, il accompagne jusqu’au permis de conduire les usagers grâce à une pédagogie adaptée. Rien à voir avec l’auto-école commerciale où il travaillait auparavant : « Je ne pouvais pas aider les personnes vraiment en difficulté. »

Les cours de code qu’il dispense à la plateforme ne remplacent pas ceux de l’auto-école. Au cours des débutants, les personnes sont majoritairement illettrées. Résultat, Nicolas doit leur réexpliquer plusieurs fois la consigne des exercices. Et lorsqu’il demande à ses élèves de résumer le cours de la semaine précédente, silence dans la salle. « Nous avons trop de charge mentale », résume une sexagénaire d’origine maghrébine. Comprendre : trop de problèmes déjà à régler à la maison.

Au-delà des difficultés linguistiques, il faut aussi lever des freins psychologiques. Pas simple quand on n’a pas touché un volant depuis dix ans. C’est le cas de Mina. À 42 ans, elle ne peut plus percevoir le chômage et souhaite retrouver un emploi. Elle a perdu confiance en elle et estime que c’est avant tout le stress qui l’empêche d’être mobile, comme 57 % des usagers interrogés à l’occasion d’une évaluation par la plateforme grenobloise. Israa, 26 ans, pense avoir échoué à plusieurs reprises à l’examen de conduite pour cette même raison. Consciente de ces difficultés, la plateforme a mis en place avec une sophrologue un atelier « gestion du stress ». Un stage qui remporte un grand succès chez les usagers. « Normal, affirme Valérie Grodzick, directrice de la plateforme, les gens s’écoutent pour la première fois. » Mais d’autres limites entrent aussi en compte. « Telles que l’âge et l’incapacité de se mettre en mouvement », assure Marie-Laure Escoffier, monitrice mobilité. Christian Moutet abonde dans son sens : « Même avec deux cents heures de conduite, certaines personnes ne pourraient pas obtenir leur permis… ».

Faire de l’éducation.

Les résultats obtenus en témoignent. Seules 10 % des personnes suivies à la plateforme ont les capacités de s’inscrire à l’auto-école citoyenne. Leurs candidatures sont examinées régulièrement par une commission d’entrée. Les heureux élus peuvent bénéficier de cinquante heures de cours de conduite et ne déboursent que 500 euros. Et pour l’écrasante majorité restante ? Eh bien, la plateforme affiche de bons résultats. D’après une enquête interne réalisée en 2016, deux tiers des usagers ont déclaré avoir progressé dans leurs pratiques en mobilité à la suite de leur passage à la plateforme. 45 % d’entre eux ont vu leur situation d’emploi améliorée ou stabilisée. Objectif atteint donc. C’est que la mobilité ne se limite pas à l’apprentissage de la conduite. Et que la plateforme sait fait preuve d’imagination, même pour les cas les plus complexes.

Apprendre à faire du vélo, par exemple, est l’une des alternatives proposées. Avec le stage de vélo-école, certains bénéficiaires adoptent ce nouveau moyen de locomotion et ne veulent plus entendre parler du permis. Les usagers ont aussi à leur disposition de nombreuses formations destinées à les rendre mobiles. En dehors des cours de code, ils sont ainsi invités à participer à des stages thématiques : « utilisation de l’informatique (itinéraire) », « gestion du temps » ou encore « orientation et déplacements ». Ils apprennent à se servir d’une boussole, à se repérer grâce aux montagnes grenobloises ou à lire un plan. Car pour beaucoup, le Nord est situé « en haut », comme sur les cartes… Des problèmes d’orientation qui leur faisaient jusque-là manquer leurs rendez-vous professionnels. Grâce à l’atelier « gestion du temps », les usagers apprennent aussi à se servir d’un agenda et à éviter le système des post-it. Et pour leur rappeler qu’il faut respecter les horaires, un feu tricolore a été installé à l’accueil. Lorsqu’il passe au rouge, les élèves n’ont plus le droit d’entrer dans la salle de classe. Pour de nombreux usagers, tous ces ateliers sont ainsi l’occasion de développer des savoir-être et d’acquérir des compétences requises dans le monde du travail. Sur le long terme, ces formations les rapprochent de l’emploi. « Même les cours de code sont avant tout un moyen de faire de l’éducation », résume Nicolas. « Finalement, le permis de conduire, c’est une carotte », renchérit Valérie Grodzick.

D’autres plateformes affichent elles aussi d’excellents résultats. Comme celles de l’association Wimoov. Créée en 1995 sur la base du covoiturage, financée en partie par Total, elle dispose aujourd’hui de 25 agences de mobilité en France, chacune adaptée aux particularités du territoire. Son site internet assure que 50 % de ses usagers retrouvent un emploi grâce à leurs services. Conséquence, les pouvoirs publics manifestent de l’intérêt pour ces initiatives, qui essaiment partout en France. D’après Florence Gilbert, la directrice de Wimoov, il existe environ une cinquantaine de plateformes mobilité. Difficile pourtant de les comptabiliser, car, d’après le CGET, le terme de « plateforme de mobilité » n’a pas été encore labellisé.

Passer à la vitesse supérieure.

Les territoires ruraux, dans lesquels les plateformes s’implantent aussi. D’après le CGET, 60 % des personnes accompagnées par les plateformes rurales décrochent un emploi. Un chiffre qui fait rêver le gouvernement. Le 14 septembre 2015, le président de la République a affirmé, lors du comité interministériel aux ruralités, vouloir créer 100 plateformes de mobilité dans les bourgs-centres. Pourtant, le CGET a convenu que « peu d’initiatives ont pu être soutenues en 2016 ». La faute aux collectivités et aux associations qui ont déposé leur projet trop tard dans l’année pour bénéficier des crédits disponibles. Mais aussi aux préfectures qui géraient ces financements. Connaissant mal le dispositif des plateformes de mobilité, les services déconcentrés de l’État ont préféré allouer finalement les subventions à d’autres actions sur le territoire. Au CGET, on assure que les choses seront différentes cette année. Dans une circulaire datée de janvier, Jean-Michel Baylet, ministre de l’Aménagement du territoire, de la Ruralité et des Collectivités territoriales, a bien souligné que les investissements de l’État dans les territoires ruraux devaient soutenir les projets de plateforme de mobilité. Surtout, le CGET prévoit de diffuser un guide méthodologique à destination des préfectures pour les informer sur ces nouveaux dispositifs, mal connus jusque-là. De quoi passer la vitesse supérieure en 2017.

En chiffres

1/2

Une personne sur deux en insertion a déjà refusé un emploi ou une formation pour des raisons de mobilité.

60 %

Des personnes accompagnées par les plateformes de mobilité rurales décrochent un emploi.

Source : Commissariat général à l’égalité des territoires.

Conseiller mobilité, un métier qui se professionnalise

Bien que récent, le dispositif des plateformes de mobilité s’impose progressivement. Pour preuve, les métiers qui les composent sont en train de se professionnaliser. En février, le Laboratoire de la mobilité inclusive, en partenariat avec l’université Paris-Est et l’École d’urbanisme de Paris, a lancé le premier diplôme interuniversitaire (DIU) pour devenir conseiller mobilité insertion. Durant dix mois, les futurs conseillers pourront acquérir des compétences dans le domaine de l’intervention sociale mais aussi dans celui du transport, des politiques publiques ou des sciences de l’éducation. Fini, donc, les travailleurs sociaux d’un côté et les urbanistes de l’autre. « Ce diplôme est l’occasion d’uniformiser les pratiques et de valoriser cette profession qui devient de plus en plus complexe », assure Carole Mano, chargée du projet chez Wimoov. Prix de cette formation professionnelle ? 3 000 euros, sans compter les droits nationaux universitaires pour les salariés. Pour postuler, les candidats doivent avoir un niveau de formation de deux années d’études supérieures et une expérience de deux ans dans le domaine de la mobilité. Au total, douze personnes composent cette première promotion. Une seule est salariée chez Wimoov. Les autres travaillent au sein d’autres opérateurs de mobilité ou pour le compte de collectivités territoriales. Sortiront-ils satisfaits de leur formation ? Réponse en novembre prochain.

Auteur

  • Lou-Eve Popper