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Petit benchmark d’un départ rapide

Idées | Juridique | publié le : 01.05.2019 | Jean-Emmanuel Ray

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Petit benchmark d’un départ rapide

Crédit photo Jean-Emmanuel Ray

Vous avez été chassés par la concurrence, qui veut vous embaucher rapidement : quel type de rupture protège au mieux vos intérêts (indemnités), en tenant compte du versement des allocations-chômage, mais aussi de votre réputation, si importante dans le monde professionnel ?

Côté salarié, quatre prérequis :

1. Ne pas se décider sur un coup de tête, et s’être assuré de l’embauche future. Des pourparlers, même très avancés et fort alléchants, n’ont jamais constitué un contrat à durée indéterminée… avec période d’essai négociable à la baisse, voire un futur préavis payé, même en cas de faute grave (CS, 20 mars 2019). Contracter, c’est prévoir.

2. Ne pas être lié par une clause de non-concurrence, ou de dédit-formation. Sinon le départ peut coûter cher : lourds dommages-intérêts prévus par la clause pénale dans le premier cas, niveau dissuasif du remboursement prévu dans le second.

Bref, toujours relire intégralement son contrat avant de se décider (ex. : bonus lié à la présence, au jour près).

3. Se rapprocher de Pôle emploi pour connaître exactement ses droits : niveau réel de prise en charge, mais aussi délai de carence, voire politique de l’Instance paritaire régionale chargée de statuer sur les cas litigieux…

4. Si la rupture mène inéluctablement aux prud’hommes (ex. : prise d’acte), se constituer des preuves avant le départ.

Côté employeur, une politique générale en ligne avec la culture de l’entreprise doit être définie (respect du préavis de démission, rupture conventionnelle très ouverte, ou non) face à ces multiples cas de ruptures, dont le traitement patronal peut susciter des vocations parmi les meilleurs collaborateurs.

Démissionner ?

Solution naturelle, elle est devenue peau de chagrin avec la création de la rupture conventionnelle homologuée (RCH) en 2008 (437 700 RCH en 2018). Car elle fait perdre indemnités de licenciement et, en principe, allocations-chômage. Et le salarié est lui-même débiteur d’un « préavis », sauf si l’employeur l’en dispense très officiellement en lui versant l’indemnité correspondante : le rêve…

Mais sinon, c’est d’un à trois mois de travail à effectuer, retardant le départ, avec une motivation parfois médiocre, voire des pratiques destinées à séduire l’employeur futur (CS, 31 mars 2015 : copie de tout l’ordinateur professionnel sur un disque dur externe).

Sur ce préavis, une hypocrisie réciproque règne donc parfois.

• Le collaborateur propose lui-même de l’effectuer intégralement (« Je ne peux pas laisser tomber mes équipes ! »), espérant que l’employeur l’en dispensera immédiatement vu ses responsabilités (commercial…), et qu’il partira avec un chèque équivalent.

• Mais l’employeur averti refusant ce bizutage le prendra de haut (« Mais mon cher Hubert, exécuter ton préavis, ce n’est pas une fleur, c’est une obligation légale ! »), et lui demandera de l’exécuter intégralement… dans le seul but de s’entendre répondre que, hélas, cela ne pourra être possible, car Hubert est embauché dans quelques semaines. Plutôt que de saisir les prud’hommes pour tenter de récupérer quelques dommages-intérêts pour ce départ fautif, l’employeur en tirera les conséquences contractuelles habituelles : pas de travail, pas de salaire, ne lui paye aucun préavis, et ne lui fera pas une publicité excessive…

Mais attention ! Une affectueuse lettre titrée « Démission pour motif personnel », contenant un seul grief à l’égard de l’entreprise (« C’était donc super, malgré mes heures supplémentaires non payées / le harcèlement managérial subi l’an dernier », etc..) transforme la démission en prise d’acte.

Prendre acte ?

Méthode radicale restant rarissime, elle est souvent présentée comme un miracle car permettant de partir du jour au lendemain, sans préavis. Une simple lettre reprochant des fautes à l’employeur suffit en effet à rompre immédiatement le contrat : pas besoin de mise en demeure préalable, a indiqué la Cour de cassation, le 3 avril dernier… mais la clause de non-concurrence demeure.

En résumé : si le salarié prend l’initiative de cette rupture, il en impute la responsabilité à l’entreprise, en listant ses griefs dans sa lettre. Se considérant donc comme licencié, il réclame le versement de ses indemnités, mais aussi de dommages-intérêts.

Mais bien peu d’employeurs répondent favorablement à cette demande, dont ils contestent le fondement ou la gravité. Le chômeur doit donc saisir les prud’hommes, censés statuer dans le mois de leur saisine, mais parfois un an après. Et dans l’immédiat, il ne touche aucune allocation-chômage, sauf s’il justifie du non-paiement de son salaire ou d’actes délictueux de son employeur (violences, harcèlements) : mais il doit joindre son dépôt de plainte à sa demande.

Deux conséquences si le salarié, qui avant son départ aura pris soin de réunir des preuves contondantes, a prouvé des « manquements suffisamment graves empêchant la poursuite du contrat de travail » : si le doute ne lui profite pas, il peut cependant évoquer à l’audience des griefs ne figurant pas dans sa lettre. 1. L’entreprise sera condamnée à lui verser indemnités de préavis et de licenciement, plus les dommages-intérêts prévus en cas de défaut de cause réelle et sérieuse, plafonnés… sauf en cas de harcèlement moral ou sexuel, où le régime de la preuve est aussi très favorable. 2. La rupture n’étant plus réputée de son fait, il pourra alors prétendre aux allocations-chômage.

Mais s’il échoue à démontrer ces manquements graves et nécessairement pas trop anciens (CS, 19 décembre 2018), sa rupture aura les effets d’une démission. Son ex-employeur pourra donc lui réclamer « une indemnité compensatrice dont le montant est égal aux salaires correspondants » (CS, 26 octobre 2017) : dissuasif !

Là encore, la morale n’est donc pas toujours au rendez-vous, le collaborateur proposant dans sa lettre d’effectuer un préavis afin d’éviter, si l’affaire tourne mal judiciairement, de devoir payer un an plus tard. Bien que cette curieuse proposition semble contraire à la définition même des griefs justifiant une prise d’acte, la Cour de cassation l’admet : le salarié qui aura gardé des traces de sa proposition et du refus patronal ne pourra pas être condamné sur ce terrain.

Résolution judiciaire ?

Impensable si un départ rapide est indispensable (compter entre six mois et deux ans), elle se révèle en pratique souvent calamiteuse.

Sur les mêmes griefs qu’une prise d’acte (fautes graves patronales), le collaborateur en poste saisit les prud’hommes afin qu’ils prononcent la résolution de son contrat. Avec, en cas de succès, les mêmes effets, mais au jour du prononcé du jugement : indemnités de préavis et de licenciement + dommages-intérêts liés au licenciement dénué de cause réelle et sérieuse. Mais, avantage considérable : en attendant, le salarié travaille et perçoit donc son salaire, ne prenant en droit aucun risque. Car même si sa demande est finalement rejetée (c’est à lui de démontrer la faute, et sa gravité), le contrat se poursuivra comme avant. En théorie…

Car son employeur apprécie rarement ce petit passage aux prud’hommes, avec une ambiance un peu spéciale entre les contractants-plaideurs pendant les mois de la procédure. Dans l’immense majorité des cas, une démission, une prise d’acte, voire un licenciement pour faute, interviennent donc bien avant l’audience… Quand ce n’est pas un très long arrêt maladie concomitant à l’assignation.

Une rupture conventionnelle homologuée ?

A priori consensuelle et donc à privilégier des deux côtés, elle ferme la porte à un contentieux sur les motifs de la rupture, et donne droit à l’équivalent de l’indemnité de licenciement et aux allocations-chômage, si elle est homologuée. Mais un refus de la Direccte est exceptionnel (6 % des demandes), et souvent lié au montant insuffisant de l’indemnité de rupture : erreur, car même s’il s’agit d’une démission déguisée, il ne peut jamais être inférieur au minimum légal. Impossible par ailleurs à mettre en œuvre en moins d’un mois et demi, la RCH exige l’accord de l’employeur, loin d’être acquis vu l’indemnité à verser, a fortiori en cas de départ à la concurrence.

Certaines entreprises refusent d’aider ainsi les démissionnaires à les quitter : mais les grands principes cèdent parfois lorsque le salarié, déjà parti dans sa tête, tombe malade.

Mais cette rupture consensuelle permet une séparation apaisée, sans contentieux ultérieur ni propos téléphoniques pouvant ruiner la réputation de l’ex-collaborateur.

« Le malheur des uns fait le bonheur des autres. » Si l’entreprise doit bientôt monter un plan de départs volontaires ou négocier une généreuse rupture conventionnelle collective, attendre quelques semaines permettra le versement des indemnités de rupture + supra légales + des allocations-chômage. Jackpot.

Jean-Emmanuel Ray

Professeur à Paris I – Sorbonne, directeur du Master 2 « DRH et Droit Social » et à Sciences Po.

Auteur de « Droit du Travail, droit vivant », 27e édition, octobre 2018 (éd. WKF).

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