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Les DRH face au suicide en lien avec le travail

Idées | Recherche | publié le : 01.12.2020 |

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Les DRH face au suicide en lien avec le travail

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Les suicides liés au travail apparaissent comme une véritable onde de choc tant leurs conséquences sont nombreuses. Le récent procès des anciens dirigeants de France Télécom l’a montré : le suicide de salariés peut engager la responsabilité de l’employeur et de ses cadres devant la justice. Malgré ces enjeux ô combien importants, force est de constater qu’il existe une carence de données épidémiologiques permettant de mieux comprendre et de mieux prévenir ces risques. Lorsqu’un cas de suicide survient dans l’entreprise, les DRH se retrouvent en première position sur les questions de santé et de sécurité au travail. Démunis et peu outillés, ces derniers peuvent parfois adopter des stratégies de silence, voire de déni.

Les suicides et les tentatives de suicide liés au travail sont des phénomènes relativement récents en France. Avant les années 2000, les cas répertoriés étaient surtout circonscrits dans des métiers spécifiques, comme l’agriculture, la police et la gendarmerie. Excepté ces secteurs, il existe peu de données fiables sur le nombre de suicides liés au travail. En dehors de quelques enquêtes régionales, les études épidémiologiques sur le sujet restent encore très limitées et peu conclusives. Les médias évaluent entre 300 et 400 cas par an la part des suicides liés au travail en France. Et ce nombre est sans doute sous-estimé.

Il a fallu attendre les séries de suicides qui ont frappé diverses grandes entreprises privées et publiques à partir de 2007 (Renault, France Télécom, Peugeot, BNP Paribas, IBM, HSBC, La Poste, EDF, Sodexho, etc.) pour que le suicide au travail soit propulsé sur le devant de la scène médiatique, contribuant à la prise de conscience collective des « risques psychosociaux au travail » (RPS). Aujourd’hui, le phénomène concerne tous les secteurs d’activité et touche aussi bien les grandes entreprises privées que la fonction publique, à tous les niveaux hiérarchiques (ouvriers, employés, cadres, cadres supérieurs), sans oublier les travailleurs indépendants et les dirigeants de PME.

Une pluralité de causes

Plusieurs raisons expliquent la difficulté de comptabiliser le nombre de suicides en lien avec le travail. L’une des difficultés principales vient du fait que les études sont difficiles à conduire. Le chercheur se heurte au silence des différents acteurs de l’entreprise, tant du côté des membres de la direction que de celui de l’encadrement et des collègues. Par ailleurs, la famille du défunt, souvent choquée, n’est pas toujours disposée à revenir sur cet évènement fortement anxiogène. Cette « conspiration du silence » est souvent renforcée par le sentiment de culpabilité que peuvent ressentir les proches et les collègues qui n’ont pas su détecter les indices du suicide ou pu éviter le passage à l’acte. Une seconde difficulté pour les chercheurs provient de la complexité du suicide. Le lien de causalité entre le travail et la genèse des actes suicidaires n’est pas facile à établir. Les raisons du suicide sont souvent multifactorielles. Le suicide peut résulter à la fois de difficultés économiques, professionnelles, personnelles et/ou familiales. Ainsi, imputer un tel acte à des conditions de travail dégradées ou à des modes de gestion particulièrement délétères est parfois difficile à prouver.

Les stratégies de défense des DRH

Les modes de gestion des suicides en lien avec le travail par les directions – y compris par les DRH – et le management sont très instructifs. Ils montrent que les entreprises ont principalement recours à deux stratégies de défense simultanées. La première consiste à cacher les suicides, à minimiser, ou tout simplement à nier, toute responsabilité directe de l’organisation dans la survenue de ces situations dramatiques. Les causes sont alors renvoyées à la vie personnelle des victimes, en accusant leur fragilité, leurs antécédents psychologiques, leur état dépressif ou encore leur situation familiale dégradée. La responsabilité des suicides est reportée sur les salariés, même si l’organisation du travail et les méthodes de management sont clairement incriminées dans les lettres d’adieu laissées par les victimes ou dans les témoignages des proches. La surcharge de travail, l’isolement professionnel, le harcèlement moral, la pression du temps et des délais, le manque de reconnaissance, la perte d’autonomie, la mobilité forcée, la mise en concurrence des travailleurs ou les évaluations sur la base de critères arbitraires, les interactions difficiles avec le public constituent autant de facteurs pouvant conduire à l’acte suicidaire. La seconde stratégie de défense consiste à rationaliser le suicide par une approche statistique afin de démontrer qu’ils ne sont pas surreprésentés dans l’entreprise par rapport à leur fréquence dans l’ensemble de la population. La hiérarchie de l’entreprise mobilise alors la rigueur statistique pour tenter de créer le doute sur le lien avéré entre les conditions de travail et les actes suicidaires des travailleurs. Chez France Télécom, les vagues de suicides entre 2007 et 2009 ont été présentées par la direction comme des actes isolés relevant d’aléas extérieurs à l’entreprise. La direction de l’époque parlera même « d’effet de mode ».

Les multiples implications pour l’entreprise

Les dirigeants, les personnels d’encadrement, les DRH et les responsables RH peinent à prendre à bras-le-corps cette question des RPS et du suicide au travail. Premièrement, le suicide d’un salarié, notamment sur son lieu de travail, est un vrai traumatisme tant du côté des travailleurs que de celui des dirigeants. Outre le choc émotionnel qu’il peut provoquer au niveau individuel, un tel geste est vécu comme une violence portée au corps social de l’entreprise. Dans certains cas, les salariés sont souvent abandonnés et se retrouvent à gérer seuls la charge traumatique et leur chagrin, ce qui provoque angoisse, ressentiment, colère, honte et insécurité. Aussi, les suicides peuvent faire rapidement l’objet de revendications sociales de la part des syndicats quant aux conditions de travail délétères et pathogènes. Deuxièmement, les suicides sur les lieux de travail ne sont pas sans incidence sur l’image sociale de l’entreprise, qui peut se dégrader durablement et être perçue comme une organisation qui exploite et qui broie ses salariés. Enfin, rappelons qu’en vertu de l’article L 4121-1 du Code du travail, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et pour protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Aussi, il court des risques importants sur le plan pénal et financier si les suicides sont requalifiés en accident de travail. Sur le plan matériel et financier, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur concernant une situation de suicide ouvre un droit à une réparation complémentaire en plus de la réparation forfaitaire habituellement versée une fois l’accident de travail reconnu (article L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale).

Des recommandations non exhaustives pour prévenir le suicide

L’entreprise doit sortir du silence, du déni, et mettre le travail en débat afin de mener une politique efficace en matière de prévention des RPS. Cette dernière reste généralement tournée essentiellement vers l’individu à qui on apprend à gérer son stress, à respirer, à faire de la relaxation et de la méditation, sans prendre en compte les conditions de travail dans lesquelles il évolue. Cela ne change rien à ses rapports au travail et à ses collègues. Au-delà de ces actions individuelles, la prévention doit porter sur l’organisation et sur le collectif de travail, et se positionner en faveur d’une meilleure prise en compte des RPS liés aux conditions de travail. La DRH doit être au cœur de la prévention des suicides au travail et, par conséquent, avoir le courage de l’action et de la prévention qui doit comprendre plusieurs volets, destinés à les combattre et, si possible, à les anéantir.

• Tout d’abord, elle doit sensibiliser, mobiliser et former tous les acteurs tels que la direction, les managers de proximité, le comité social et économique (CSE), le médecin du travail et les salariés aux enjeux de la prévention des suicides et des RPS. Cette première étape se présente comme obligatoire au regard de l’article L 4121-1 du Code du travail. La DRH peut se faire assister dans cette mission par des spécialistes de la gestion de la souffrance au travail (psychosociologues du travail, ergonomes, spécialistes de la gestion du stress, etc.) ;

• par la suite, la DRH, avec le concours des travailleurs et des managers, peut repenser l’organisation du travail pour gérer les RPS et, plus généralement, pour améliorer la qualité de vie au travail. L’amélioration des conditions de travail et de l’autonomie au travail, l’enrichissement des tâches, l’aménagement du temps de travail, la maîtrise de la charge de travail ou la prise en compte de l’intérêt du collectif et du soutien social peuvent être quelques-unes des solutions en faveur d’une meilleure prise en compte de la santé mentale au travail ;

• par ailleurs, la DRH doit aussi outiller les managers qui peuvent devenir de vrais acteurs de la prévention. Il s’agit, entre autres, de former les managers et les cadres de proximité à la détection des signes révélateurs d’une souffrance au travail ou de ceux avant-coureurs d’un possible passage à l’acte suicidaire, notamment chez les salariés vulnérables (isolement de l’individu, sentiment d’impuissance radicale, changement total d’attitudes ou de comportements, sentiment de dévalorisation, perte d’estime de soi, etc.) ;

• enfin, la DRH peut suivre les indicateurs psychosociaux quand ils deviennent collectifs en touchant simultanément plusieurs salariés : les taux d’absentéisme et d’accidents du travail/de maladies professionnelles, les démissions avec leurs causes, les turn-overs, les demandes de changements de service, l’existence de procédures judiciaires en cours, etc.

À défaut, l’entreprise court le risque d’être tenue en partie responsable devant les tribunaux, comme ce fut récemment le cas pour plusieurs grands groupes français. Pour finir, il convient d’intégrer cette problématique du suicide au travail dans les parcours de formation.