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L’intérim veut doper la mobilité professionnelle

À la une | publié le : 20.01.2021 | Laurence Estival

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L’intérim veut doper la mobilité professionnelle

Crédit photo Laurence Estival

CDI apprenants, EDEC, initiative « une main tendue vers l’emploi »… Le secteur du travail temporaire est sur le pont pour sécuriser le parcours des intérimaires fortement impactés par la crise mais aussi pour attirer, via des dispositifs innovants, des candidats dépourvus des qualifications requises vers les métiers en tension.

Depuis la mi-novembre, Tanys Marie-Julie, 21 ans, découvre ce qui sera demain son prochain environnement de travail. Pour ce jeune en recherche d’emploi qui a fait ses premières armes dans le secteur commercial, postuler pour devenir mécanicien n’avait rien d’évident… La fin de son contrat avec son précédent employeur et les difficultés nées de la crise pour décrocher un job dans le même secteur ont cependant changé la donne. « J’ai découvert, par l’intermédiaire de Pôle emploi, l’offre déposée par Adecco qui proposait à des candidats intéressés par le secteur de la maintenance de pouvoir signer un CDI pour suivre une formation en alternance », raconte-t-il. Après avoir passé des tests visant à vérifier sa volonté d’aller jusqu’au bout de la démarche, un entretien avec l’agence locale du géant de l’intérim évalue sa capacité à apprendre et décèle les savoir-faire qu’il a déjà mis en œuvre dans d’autres secteurs d’activité, avant de l’orienter vers AEB, une entreprise de vente et de location de matériels de travaux publics dans lequel il va effectuer la partie « terrain » de sa formation avant d’y être probablement embauché. Depuis lors, il fait partie de la première promotion de candidats qui viennent d’intégrer le parcours sur mesure mis en place avec un CFA de la région pour préparer pendant dix-huit mois la CQP Maintenance de matériel. Cette proposition représente une véritable aubaine pour Tanys bien sûr, mais aussi pour Fabien Pichereau, le DRH d’AEB : « Ce CDI apprenant est un moyen de pallier nos difficultés chroniques de recrutement. Les filières de formation classique dans les lycées professionnels ou par apprentissage ne sont pas suffisantes pour répondre à nos besoins, le nombre de jeunes choisissant ces filières étant réduit. Cela faisait déjà plusieurs années que nous recherchions des solutions alternatives pour pourvoir les 150 emplois de mécaniciens dont nous avons besoin chaque année, du fait des départs à la retraite, du turn-over mais aussi du développement de l’entreprise », pointe-t-il. L’entreprise a même recruté pendant le confinement des candidats ayant les compétences recherchées, et les a immédiatement mis en activité partielle pour pouvoir rapidement reprendre son activité dès le retour de ses clients.

 
La formation au centre des dispositifs

D’ici fin 2021, 15 000 candidats devraient bénéficier de ce dispositif baptisé « CDI Apprenant » déployé par Adecco pour sécuriser, via la signature d’un CDI, les trajectoires professionnelles des salariés et demandeurs d’emploi. Objectif : créer des passerelles permettant de se repositionner au sein de son entreprise ou de se réorienter vers des métiers en tension sans avoir au préalable les compétences nécessaires pour occuper ces postes. « Les entreprises n’ont pas cessé de nous contacter en dépit de la crise. Notre filiale Adecco Analytics a recensé, entre mars et septembre, 400 000 offres d’emploi en France qui ne parviennent pas à être pourvues en raison de la pénurie de candidats formés correspondant aux attentes des employeurs », explique Florence Oumerretane, directrice CDI Intérimaire Groupe. Elle souligne qu’une majorité de ces offres correspondait à 17 métiers, allant d’aides-soignants à conducteurs de poids lourds, en passant par plombier-chauffagiste, maçon ou technicien fibre optique.

L’idée de monter un dispositif ad hoc pour former, sur de longues durées, des candidats susceptibles d’être intéressés par ces postes fait alors son chemin. De ces cogitations est issu le CDI Apprenant qui a des points communs avec le CDI Intérimaire mais s’en différencie par son approche : « Dans le CDI Intérimaire, la formation s’intercale entre deux missions. Dans le CDI Apprenant, la formation est l’objet même du contrat que nous signons avec les candidats », ajoute la responsable. Ce type de contrat, rémunéré par le groupe autour du Smic, intègre alors un parcours en alternance, compris entre 400 et 600 heures et va être détaché chez un ou plusieurs employeurs durant les périodes en entreprise. Si ce dispositif n’est pas réservé aux seules personnes éloignées du marché de l’emploi, les salariés les moins qualifiés par rapport aux évolutions du marché du travail sont en réalité les principales cibles.

 
Des solutions au plus proche du terrain

« Se former est pour beaucoup d’entre eux une façon d’acquérir les compétences qu’ils n’ont pas afin de pouvoir profiter de la relance quand celle-ci va se manifester, ajoute Florence Oumerretane. C’est pourquoi nous avons décidé d’aller vite. » La force de ces CDI Apprenants est aussi de s’inscrire dans des dynamiques territoriales – les offres sont spécifiques selon les bassins d’emploi – et d’être devenus une des briques supplémentaires aux mains des consultants qui interviennent dans le cadre de restructurations industrielles. Toutes les entreprises n’étant pas dans la même situation, il s’agit alors de mettre en relation celles qui recrutent et celles qui doivent se séparer de leurs collaborateurs. Dans cette alchimie, « la possibilité d’utiliser l’outil formation est une manière de débloquer ses situations », remarque Charlotte Bonnet, responsable sourcing volumique Adecco qui encadre l’équipe basée à Lyon en charge de pré-qualifier et identifier les candidats au CDI Apprenant au niveau national.

Reste qu’en dépit de tout ce travail de maillage sectoriel et territorial, tous les salariés peu qualifiés n’ont malheureusement pas le « socle de compétences » leur permettant de saisir la perche tendue… Selon Prism’Emploi, la branche du travail temporaire qui a signé un EDEC (Engagement développement et compétences) avec l’État, afin d’accélérer la reconversion des salariés intérimaires vers les métiers en tension ou en évolution, 9 % des intérimaires sont illettrés et la certification CLéA qui évalue les connaissances et compétences de base des salariés peu qualifiés n’est pas toujours adaptée à leur parcours. « Les partenaires sociaux reconnaissent qu’ils ont été trop ambitieux sur certains éléments, reconnaît Isabelle Eynaud-Chevalier, la déléguée générale de la branche du travail temporaire. Ils n’ont pas pris acte du fait que la formation initiale telle qu’elle est conçue aujourd’hui n’assure pas le même socle qu’il y a vingt ou trente ans. Les phases de tests peuvent être assez cruelles car il y a aussi parfois un éloignement par rapport à des prérequis basiques : arriver à l’heure, avoir un bon comportement. C’est sélectif pour une partie de la population. »

 
Faire tomber les préjugés

Pour dépasser ce constat, d’autres initiatives voient le jour. À l’image du projet « une main tendue vers l’emploi », de l’institut Randstad. « Notre mission étant d’accompagner les personnes éloignées du marché du travail vers un retour durable dans l’emploi, nous avions déjà noué des partenariats avec des associations qui œuvrent sur le terrain. Lors du premier confinement, nous avions organisé des webinaires avec ces partenaires, pour mieux cerner leurs besoins et identifier les profils que nous pourrions positionner sur les missions d’intérim proposées par notre groupe », indique Ana de Boa Esperança, déléguée générale de la structure. Cette démarche a été approfondie avec le deuxième confinement. En s’appuyant sur les compétences transversales des candidats potentiels repérés, l’objectif est de leur assurer 15 000 heures de mission d’ici la fin du mois de janvier. Pendant trois mois, les conseillers dans les agences Randstad ont épluché les offres pour essayer de faire coïncider l’offre et la demande de travail. Ils ont mis également leur réseau à contribution pour inciter certains de leurs contacts à tenter l’expérience. « Pour nous, il s’agit d’une première expérimentation qui pourrait être renouvelée à une plus grande échelle. C’est un moyen de faire tomber les stéréotypes et de mettre le pied à l’étrier à des personnes pour lesquelles cette opportunité peut être un tremplin », poursuit la responsable.

Seul le recul permettra de juger l’impact de ces démarches mises en place dans le secteur de l’intérim. « Il n’y a pas une solution miracle, prévient Ana de Boa Esperança. C’est la multiplication des actions avec la mobilisation des expertises et l’accompagnement des plus fragiles qui permettront sans aucun doute de lever les freins à la mobilité professionnelle. » Un sacré chantier.

Auteur

  • Laurence Estival