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PGE : l’épée de Damoclès ?

Décodages | Aide aux entreprises | publié le : 01.11.2022 | Murielle Wolski

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PGE : l’épée de Damoclès ?

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Le prêt garanti par l’État a fait intrusion dans la vie des chefs d’entreprise il y a maintenant plus de deux ans. Aussi, vient désormais le temps du remboursement… avec parfois des grincements de dents. Toutefois, des recours existent.

Qui pour parler du prêt garanti par l’État (PGE) ? Et de son remboursement ? Le sujet est de plus en plus d’actualité. 700 000 entreprises en ont bénéficié, pour un montant total de 140 milliards d’euros – soit le double du budget 2022 du ministère de l’Éducation nationale, ou, autre mesure étalon, soit près de six fois le budget de l’Enseignement supérieur, cette même année. Il est loin d’être un fétu de paille ! Avec un an, puis deux ans de franchise accordés par l’État, l’heure du remboursement a sonné. D’après la Banque de France, sur les PGE souscrits en 2020, 44 % des entreprises souscriptrices ont choisi de le faire dès 2021. 56 % ont décalé à 2022, pour leur grande majorité au deuxième trimestre 2022… avec quelques grains de sable dans la mécanique.

Lorsqu’il s’agit d’interroger les entreprises sur leur situation face aux PGE, les souscriptrices ne se bousculent pas au portillon pour répondre. « Tout le monde a un problème, note Isabelle Saladin, présidente et fondatrice du réseau d’operating partners I&S Adviser, et par ailleurs à la tête du club d’entrepreneurs Les Rebondisseurs français. Il n’y a rien d’exceptionnel à en avoir un. Aujourd’hui, ce sont ceux qui n’ont pas de problème qui devraient lever la main. » Le cadre est posé.

Un bouc émissaire ?

Retour en arrière, le 25 mars 2020, date de création du prêt garanti par l’État, soit neuf jours après le discours d’Emmanuel Macron portant sur la crise sanitaire. « On a vécu une vraie ruée vers l’argent gratuit et facile à hauteur de 25 % du chiffre d’affaires d’avant la crise, se souvient Claude Calmon, fondateur de Calmon Partners Group, cabinet de conseil en recrutement, collecte de fonds et média. Sauf qu’il ne s’agissait pas d’un don. On a voulu sauver la « start-up nation » à grands coups de milliards, maintenant il va falloir rembourser. » Ce point aurait-il pu échapper à certains ? L’expert en restructurations, Cédric Joubert, directeur associé pour Aca Nexia, cabinet indépendant d’audit et d’expertise comptable, le confirme : « Ce n’est pas un faux emprunt, comme beaucoup ont pu le penser. »

Aujourd’hui, la catastrophe annoncée a-t-elle bien lieu ? « Des dossiers commencent à arriver, analyse Alexandre Bortolus, administrateur judiciaire pour Cardon &Bortolus, à Troyes. Environ une dizaine, depuis le mois de juin. Ce n’est pas de quoi submerger nos études. Et il n’y a aucun dossier dans lequel la dette émanerait du seul PGE, même si on le retrouve dans tous. Les entreprises renouent avec leur situation d’avant-Covid. Ce dispositif-là – le PGE – sert davantage de bouc émissaire. » Pas de pile impressionnante de nouvelles affaires non plus à Orvault, dans la région Pays de la Loire, dans le bureau de Fabienne Riou, mandataire ad hoc, conciliatrice auprès des tribunaux. « En le souscrivant, les dirigeants ne pensaient pas que la situation allait s’aggraver à ce point, détaille la fondatrice de Conseil R. Mais, avec la crise diplomatique entre l’Ukraine et la Russie, l’envolée des prix des matières premières, etc., le cadeau d’hier devient empoisonné. » Il ne l’était pas, mais il l’est devenu. De là à penser que ce prêt particulier serait à l’origine des difficultés d’une entreprise, il y a un pas, que ne franchit pas Fabienne Riou. Elle n’a pas encore croisé ce cas de figure. « C’est plus du registre de la légende urbaine, aujourd’hui », ponctue-t-elle.

Le regard d’Aurélien Loric, avocat associé au sein du cabinet Eversheds Sutherland France, diffère quelque peu. « La montée des eaux arrive », souligne ce professionnel, plus habitué à travailler avec les grosses PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI). Aujourd’hui, ce sont cinq gros dossiers qui s’empilent sur son bureau, tous relatifs à des endettements de plus de 300 millions d’euros. Et le nombre d’entreprises défaillantes augmente. « L’inquiétude progresse chez les dirigeants dans l’industrie et le tourisme. Toutefois, les sociétés qui avaient des fondamentaux sains ont eu parfois du mal à décrocher un PGE. C’était d’ailleurs mal récompenser des efforts de bonne gestion. Il y avait là un aspect paradoxal. En l’absence de banque déjà exposée, la réticence était de mise pour se voir accorder un PGE », détaille-t-il.

Ce dispositif de financement est une couche supplémentaire sur un millefeuille déjà peu digeste. Mais pas pour toutes les entreprises. Le taux de défaut se situe (seulement) autour de 3 %, contre les 7 % initialement prévus. « Certaines entreprises ont réussi à augmenter leurs bénéfices pendant la période, surfant sur les nouveaux besoins de l’économie, comme la transition numérique », souligne Emmanuelle Vicidomini, avocate associée en droit bancaire et financier au sein du cabinet Sekri Valentin Zerrouk. Ainsi, Yann Gabay a profité de ce relai de trésorerie pour développer et inscrire de nouvelles formations au catalogue d’Oreegami, l’académie de marketing digital et de la publicité en ligne : « Cette période a été l’occasion de requestionner notre business model. »

 

Pas de frein à l’investissement.

« Si j’avais su, j’aurais fait autrement, explique Tanguy Hugues, directeur général de Nocta, agence de marketing et de communication globale à Nice. Je cours pour rattraper ma situation, mon endettement. Mais le couperet tombe, avec le remboursement. Et l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (Urssaf) ne permet pas un étalement des sommes dues… » La tête dans le guidon, difficile aussi aujourd’hui de prendre les bonnes décisions. « Les chefs d’entreprise ne sont pas formés, déplore Cédric Joubert, directeur associé restructuring pour Aca Nexia, cabinet indépendant d’audit et d’expertise comptable. Les tentatives de sensibilisation sont peu efficaces. Ni les notions de droit ni les enjeux ne leur paraissent accessibles. Aussi, dans ce genre de situation, être entouré est essentiel, d’autant plus qu’ils arrivent déjà fatigués par ce qui les a conduits à en être à ce stade-là. » Experts-comptables, mandataires ad hoc, avocats, conseillers départementaux de la Banque de France… il y a pléthore d’interlocuteurs possibles. Selon la Banque de France, pas moins de 800 contacts sont recensés par mois par les correspondants TPE-PME départementaux – le territoire national en compte au total 102. « Beaucoup d’aides existent pour les entreprises, insiste Frédéric Visnovsky, médiateur du crédit en France, mais ces dernières ne savent pas forcément auxquelles prétendre. »

Remboursement versus investissement ? « On l’entend, reconnaît Frédéric Visnovsky, mais on ne le voit pas dans les chiffres. L’endettement des entreprises a augmenté de 50 milliards depuis fin juillet, soit une progression de 7 % des encours de crédit. Les indicateurs sont positifs, même si 2023 sera synonyme d’une petite croissance, moins favorable que les années 2021 et 2022. Donc, si les sociétés empruntent, c’est bien que les banques prêtent. » La Banque de France a mené une étude sur 180 000 entreprises. Résultat : un chiffre d’affaires en hausse en 2021, des fonds propres également, un taux d’endettement à la baisse… Et 40 % des PGE toujours en compte. Une vision optimiste, confirmée par la CPME : sur 2 362 entreprises sondées en juillet dernier, 84 % des entreprises qui ont eu recours au PGE considèrent avoir la capacité de le rembourser. En décembre 2021, elles étaient 71 %.

 
Restructuration en cours.

« Je leur demande de créer de la dette, explique Fabienne Riou. Pourquoi ne pas activer la discussion avec le bailleur pendant trois ou quatre mois ? Avec les fournisseurs ?… Alors, la négociation sera possible. Il ne faut pas se départir de sa trésorerie. » Elle entrevoit plusieurs scénarios possibles : la procédure amiable ; la procédure collective… « Sous le sceau du secret, car les banques et les fournisseurs ne le savent pas, la rentabilité de l’entreprise est passée en revue, la structure de la dette décortiquée, détaille Alexandre Bortolus. Si les difficultés sont prégnantes, alors la procédure collective prend le relais. La décision est prise par le tribunal, qui l’impose à tous les créanciers, qu’ils soient d’accord ou pas. »

Quelle nouvelle organisation prendre ? La même ? Une autre ? Quel modèle économique adopter ? Quels sont les besoins actuels des clients ? Où se situe-t-on dans la transition numérique ? Transition énergétique ?… Autant de questions à se poser pour assainir les fondamentaux. Un conseil d’Isabelle Saladin est « de ne pas faire l’autruche. Et ne pas naviguer à vue. Tout le monde essaie de finir l’année. Les services sont moins touchés que les secteurs industriels ou techniques, qui sont confrontés à plusieurs phénomènes à la fois : hausse des matières premières, énergies… Et il faut investir dans chacun. C’est une question de souveraineté nationale… »

« Mais il n’y a pas péril en la demeure, note Claude Calmon. Car, la France est la championne du monde des aides. PGE, chômage partiel… aucun pays n’a bénéficié de ces différents dispositifs. » Et ce n’est peut-être pas le dernier…

 
Nouveau coup de pouce de l’État ?

L’État pourrait-il aller plus loin ? Suspendre le remboursement ? Des questions récurrentes dans la bouche de certains petits entrepreneurs, notamment. « Ce n’est pas une affaire franco-française, souligne Frédéric Visnovsky, mais une déclinaison française d’un texte européen au départ. Les gens pensent que tout est possible, mais cela doit s’effectuer dans le cadre européen. À chaque fois, la France doit demander l’accord de l’Europe. La France seule ne peut pas suspendre les règles établies. Faire croire qu’il y aurait des solutions miracles n’est pas sérieux, sauf si l’Europe décide de nouvelles dispositions. »

Lundi 10 octobre 2022, rendez-vous est donné par la Banque de France pour des conférences de quarante-cinq minutes à une heure trente. La plus courte a pour sujet l’accompagnement et le financement des entreprises, du rôle des banques à celui de la médiation. « Nul ne connaît les critères déterminants pour être éligibles à la médiation, s’agace Isabelle Saladin. Les contours sont sombres. Tout le monde n’est pas connecté à la Banque de France. Actuellement, les dirigeants travaillent leurs comptes prévisionnels. C’est un vrai sujet. » Et dans le viseur d’Isabelle Saladin ? Le dossier Pierre et Vacances : un milliard de dettes, 270 millions accordés au titre du PGE, et maintenant… ? L’État est devenu actionnaire. Une mécanique de conversion s’est opérée. On efface l’ardoise ? « L’État attend un retour à meilleure fortune », explique Aurélien Loric, qui a travaillé sur le dossier. « Est-ce que l’on a envie d’avoir l’État comme actionnaire ? Il devient alors l’une des voix à qui l’entreprise doit rendre des comptes à chaque conseil d’administration », interroge Isabelle Saladin.

Saisine de la médiation en quelques chiffres

La Banque de France tient les comptes. Une façon de répondre aux critiques sur le flou artistique qui entoure la procédure de médiation. 1 770 dossiers éligibles depuis le début de l’année 2022, et près de 8 000 emplois conservés.

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  • Murielle Wolski