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Politique sociale

Les think tanks sociaux des présidentiables

Politique sociale | publié le : 01.05.2006 | Corinne Rieber, Jean-Paul Coulange

Du cercle informel à la structure officielle, pour nourrir idées et programmes en matière sociale, les leaders de tout bord s'appuient sur une pléthore d'experts. Visite guidée de leurs réseaux.

NICOLAS SARKOZY

Une boîte à idées éclectique pour faire son marché

Quand une idée est intéressante, elle finit toujours par converger vers le patron. » Le patron en question, c'est Nicolas Sarkozy, et l'auteur de ces propos, Emmanuelle Mignon, la jeune directrice des études de l'UMP. Une énarque qui est chargée de faire phosphorer les équipes de la Rue La Boétie en vue de l'échéance présidentielle. « J'anime une structure hypertemporaire car, en cas d'échec en 2007, il n'y aura plus d'argent », dit-elle. En attendant et d'ici à l'été, les 32 groupes de travail thématique, composés de technos, d'experts, d'universitaires, vont tourner à plein régime pour alimenter la boîte à idées du futur candidat de l'UMP. « Et Nicolas Sarkozy fera son marché là-dedans », explique encore Emmanuelle Mignon, qui affirme n'avoir que l'embarras du choix pour attirer les experts. Ces derniers temps, le téléphone n'aurait pas cessé de sonner au siège de l'UMP. Cela tombe bien, car le principe est de ratisser large, de tester les propositions et d'auditionner des gens de tout bord. Idem lors des conventions nationales, qui ont vu défiler Patrick Weil, Gérard Aschieri, de la FSU, ou encore le constitutionnaliste du PS Guy Carcassonne. Mais cet éclectisme risque d'être mis à mal lorsque les échéances électorales vont se rapprocher.

Sur les plans économique et social, Nicolas Sarkozy forge son corps de doctrine à partir de quelques morceaux de choix : le rapport de Pierre Cahuc et Francis Kramarz sur la sécurisation des parcours professionnels, jugé « incontournable » même s'il mérite d'être « encore affiné », celui de Michel Camdessus sur la compétitivité de la France, de Michel Pébereau sur la dette, de Christian Saint-Étienne sur la fiscalité ou encore celui de Patrick Artus et du professeur Fontanier sur le commerce extérieur. De quoi entonner le grand air de la rupture cher au président de l'UMP. Le parti présidé par Nicolas Sarkozy noue également des contacts avec des cercles de réflexion de toute obédience, de l'Institut Montaigne, think tank libéral de Claude Bébéar, au Club 89 animé par Jacques Toubon, sans oublier le Club XXIe siècle, une association créée par de jeunes cadres d'origine immigrée pour promouvoir la diversité dans la société française.

En revanche, les ponts – et les crédits – sont coupés depuis l'été 2005 avec Fondapole, la Fondation pour l'innovation politique, créée en 2004 par Jérôme Monod, conseiller politique de Jacques Chirac, et dirigée par l'universitaire Franck Debié, responsable du Centre de géostratégie de l'École normale supérieure et ancien directeur des études de l'UMP. Et accusée de chiraquisme avancé. Mais Nicolas Sarkozy n'a pas renoncé à se doter de son propre think tank. Et Emmanuelle Mignon se prend à rêver d'une fondation sur le modèle de la Fondation Konrad Adenauer, mise sur pied il y a une cinquantaine d'années par les chrétiens-démocrates allemands. Budget annuel : 100 millions d'euros !

FRANÇOIS BAYROU

Des experts au service d'une intuition

La lumière ne jaillit pas des experts ! Et pour cause : les grandes écoles formatent les intellectuels à la pensée unique et les rendent frileux à toute réforme », affirme Hervé Morin. Le bras droit de François Bayrou, qui coordonne le projet centriste, mise sur l'intuition, nourrie de rencontres. François Bayrou compte ainsi parmi ses fidèles des intellectuels comme le philosophe Alain Finkielkraut et l'économiste Christian Saint-Étienne, membre du Conseil d'analyse économique. Le président de l'UDF côtoie également des grands patrons : Henri de Castries (Axa), Gérard Mestrallet (Suez) ou Jean-Louis Beffa (Saint-Gobain). Comme en 2002, il a chargé Hervé Morin de créer ou de réactiver des réseaux. Ainsi, le cercle économique Sully rassemble, depuis mars 2005, plus de 200 dirigeants de petites et de grandes entreprises. À sa tête, Michel de Fabiani, l'ex-président de BP Europe. « Nous ne sommes pas là pour produire des rapports mais pour témoigner de notre expérience et influencer les politiques. » « Il s'agit pour nous de prendre le pouls de la société civile, de comprendre où se situent les points de blocage », confirme Hervé Morin. Des forums participatifs sur Internet constituent un autre baromètre. Parallèlement, le président du groupe UDF à l'Assemblée a réactivé son club de réflexion Tout mieux où se retrouvent avocats, médecins, architectes, experts-comptables, chefs d'entreprise, DRH, syndicalistes et hauts fonctionnaires. « Le rôle de ces experts est de tester nos idées ou de les mettre en œuvre techniquement et juridiquement », explique Hervé Morin, qui avoue se défier des technos.

FRANÇOIS HOLLANDE

À la tête de la fusée PS

Premier secrétaire avant d'être candidat déclaré à l'investiture socialiste, François Hollande s'appuie naturellement sur l'organisation du PS, qui ressemble un peu à une fusée à trois étages. Au congrès du Mans, en novembre 2005, la « synthèse » votée dans la douleur fixe les objectifs à atteindre plus que les mesures concrètes à prendre. À partir de cette ligne, le PS veut bâtir d'ici à juin prochain un programme détaillé, fruit d'un compromis entre ses divers courants. C'est le rôle dévolu à la « commission projet », où se retrouvent tous les ténors du PS, qu'ils soient ou non candidats potentiels. Ainsi, Martine Aubry est chargée de la réflexion sur l'emploi et les affaires sociales. À ses côtés travaille Jean-Marc Germain, son ancien directeur adjoint de cabinet lorsqu'elle était ministre de l'Emploi sous l'ère Jospin. La maire de Lille a également réactivé son propre club de réflexion, Réformer, où se côtoient notamment le sociologue Michel Wieviorka et des élus socialistes. Au troisième étage de la fusée socialiste : les aspirants candidats à la présidentielle, qui alimentent plus ou moins de leurs idées la commission projet. Plus ou moins, car « on garde les propositions les plus polémiques pour l'investiture en novembre prochain », souligne le conseiller d'un présidentiable qui préfère garder l'anonymat.

LAURENT FABIUS

Rassembler large… en toute discrétion

Officiellement candidat à l'investiture PS, Laurent Fabius s'appuie lui aussi sur des experts et aime à butiner dans ses réseaux pour nourrir sa réflexion. L'ancien Premier ministre a chargé Florence Parly, l'ex-secrétaire d'État au Budget, Guillaume Bachelay et Stéphane Israël, tous deux normaliens et énarques, de coordonner une vingtaine de groupes de réflexion sur l'économie, l'emploi, les services publics, l'éducation, etc. Ces équipes sont constituées d'anciens collaborateurs des cabinets fabiusiens, comme Xavier Lacoste (aujourd'hui directeur associé chez Altedia), de hauts responsables de la fonction publique, d'économistes tel Jean-Hervé Lorenzi et de représentants d'associations telles que la Ligue internationale des droits de l'homme. « Nous préférons rester discrets sur l'identité de ces experts afin de ne pas compromettre leurs relations professionnelles », explique, prudent Stéphane Israël, conseiller à la Cour des comptes et professeur de finances publiques à l'École normale supérieure.

Les responsables de groupe se retrouvent tous les quinze jours au premier étage d'un bar du Ier arrondissement. Autre source d'inspiration pour Laurent Fabius : son club Fraternités, présidé par Lionel Zinsou, associé-gérant chez Rothschild. Une fois par mois se retrouvent dans les salons discrets d'une brasserie du VIIe arrondissement Louis Schweitzer, le P-DG du groupe Renault ; Jérôme Clément, président d'Arte ; Charles-Henri Filippi, président de HSBC France ; Pierre Joxe, membre du Conseil constitutionnel ; ou encore le danseur et chorégraphe Angelin Preljocaj. Pour diffuser ses idées, Laurent Fabius s'appuie notamment sur son site Internet. Mais, là encore, la prudence reste de mise : les propositions ne doivent pas être en porte-à-faux avec la « ligne » du parti.

DOMINIQUE STRAUSS-KAHN

L'artillerie lourde

A la tête du courant Socialisme et Démocratie au sein du PS, Dominique Strauss-Kahn, aspirant présidentiable déclaré, entend se battre sur des idées. En mars 2003, l'ancien ministre de l'Économie et des Finances fonde avec Michel Rocard À gauche, en Europe, un laboratoire de réflexion composé d'experts : les propositions sont ensuite testées via le blog personnel de DSK ou dans le cadre des déplacements de l'ancien ministre de l'Économie. « Au PS, c'est la seule structure qui offre une analyse structurée, qui fait le lien entre la synthèse des travaux d'experts et le passage dans le domaine politique », s'enorgueillit Olivier Ferrand, qui anime le groupe de réflexion. Cet ancien conseiller de Lionel Jospin sur les questions européennes, professeur d'économie et de finances à Sciences po Paris, se félicite d'ailleurs d'avoir fait « revenir tous les intellectuels de gauche de Paris qui avaient déserté le PS après la défaite de 2002 ». Le Conseil d'analyse économique, fondé par Lionel Jospin du temps où il était Premier ministre, reste d'ailleurs le principal vivier d'experts de l'écurie DSK : Daniel Cohen, Jean Pisani-Ferry, Olivier Davanne, Jean-Paul Betbèze, Roger Godino, Gilbert Cette ou encore Pierre Cahuc.

L'ancien hôte de Bercy a su également garder des contacts avec d'autres économistes, tel qu'Éric Maurin, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales et ancien administrateur de l'Institut national de la statistique et des études économiques. Dominique Strauss-Kahn compte également au sein de ses troupes des universitaires comme Philippe Aghion, professeur à Harvard, des chercheurs tel Philippe Askenazy et des dirigeants d'entreprise comme Henri Proglio (P-DG de Veolia Environnement) et Paul Hermelin (directeur général de Capgemini). Au total, plus de 200 « grosses têtes » phosphorent pour DSK et se réunissent régulièrement dans un appartement du VIIe arrondissement parisien qui leur sert de QG.

SÉGOLÈNE ROYAL

L'expertise de la rue

Aux têtes pensantes d'en haut, Ségolène Royal préfère, pour l'heure, le bon sens d'en bas. La députée des Deux-Sèvres, qui met en avant à chacun de ses discours les « citoyens experts », a lancé en décembre dernier son association Désirs d'avenir qui se décline en forum participatif sur le Net : la structure est présidée par Christophe Chantepy, son ancien directeur de cabinet à l'Éducation, aujourd'hui conseiller d'État. C'est également lui qui met en place les différents groupes de travail parisiens.

La présidente de Poitou-Charentes s'appuie aussi sur une partie de son staff du conseil régional, comme Jean-Luc Fulachier, directeur des services généraux. Ségolène Royal reste fidèle à son conseiller le plus proche, Jean-Pierre Mignard, avocat pénaliste et président du club Témoin, créé en 1992 à l'initiative de Jacques Delors, de Jean-Pierre Jouyet et de… François Hollande. Elle peut également compter sur le carnet d'adresses bien fourni de Jacques Attali, l'ancien conseiller spécial de François Mitterrand, fondateur et ex-président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, aujourd'hui à la tête de PlaNet Finance. Pour l'heure, celle qui caracole en tête des sondages a préféré repousser à la rentrée de septembre son livre-programme.

LIONEL, JACK ET LES AUTRES

L'ancien Premier ministre, qui n'est pas officiellement candidat à l'investiture du Parti socialiste prévue en novembre prochain, se contente pour l'heure de son livre- programme Le monde comme je le vois (Gallimard, octobre 2005). En revanche, Jack Lang, candidat déclaré, consulte régulièrement les économistes David Spector, Pierre Cahuc et Olivier Blanchard et le sociologue Hervé Lebras. L'ancien ministre de la Culture s'entretient avec les internautes sur son blog « Inventons demain ». Enfin, Bernard Kouchner a créé son club Réunir, constitué d'humanitaires et de médecins.

La machine Matignon

De tous les leaders politiques, Dominique de Villepin est celui qui dispose des meilleurs laboratoires d'idées.

Ses prédécesseurs, Lionel Jospin et Jean-Pierre Raffarin, ont doté Matignon d'un joli réseau de têtes pensantes. À commencer par le Conseil d'analyse économique, piloté par Christian de Boissieu, qui réunit la plus belle brochette d'économistes de la place. Conseil d'analyse de la société, Conseil d'orientation des retraites, Conseil d'orientation pour l'emploi : dans tous les domaines, le Premier ministre peut faire plancher des experts, établir des diagnostics et faire réagir les partenaires sociaux… « Mais le temps politique n'est pas le même.

Nous ne travaillons pas pour le lendemain matin », reconnaît Raymond Soubie, patron du COE. Un organisme qui s'est autosaisi du thème du contrat de travail… Dominique de Villepin a complété l'ouvrage en transformant le vénérable Commissariat du Plan en Conseil d'analyse stratégique, confié à Sophie Boissard, ancienne directrice de cabinet de Gérard Larcher.

Un aréopage dont Alain Quinet, directeur adjoint de cabinet à Matignon et ancien de Bercy, est le relais naturel.

Autour du PC…

Approuvé lors du 33e congrès au Bourget, en mars, sous la houlette de Marie-George Buffet, le programme communiste pour 2007 est la synthèse des travaux des commissions. Le groupe de travail chargé de l'économie a été piloté par Yves Dimicoli, membre de la direction nationale, docteur en sciences économiques et ancien membre du CAE. Autour du PC gravite la Fondation Gabriel-Péri, créée en juillet 2004, à l'initiative de Robert Hue. Au sein de son conseil scientifique, on trouve Pascal Boniface, directeur de l'Iris ; Max-Jean Zins, chercheur au Ceri, ou le sociologue Guy Carassus. Enfin, il faut évoquer la Fondation Copernic, qui rassemble des partisans du non à la Constitution européenne. Coprésidée par Yves Salesse, économiste et ancien conseiller auprès de Jean-Claude Gayssot au ministère des Transports et de l'Équipement, elle réunit des experts comme Michel Husson, administrateur à l'Insee, Jacques Rigaudiat, ancien conseiller social de Lionel Jospin, ou le syndicaliste Claude Debons.

Les Verts

Le « Projet des Verts pour 2007 », dont il est trop tôt pour dire s'il sera porté ou non par Dominique Voynet, est un catalogue de mesures, fruit de 23 commissions de travail. Le groupe économie, présidé par Bernard Guibert, administrateur à l'Insee et militant CGT, est composé d'élus comme Alain Lipietz, d'universitaires tels Michel Capron, spécialiste en sciences de gestion, et Dominique Reffay, historien et économiste.

Des boîtes à idées, à gauche

D'autres think tank alimentent les réflexions des socialistes, telle la Fondation Jean-Jaurès. Ce centre de documentation et d'archives sur l'histoire du mouvement ouvrier créé par Pierre Mauroy en 1992 est devenu, depuis juin 2000, un laboratoire d'idées.

Dominique Strauss-Kahn y pilote les groupes de travail. La fondation publie, via son site Internet, des notes d'élus, d'universitaires, d'experts et de syndicalistes : on peut y lire les réflexions des économistes Jean Pisani-Ferry et Vincent Champain, du sociologue Bruno Palier ou encore de Jacques Attali.

Parmi les laboratoires d'idées de gauche, il faut citer les groupes de réflexion issus de l'autodissolution, en 1999, de la Fondation Saint-Simon. Le premier, En temps réel, de tendance gauche réformiste et blairiste, a été cofondé par le banquier d'affaires Stéphane Boujnah et présidé par Gilles de Margerie, directeur financier du groupe Crédit agricole. Ce club diffuse des notes et organise des séminaires pour la centaine de membres cooptés, parmi lesquels figurent Anne-Marie Idrac, présidente de la RATP ; Denis Olivennes, P-DG de la Fnac ; Philippe Crouzet, DG adjoint de Saint-Gobain ; Nicole Notat ou des économistes comme Charles Wyplosz, Pascal Lamy, directeur général de l'OMC, ou Jean Pisani-Ferry. L'autre descendant de la Fondation Saint-Simon est la République des idées, créée par Pierre Rosanvallon et animée par Olivier Mongin, le directeur de la revue Esprit, Jean Peyrelevade et Thierry Pech, de la CFDT. Un atelier intellectuel qui se veut producteur d'idées neuves en Europe.

JEAN-MARIE LE PEN
Un cercle revendiqué de 300 membres

Cofondateur du club de l'Horloge en 1974, Henry de Lesquen, polytechnicien et énarque, est aujourd'hui le président de ce cercle de réflexion proche du Front national qui revendique près de 300 membres. Au FN, le conseil scientifique présidé par l'universitaire Hugues Petit coordonne une cinquantaine d'universitaires, de chercheurs et de hauts fonctionnaires, tels Alain Gallais, polytechnicien et statisticien, Georges Lane, prof d'économie à Paris-Dauphine, ou encore Jean-Claude Martinez, prof en finances publiques et fiscalité à Assas.

Les propositions du conseil scientifique sont soumises à l'approbation du bureau exécutif puis du bureau politique du FN. Le mouvement de Jean-Marie Le Pen revendique également des experts parmi les hauts fonctionnaires, les milieux syndicaux et patronaux, mais préfère garder secrète leur identité.

Auteur

  • Corinne Rieber, Jean-Paul Coulange