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Les enjeux de la revitalisation

Enquête | publié le : 11.05.2010 | ÉLODIE SARFATI

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Les enjeux de la revitalisation

Crédit photo ÉLODIE SARFATI

L’obligation de revitalisation concerne souvent des entreprises qui se restructurent sans quitter le territoire. Mais comment peuvent-elles tirer bénéfice de cette contrainte coûteuse en temps et en argent ? En s’impliquant de manière à nourrir un vivier de PME dynamiques et de main-d’œuvre compétente sur le bassin d’emploi où elles sont installées.

Plus de 17 000 emplois détruits en 2009 en Haute-Normandie et en Lorraine, près de 16 000 en Picardie… Si la crise n’a épargné personne, tous les territoires ne sont pas logés à la même enseigne, et les bassins industriels sont particulièrement mis à mal, d’après Pôle emploi.

Dans ce contexte, la question qui se pose aux entreprises qui procèdent à des licenciements collectifs n’est pas seulement celle du reclassement des salariés, mais aussi celle de la revitalisation du territoire. Car comment rebondir dans un bassin d’emploi sinistré quand, de surcroît, à peine plus de 2 % des Français changent de département chaque année ?

Pour booster la création d’emploi local, le FNRT (fonds national de revitalisation des territoires), mis en place par le gouvernement au premier semestre 2009, doit permettre d’attribuer, en trois ans, 135 millions d’euros de prêts sans garantie à des PME qui créent ou préservent des emplois. Les bassins de Morlaix, du Creusot, ou encore de Beauvais ont bénéficié de cette aide. A ce jour, une enveloppe de 75 millions d’euros a été débloquée pour accompagner des projets sur 47 territoires. Pas n’importe lesquels : le FNRT intervient là où l’effort de revitalisation demandé aux entreprises qui restructurent ne suffit pas.

Depuis 2005, en effet, les entreprises qui licencient peuvent être soumises, lorsqu’elles en ont la capacité financière, à une obligation de revitalisation. Environ 50 millions d’euros sont ainsi collectés chaque année. Cette obligation prend la forme d’une convention négociée avec l’Etat, dans laquelle l’entreprise s’engage à financer la création d’autant d’emplois qu’elle en a supprimés, et sur le même bassin d’emploi. Un principe qui s’applique avec plus ou moins d’efficacité.

L’exemple de Flers

A Flers (Orne), la convention signée par Faurecia semble en bonne voie. L’équipementier, qui a supprimé localement 261 postes en 2009, s’est engagé à contribuer, en trois ans, à la création d’autant d’emplois dans le département. Il a mobilisé pour cela plus d’un million d’euros, soit trois Smic mensuels par emploi supprimé. Un fonds destiné à soutenir les projets de développement des PME, en subventionnant les emplois créés en CDI ou bien ceux des créateurs d’entreprise, grâce à une aide de 2 000 euros minimum.

Près d’un an après la signature de la convention, 80 projets ont été soutenus, pour un potentiel de 293 emplois, dont 145 effectivement créés. Pour Hachmi Hamdaoui, directeur du travail de l’Orne, l’implication de la direction de l’entreprise dans le suivi de la convention « a été l’élément déterminant. A la fois en termes de réactivité – Faurecia veillait par exemple à ce que le consultant rencontre rapidement les créateurs d’entreprise – ou bien d’aide à la sélection des dossiers les plus porteurs d’emplois pérennes. »

Subventions directes ou prêts à taux réduit

Toutes les opérations de revita-lisation ne sont pas aussi efficaces. Mesures inadaptées aux besoins du territoire, enclenchées trop longtemps après la restructuration, peu ou mal suivies, victimes des tiraillements entre élus locaux… les obstacles à la réussite sont nombreux, sans compter le caractère aléatoire de la reconversion des sites. Dans la Vienne, la fermeture, en 2005, d’une entreprise agroalimentaire (150 emplois supprimés), n’a généré qu’une vingtaine d’emplois au terme de la convention, faute d’entente entre les acteurs pour créer le complexe commercial prévu. Le soutien à la création d’emplois dans les PME locales forme le socle de base des conventions de revitalisation. Cette mesure endogène prend en général la forme de subventions directes ou de prêts à taux réduit et sans garantie, dès lors que les entreprises pressenties ne sont ni en très bonne santé financière – pour éviter les effets d’aubaine –, ni en trop grande difficulté – afin de garantir la viabilité de l’emploi. Et ce, même si, comme le remarque François Moreau, consultant au cabinet Altedia, la crise a fait apparaître la notion de “sauvegarde des emplois” dans les conventions.

Dans ce processus, pour Alain Petitjean, directeur général de Sémaphores, filiale du groupe Alpha, le plus important est d’aider à l’émergence des emplois. « La revitalisation ne consiste pas à attendre que la PME vienne au guichet. Il faut tenir la plume du chef d’entreprise, faire accoucher des projets dormants qu’il n’a pas encore finalisés, ni a fortiori financés. » Alain Petitjean plaide pour que les conventions intègrent aussi des mesures « structurantes » pour le bassin d’emploi, comme le montage de pépinières d’entreprises.

Dispositif vertueux

C’est qu’en matière de revitalisation, « il n’y a pas d’exclusive », constate Jean-Marc Frohard, conseiller à la Datar. Dans la mise en œuvre de la convention de Vivendi dans l’Oise, une partie des fonds a ainsi servi à mobiliser des prêts auprès des banques, relate Marc Cécé, directeur général de Géris, filiale de Thales dédiée à la revitalisation et qui a accompagné ce dossier. « L’effet levier des fonds d’une convention peut aller de 5 à 10. Sur un budget de 1,8 million d’euros, 600 000 euros ont servi de garantie à des prêts qui ont atteint 20 millions d’euros. Cela a permis de créer 530 emplois qui, au bout d’un an, existent encore. » Ce dispositif « vertueux » tend à se développer dans les pratiques, observe-t-il. De son côté, la Direccte d’Ile-de-France, qui a analysé le contenu de 63 conventions, constate la multiplication récente de mesures de type appui-conseil aux PME et TPE. Il s’agit de mettre à disposition des PME des compétences (RH, commercial, finance, qualité, logistique, etc.), en y détachant des cadres et des experts des entreprises revitalisantes. Alcatel-Lucent dans les Yvelines a, par exemple, mis à disposition des PME des cadres administratifs et financiers pour les aider dans la gestion de leur activité. Autant de pistes ouvrant la voie à la mise en œuvre d’une gestion territoriale des ressources humaines.

Des mesures innovantes, dont François Moreau souligne l’intérêt : « Si les acteurs locaux du développement économique sont assez dynamiques, le saupoudrage d’aides directes n’a pas de réelle valeur ajoutée. Il faut donc dépasser la logique strictement comptable des conventions, et fixer des objectifs de création “d’équivalents-emplois”, grâce à des dispositifs qui fluidifient la création d’emploi : l’entreprise s’engage à fournir des compétences, à accueillir des jeunes en alternance, et s’implique dans des dispositifs d’insertion, etc. Pour elle, c’est l’occasion de transformer une contrainte en opportunité. »

Les politiques de soutien au tissu économique local font d’ailleurs partie de la pratique de certaines entreprises. Quelques grands groupes s’y sont lancés bien avant que la loi ne les y oblige. Il s’agissait alors, dans les années 1980 notamment, de faire face à des reconversions d’ampleur. Ces initiatives ont fini par se transformer en programmes durables de soutien à l’emploi du bassin où ces entreprises sont implantées.

Intégration dans des politiques globales de RSE

Depuis plusieurs décennies, des filiales dédiées chez Michelin ou encore Total (lire p. 24) apportent un soutien technique et financier aux PME du territoire. Ces actions s’intègrent en général dans des politiques plus globales de RSE. Mais, au-delà d’un enjeu d’image, elles permettent d’accompagner les changements, notamment en matière de mobilité (lire interview p. 29).

A Thales, « l’accord GPEC de 2006 permet de gérer la baisse des effectifs autrement que par des PSE : la dernière convention de revitalisation que nous avons menée pour le groupe date de la même année à Elancourt », précise Marc Cécé. Créée en 1978 pour réindustrialiser les sites touchés par les restructurations de Thomson, la filiale Géris accompagne donc la maison mère dans la mise en œuvre de cet accord. Notamment via l’accompagnement des salariés à la création d’entreprise ou à la mobilité externe : « Lorsque nous menons, pour nos clients, la revitalisation d’un territoire où des sites du groupe sont implantés, nous intégrons les postes créés dans la bourse à l’emploi interne de Thales. Même si la société encourage la mobilité des salariés dans le groupe, les personnes sont attachées à leur territoire et préfèrent retrouver un emploi sur place. Pour gérer le mieux possible ces contraintes et accompagner les mutations du groupe, il faut avoir un maximum de liens avec les acteurs économiques du territoire. » A cette fin, Géris a élaboré un “Guide de la territorialité” à destination des responsables de sites, pour les aider à concrétiser le volet territorial de l’accord GPEC, lequel prévoit de « concourir au maintien de l’emploi » dans les zones d’implantation du groupe.

L’essentiel

1 Les conventions de revitalisation prévoient en général des aides financières à la création d’emploi dans les PME, mais d’autres types de mesures apparaissent, comme la mise à disposition de compétences.

2 Pour dynamiser le territoire où elles sont implantées, certaines entreprises font du soutien à l’emploi localun axe de leur politique de RSE.

3 Plusieurs bilans sont en cours sur l’application de la loi de 2005 : des disparités dans sa mise en œuvre et l’utilisation des fonds des conventions alimentent le débat.

Conditions et obligations des conventions de revitalisation

→ L’obligation de revitalisation (art. L. 1233-84 à L. 1233-90 du Code du travail) s’applique aux entreprises de plus de 1000 salariés qui procèdent à des licenciements collectifs (sauf en cas de redressement ou liquidation judiciaire), dès lors que les pouvoirs publics estiment que leur ampleur affecte l’équilibre du bassin d’emploi.

→ La convention détermine les actions de revitalisation, les modalités de leur mise en œuvre, et leur financement. Le montant de la subvention doit être au moins de 2 Smic brut mensuels par emploi supprimé.

→ A défaut de convention, l’entreprise verse au Trésor public un montant équivalent au double de cette contribution.

→ Les entreprises de moins de 1000 salariés peuvent prendre part aux actions de revitalisation mises en œuvre par l’administration.

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI