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Mobiliser le savoir des salariés

Enquête | publié le : 25.05.2010 | VIRGINIE LEBLANC

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Mobiliser le savoir des salariés

Crédit photo VIRGINIE LEBLANC

Les TMS (troubles musculo-squelettiques) demeurent la première maladie professionnelle. La tendance peine à s’infléchir, même si certaines entreprises ont mis en œuvre de bonnes pratiques centrées autour de démarches participatives et, pour certaines, sur l’utilisation d’outils de simulation du travail.

Priorité du Plan santé au travail 2 et de la branche AT-MP ; thème retenu par l’Anact lors de sa septième semaine pour la qualité de vie au travail (SQVT), du 17 au 25 juin, et troisième volet d’une campagne de communication pour mobiliser les chefs d’entreprise (lire “Des communications dédiées” p. 25): les TMS mobilisent préventeurs et politiques. Et pour cause, ils représentent plus des trois quarts des maladies professionnelles indemnisées. En 2008, on a recensé 36 926 nouveaux cas indemnisés au titre du régime général, soit une augmentation de 18 % en dix ans. Eric Woerth, ministre du Travail, souhaite stabiliser ce nombre d’ici quatre à cinq ans.

La prévention : enjeu social et économique

Mobilisation il y a. Mais les effets ne se font pas encore sentir nettement. Pourtant, les entreprises ont un réel intérêt à agir : l’ensemble des TMS indemnisés en 2008 ont engendré la perte de 8,4 millions de journées de travail et de 787 millions d’euros de frais couverts par les cotisations des entreprises. « Il y a un moment où le nombre d’arrêts maladie devient un problème pour la compétitivité des entreprises. Prévenir les TMS est un enjeu social et économique pour elles », affirme Jean-Denis Combrexelle, directeur général du travail.

« Quand l’absentéisme augmente, ce sont des compétences qui disparaissent et le collectif de travail qui est affecté », observe aussi Bertrand Caubrière, ingénieur conseil à la Cram Sud-Est. Sans compter les problèmes de turn-over, de défauts de fabrication, ainsi que les inaptitudes qu’ils peuvent engendrer.

De plus, « si le Code du travail ne parle pas spécifiquement des TMS, l’employeur est tenu envers les salariés à une obligation de sécurité de résultat », souligne Lionel Groleas, inspecteur du travail, et ce risque, comme tous les autres, doit être évalué et transcrit dans le document unique. Fait rare, la cour d’appel de Grenoble a reconnu dans un arrêt du 9 février 2010 qu’un employeur de cette ville, la société SAS BCBG Max Azria Group, avait commis une faute inexcusable à l’égard d’un magasinier victime d’un TMS à force de travailler les bras levés. Le salarié, adhérent de la Fnath (association des accidentés de la vie), travaillait depuis 1986 et avait émis, selon l’association, des réclamations insistantes et ignorées par l’employeur, tout comme les alertes du médecin du travail.

Des actions à mener dans la durée

« Nous n’arrivons pas à agir dans la durée, regrette Yves Roquelaure, professeur de médecine et directeur du laboratoire d’ergonomie et d’épidémiologie en santé au travail (Leest). Les conditions de travail vont se durcir pour les travailleurs non qualifiés : le problème des TMS est devant nous. »

« L’organisation du travail continue d’évoluer vers une intensification des TMS, et il y a une sorte d’acceptation générale de cet état de fait comme étant un mal nécessaire pour une entreprise performante », constate également Jean-Michel Schweitzer, chargé de mission à l’Aract (Association régionale pour l’amélioration des conditions de travail) Lorraine.

Certaines entreprises arrivent pourtant à agir dans le cadre d’une prévention durable et intelligente impactant l’organisation du travail, mais elles sont encore rares, selon lui. « Travailler sur ce sujet ne peut pas être ponctuel, il faut adopter une logique d’actions continues, préconise Evelyne Escriva, chargée de mission à l’Anact et référente sur les TMS. Il est nécessaire de prévoir un suivi médical et de travailler sur des indicateurs car, lorsque l’on compte les maladies professionnelles, il est déjà trop tard ! »

Une vision globale de tous les facteurs

« Les TMS sont issus de multiples facteurs, une entreprise ne doit pas regarder un seul aspect, mais avoir une approche globale du sujet, dans le cadre d’un projet d’entreprise », soutient Jean-Jacques Atain-Kouadio, responsable du projet TMS à l’INRS. « Il ne s’agit pas de prendre en compte seulement les facteurs biomécaniques, mais aussi les problèmes de cadence, de productivité, de climat social, et, plus largement, les modes de management et l’organisation du travail, car l’ambiance de travail a aussi un impact dans l’apparition des TMS », recommande Valérie Tran, directrice du cabinet Ariane Conseil.

« Ce qui manque à la prévention des TMS, ce sont des approches coopératives de terrain, car le meilleur expert de son travail est celui qui le fait », estime Yves Roquelaure. Certaines entreprises commencent à s’y mettre.

« En tant qu’ergonome, lorsque nous intervenons sur la conception d’un nouvel environnement de travail, nous repensons la situation de travail dans sa globalité et nous réinterrogeons également l’organisation. C’est pourquoi, il est alors impératif d’associer l’ensemble des acteurs », explique Frédéric Darmon, consultant ergonome chez Ariane Conseil (lire p. 26). Romain Chevallet, chargé de mission à l’Anact au département changements technologiques et organisationnels (lire l’entretien p. 31), insiste aussi sur l’intérêt des entreprises à agir le plus en amont possible, dès la conception, en prenant en compte le facteur humain. Certains outils de simulation les accompagnent dans cette démarche, et sont des facilitateurs pour le recueil de la parole.

Des outils de simulation des situations de travail

Ces outils vont des plus simples aux plus complexes. La Cellule auboise TMS, constituée autour de quatre institutions, la MSA (Mutualité sociale agricole) Sud Champagne, l’Aract Champagne-Ardenne, la Cram (Caisse régionale d’assurance maladie) Nord-Est, la médecine du travail (Gisma, groupe interprofessionnel social médical de l’Aube), propose un outil gratuit très simple, le “graphaube”, composé d’un diaporama explicatif, de guides et de planches papier. « Il permet d’identifier collectivement les opérations, et de qualifier leur degré d’utilité au regard de la pénibilité qu’elles engendrent », explique Jean-Pierre Joliff, chargé de mission ergonome à l’Aract. Un site de Lafarge Plâtres en a fait l’expérience (lire p. 30).

« L’approche conception-simulation s’adresse davantage aux problématiques des risques biomécaniques liés à l’effort, à la répétitivité des gestes et aux postures plutôt qu’aux autres aspects des TMS, précise Jacques Marsot, responsable du laboratoire Ingénierie de conception des systèmes sûrs à l’INRS. Nous préconisons des outils permettant de simuler l’activité tout au long du processus de conception. » Ils sont principalement de deux types, d’une part les logiciels de mannequins, qui permettent la représentation numérique d’un ou plusieurs opérateurs, et ainsi la simulation de situations de travail à venir ; d’autre part, les techniques de réalité virtuelle, où une personne réelle interagit avec l’environnement numérique. « Ces équipements sont pour l’instant réservés aux grandes entreprises en raison de leur coût et de leur complexité, mais ils vont se démocratiser. »

« Nous nous soucions de former des ingénieurs qui vont enfin intégrer l’opérateur et l’utilisateur dans la conception de postes de travail et de produits adaptés », indique Jean-Claude Sagot, directeur du département ergonomie, design et ingénierie de l’université de technologie de Belfort-Montbéliard (UTBM), où il est à la tête d’une équipe de recherche dotée d’outils numériques et de réalité virtuelle. Des contrats de recherche (environ 200 000 euros de contrats individuels par an) sont conclus avec des petites et grandes entreprises pour appliquer une méthodologie qui va de l’évaluation de ce qui existe, en passant par la simulation des activités, pour aboutir à la fabrication du poste et à une mise en situation réelle (lire p. 27).

Intégrer le facteur humain et moduler les résultats de simulation

Le cabinet Solutions Productives, qui travaille actuellement avec l’entreprise Marie (lire p. 29), adopte le même type d’approche. « Nous proposons Ergo 4D, un outil innovant, qui permet de simuler l’activité de travail en intégrant le facteur humain, les problématiques de flux et les enjeux de temps, explique Laurent Pagnac, ingénieur ergonome dans ce cabinet. La simulation permet au chef d’entreprise de disposer de plusieurs options, c’est un véritable outil d’aide à la décision. »

Pour Jacques Marsot, « ces outils de simulation ont avant tout un rôle d’échange et de coordination entre les différents acteurs de la conception-concepteurs, préventeurs, ergonomes, utilisateurs ». Il subsistera toujours, selon lui, des limitations et/ou des écarts entre la situation de travail réelle et la situation simulée. Les évaluations ergonomiques réalisées ainsi, doivent donc être exploitées avec précaution.

L’essentiel

1 Les TMS arrivent en tête des reconnaissances des maladies professionnelles en France. Près de 37 000 nouveaux cas ont été déclarés en 2008.

2 Les TMS ont intérêt à être abordés de manière globale et avec une démarche participative, prenant en compte la connaissance du salarié sur son activité.

Certaines entreprises, étudiant la conception d’un nouvel environnement de travail, recourent à des outils de simulation, qui intègrent le vécu des salariés.

Des maladies multifactorielles

Les TMS sont des maladies multifactorielles à composante professionnelle. De nombreuses études épidémiologiques ont montré que l’influence des facteurs de risques professionnels est prépondérante dans leur survenue.

A l’origine, il y a des sollicitations biomécaniques (répétitivité des gestes, efforts excessifs, zones articulaires extrêmes, travail en position maintenue), organisationnelles et psychosociales. Les TMS affectent principalement les muscles, les tendons et les nerfs, c’est-à-dire des tissus mous. Ils s’expriment par de la douleur mais aussi, pour ceux du membre supérieur, par de la raideur, de la maladresse ou une perte de force. La pathologie la plus répandue est le syndrome du canal carpien (poignet). Parmi les autres pathologies rencontrées : des tendinites, les épicondylites et le syndrome du tunnel cubital (coude), le syndrome de la coiffe des rotateurs (inflammation des tendons de l’épaule), etc.

Les TMS touchent presque toutes les professions et des entreprises de toutes tailles, mais, principalement, les industries de l’agroalimentaire, de la métallurgie, du bâtiment et des travaux publics. Ils touchent aussi diverses activités de service.

Par ailleurs, certaines modalités d’organisation, la perte de contrôle de son travail, la réduction des marges de manœuvre du salarié, des relations interpersonnelles difficiles… vont entraîner un état de stress qui augmentera le niveau de sollicitation biomécanique.

Source : Cnamts, INRS, INVS.

Des communications dédiées

→ Le troisième volet de la campagne de sensibilisation et de prévention menée depuis avril 2008, en partenariat avec le ministère de l’agriculture, la Cnamts, la CCMSA, l’Anact, l’INRS et l’OPPBTP, a été lancé en avril dernier. Sous le titre “Mettre fin aux troubles musculo-squelettiques dans votre entreprise, c’est possible”, elle a été relayée dans la presse professionnelle et par des spots radio. Elle est aussi enrichie par des témoignages vidéo de chefs d’entreprise et de salariés, mettant en avant de bonnes pratiques sur le site <www.travailler-mieux.gouv.fr>.

→ Du 17 au 25 juin, le réseau Anact organise dans toute la France la semaine pour la qualité de vie au travail (SQVT). Un forum, sur le thème “Prévention des TMS : osons l’innovation”, aura lieu le 17 juin au Cnit à Paris-La Défense. Plus d’informations sur <www.qualitedevieautravail.org>

Les femmes plus exposées au risque TMS

« Si l’on ne considère que les pénibilités physiques du travail ouvrier, les femmes semblent moins exposées aux risques professionnels que les hommes… Pourtant, les femmes représentent 58 % des cas de troubles musculo-squelettiques reconnus en 2003 », signale Nicole Guignon(1), de la Dares. Une explication serait à trouver dans la répartition sexuée des travaux : « Les femmes sont affectées plutôt à des activités, comme par exemple le travail sur écran ou sur chaîne, ayant un caractère répétitif et des contraintes temporelles de cycles, avec une moindre autonomie pour opérer différemment », explique Florence Chappert, chargée de mission à l’Anact. « Si l’on raisonne selon toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire à ancienneté, âge, taille d’établissement et famille professionnelle identiques, la probabilité d’être exposé au risque de TMS est de 22 % supérieure pour les femmes par rapport aux hommes », ajoute Nicole Guignon.

(1) Auteure de Risques professionnels : les femmes sont-elles à l’abri ?, in “Femmes et hommes, regards sur la parité”, Insee, édition 2008.

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