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Les pratiques

Avantages des cadres : la vigilance s’impose

Les pratiques | publié le : 25.05.2010 | MARIETTE KAMMERER

Selon un arrêt de la Cour de cassation de juillet 2009, un avantage consenti aux cadres doit « reposer sur des raisons objectives ». Faut-il se préparer à renégocier accords d’entreprise et conventions collectives pour éviter des procès en chaîne ?

Prime de vacances, indemnités de licenciement, complémentaire santé, congés payés… Il existe de nombreux domaines où les cadres bénéficient d’avantages sociaux plus favorables que leurs collègues non-cadres. Or cette différence de traitement liée à la catégorie professionnelle doit désormais être justifiée par une « raison objective et pertinente » : c’est en effet ce qui ressort du jugement de la Cour de cassation du 1er juillet 2009 (n° 07-42675). Dans cet arrêt, qui pour la première fois remet en cause un accord collectif, le juge estime que le statut de cadre ne suffit pas en soi à justifier cinq jours de congé supplémentaires prévus par un accord d’entreprise (lire encadré p. 15). « Epée de Damoclès », « bombe à retardement », cette jurisprudence n’a pas fini d’inquiéter les DRH et risque de bouleverser les stratégies de négociation collective. « La portée de cet arrêt est immense, car il a vocation à s’appliquer aussi aux 700 conventions collectives de branches dont la plupart comportent des avantages catégoriels non justifiés », note Evelyn Bledniak, avocate au cabinet Atlantes. C’est déjà fait avec l’arrêt du 4 novembre 2009 dans lequel la cour d’appel de Montpellier donne raison à une salariée non-cadre qui demandait un alignement de ses indemnités de licenciement sur celles accordées aux cadres dans la convention collective des caves agricoles.

Plus grave, le 22 avril dernier, la fédération CGT des sociétés d’études a assigné tous les signataires de la convention collective de 1987 devant le TGI de Paris pour « différence de traitement injustifiée » entre les Etam d’un côté et les ingénieurs et cadres de l’autre, s’agissant de la durée du préavis avant rupture du contrat de travail ; de l’indemnité légale de licenciement ; de l’indemnité en cas d’incapacité temporaire de travail ; de la compensation pour le travail de nuit, du dimanche et des jours fériés ; et de la prise en charge des déplacements professionnels.

Développement possible des contentieux individuels

Les entreprises doivent-elles s’attendre à une avalanche de procès comme certains le prédisent ? « Pour l’instant, c’est calme, car les syndicats ont d’autres préoccupations, notamment les plans sociaux », constate Evelyn Bledniak. Mais cela pourrait ne pas durer. « A mon sens, les contentieux individuels vont se développer ; les avocats de salariés utilisent déjà cette jurisprudence dans leur stratégie de défense », note Sylvain Niel, directeur associé du cabinet Fidal et président du Cercle des DRH. C’est le cas, par exemple, de Zoran Ilic, avocat au cabinet Grumbach et associés, qui réclame pour son client des indemnités de licenciement calculées selon les mêmes modalités que les cadres, estimant que le préjudice du licenciement n’est pas plus grand pour un cadre. « Dans un premier temps, les organisations syndicales vont demander un alignement sur les avantages des cadres, et si les directions refusent, elles attaqueront en justice », prédit Zoran Ilic.

C’est en effet ce qui se passe à la GMF où les syndicats réclament depuis longtemps l’alignement de la prime de vacances des non-cadres sur celle des cadres : « Puisque la direction refuse toujours de négocier malgré cette jurisprudence, nous allons porter l’affaire en justice », indique Thierry Amar, délégué CGT. Les syndicats contestent une différence de 300 euros entre cadres et non-cadres pour le calcul de la prime. Un avantage négocié par la CFE-CGC dans les années 1970.

Au Bon Marché, les syndicats viennent d’obtenir ce qu’ils demandaient depuis des années : que le paiement des jours de carence en cas de maladie ne soit plus réservé aux seuls cadres mais accordé aussi aux non-cadres. La direction, qui n’a pas souhaité s’exprimer, a peut-être pris en compte cette jurisprudence.

« Pour l’instant, les DRH sont tétanisés, ils attendent et se demandent s’il faut ouvrir la boîte de pandore des négociations », ajoute Sylvain Niel. La Fédération nationale de l’habillement n’a pas hésité à le faire : « Nous devions renégocier les indemnités de départ en retraite dans un sens qui avantageait beaucoup les cadres. Du coup, nous avons recherché des arguments objectifs – une entrée plus tardive des cadres dans la vie active et un taux de remplacement plus faible entre salaire et retraite – pour justifier cette différence de traitement », explique Sophie Jami, responsable juridique des affaires sociales à la fédération.

Pas d’alignement par le haut

Les syndicats, qui découvraient cette jurisprudence, ont d’abord demandé un alignement de tous les salariés sur l’indemnité des cadres, puis se sont inclinés quand la partie patronale les a menacés de dénoncer l’accord. « Dénoncer l’accord et le revoir à la baisse est la seule issue pour les entreprises qui ne peuvent pas financer un alignement par le haut », indique Sylvain Niel.

Eliminer les différences catégorielles

Pour les négociations en cours ou à venir, l’avocat conseille à ses clients d’être vigilants sur la rédaction, y compris pour les plans de départs volontaires ou de licenciement : « Il faut expliciter toutes les contreparties, les donnant-donnant, chaque différence doit être justifiée par la pénibilité, la responsabilité, l’expertise. » Pas toujours simple à faire. « Il existe, dans notre convention collective de branche, des dispositions plus avantageuses pour les cadres difficiles à justifier sur la prévoyance ou la couverture maladie, souligne Sophie Jami. Pour ne pas prendre de risque, on va être tenté à l’avenir d’éliminer les différences catégorielles, sans doute au détriment des cadres. »

Un nivellement par le bas, c’est un peu ce qui se profile en cas de développement des contentieux. « Attention, prévient Jean-Paul Bouchet, à la CFDT cadres, si on tire trop vers le bas les contreparties accordées aux cadres, plus personne ne voudra occuper cette fonction ! »

Au ministère du Travail, on essaie de temporiser : « Les juges doivent faire preuve de réserve et les syndicats de pédagogie, cet arrêt n’a pas vocation à déstabiliser tout le tissu conventionnel », estime Jean-Denis Combrexelle, directeur général du Travail. Cela reste à voir.

L’essentiel

1 Dans de nombreux domaines, les cadres bénéficient d’avantages sociaux dont ne disposent pas les autres salariés. Cette situation, fruit de l’histoire, ne posait pas de problème jusqu’à présent.

2 Or, selon l’arrêt DHL rendu par la Cour de cassation en juillet 2009, un avantage consenti aux cadres doit « reposer sur des raisons objectives ». D’où une insécurité juridique sur tout le tissu conventionnel.

3 Sauf dans quelques entreprises, les syndicats n’ont pas (encore ?) commencé à exploiter cette jurisprudence, mais les avocats appellent les DRH à la plus grande vigilance.

L’arrêt DHL du 1er juillet 2009

• Dans cette affaire, un employé de la société DHL Express demandait un rappel d’indemnités de congés payés et contestait l’accord d’entreprise prévoyant 25 jours de congés pour les non-cadres et 30 pour les cadres.

• Le juge lui a donné raison, estimant que toute différence de traitement entre salariés pour l’attribution d’un avantage doit « reposer sur des raisons objectives », réelles et pertinentes. L’importance des responsabilités confiées aux cadres n’a pas été considérée comme une raison suffisante.

Les syndicats de cadres défendent les avantages

• Jean-Paul Bouchet, secrétaire général, CFDT cadres : « Quand les avantages sont des contreparties à l’investissement des cadres, il faut l’expliciter. Les différences de traitement sont justifiées si elles sont liées à la responsabilité, l’expertise, l’autonomie ou l’investissement qu’implique la fonction cadre. En revanche, ça ne nous choque pas que certains avantages catégoriels disparaissent, par exemple sur la prévoyance ou la complémentaire maladie. »

• Bernard Valette, secrétaire national, CFE-CGC : « Nous relisons les conventions collectives avec les fédérations pour définir une démarche cohérente par rapport à cet arrêt. Je pense qu’il faut faire de la pédagogie, expliquer que les avantages des cadres ne sont pas des privilèges mais des contreparties à des contraintes de travail particulières : forte pression, charge de travail, responsabilité, etc. Quand ils bénéficient d’une meilleure complémentaire santé, c’est souvent parce qu’ils cotisent davantage. »

Auteur

  • MARIETTE KAMMERER