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« Le recours au volontariat pervertit le droit du licenciement économique »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 08.06.2010 | AURORE DOHY

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« Le recours au volontariat pervertit le droit du licenciement économique »

Crédit photo AURORE DOHY

Par le biais de la négociation collective, notamment par la signature d’accords de méthode qui prévoient des départs volontaires, les grandes entreprises parviennent désormais à s’affranchir du régime légal de licenciement pour motif économique.

E & C : Désormais bien installés dans la boîte à outils des entreprises en restructuration, les plans de départs volontaires contribueraient, selon vous, à vider de sa substance le droit du licenciement pour motif économique…

Alexandre Fabre : Il semble que le décalage entre la publicité dont bénéficie le droit du licenciement pour motif économique – n’entend-on pas parler chaque jour de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) ou d’obligations de reclassement dans les médias ? – et l’usage qu’en font effectivement les entreprises s’accroît d’année en année. Que se passe-t-il, en effet, lorsque Thales, Carrefour ou encore Rhodia mettent en œuvre, selon les termes de la loi du 18 janvier 2005, un accord dérogatoire à la loi, un de ces fameux “accords de méthode” ? Destiné à anticiper une restructuration hypothétique ou planifiée, un tel accord permet, dans un premier temps, de réduire les effectifs par le biais de mesures proposées sur la base du volontariat – mobilité interne ou externe, temps partiel de fin de carrière, aide à la création d’entreprise. Ce n’est qu’à partir du moment où ces mesures n’ont pas réussi à résorber l’intégralité du sureffectif qu’on applique, sur le “reliquat”, le droit du licenciement pour motif économique. Comment un PSE pourrait-il donc s’avérer pertinent quand toutes les mesures qui sont censées s’y trouver ont préalablement été proposées aux salariés sur la base du volontariat ? Second paradoxe : sur qui s’applique, de facto, ce plan vidé de son contenu si ce n’est sur les salariés restants, c’est-à-dire bien souvent les plus vulnérables sur le marché du travail, ceux qui auraient justement le plus besoin d’un accompagnement, d’une formation ou d’un reclassement ? La logique initiale du droit du licenciement pour motif économique a bel et bien été perdue.

E & C : Nous acheminons-nous donc vers un « droit négocié des restructurations », selon votre expression ?

A. F. : Avec la loi du 18 janvier 2005, qui crée les accords de méthode et introduit une obligation triennale de négociation sur la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences, le législateur a voulu placer la négociation collective sur l’emploi sous le signe de l’anticipation et de la responsabilisation. Comment ne pas adhérer à ce projet ? Difficile pourtant de ne pas entrevoir, derrière cette intention de départ, la volonté de réduire les contraintes du droit applicable aux licenciements pour motif économique. Rappelons toutefois qu’un tel “droit négocié” n’est pas à la portée de toutes les entreprises, tant pour des raisons financières – il faut avoir les reins solides pour financer ce type de dispositifs – que de dialogue social. Le scénario d’un droit à deux vitesses se profile donc, le droit légal – filet de sécurité applicable à tout un chacun – continuant de régir les pratiques des petites entreprises, pendant que celles qui sont en capacité de le faire bâtissent elles-mêmes leur propre procédure de licenciement.

E & C : Comment comprendre l’implication des organisations syndicales dans cette nouvelle logique ?

A. F. : Les organisations syndicales, qui se contentaient souvent de négocier des mesures d’accompagnement aux suppressions d’emploi, se retrouvent, en effet, autrement impliquées lorsqu’elles actent le principe d’un dispositif de départs volontaires. Ne risquent-elles pas d’apparaître, aux yeux des salariés, comme coresponsables de la restructuration ? Gardons-nous cependant de jugements trop sévères, dans la mesure où les salariés, de plus en plus fatalistes, soutiennent eux-mêmes fréquemment la logique des départs volontaires et de l’indemnisation plutôt que celle du maintien de l’emploi à tout prix. Les syndicats se retrouvent devant un dilemme : participer à la mise en place d’un plan de départs volontaires et permettre à l’entreprise de diminuer sa responsabilité en matière d’emploi ou s’y opposer au nom de la défense de l’emploi et se mettre à dos les salariés qui souhaitent quitter l’entreprise dans ces conditions. Ce dilemme serait à l’évidence moins fort si les organisations syndicales étaient plus largement associées à la définition de la stratégie de l’entreprise.

E & C : Vous estimez également que ce recours au volontariat entraîne une plus grande responsabilisation des salariés.

A. F. : Qui n’exhorte pas les salariés, aujourd’hui, à être “acteurs” de leur vie professionnelle ? Fortement à l’œuvre dans la construction des parcours de formation professionnelle, cette idée sous-tend également les dispositifs de restructuration proposant des alternatives au licenciement sur la base du volontariat. Non sans effets pervers. L’employeur ne sera-t-il pas tenté de s’affranchir de sa responsabilité en matière d’emploi en démontrant que le salarié n’a formulé aucune demande de formation pendant de nombreuses années ou n’a pas postulé à la moindre offre de mobilité lors d’une restructuration ? Si l’employeur conserve bel et bien son obligation d’adaptation et de reclassement, de tels dispositifs ne pourraient-ils pas conduire les juges à apprécier ses efforts à l’aune de ceux fournis par le salarié ?

De surcroît, ne nous trompons pas : le volontariat ne prive nullement l’employeur de son pouvoir décisionnel, il le déplace seulement au stade de l’acceptation ou du refus de la candidature présentée par le salarié, sur la base de critères d’évaluation qui, pour peu qu’ils aient été définis, restent souvent flous. A nouveau, le fossé se creuse avec le régime légal du licenciement pour motif économique, qui prévoit l’application de critères objectifs tenant compte essentiellement de la situation familiale et des caractéristiques sociales des salariés licenciés.

PARCOURS

• Alexandre Fabre est docteur en droit et maître de conférence à l’université Rennes 2.

• Il est également directeur de l’Institut des sciences sociales du travail de l’Ouest.

• Il est l’auteur, notamment, du livre Le régime du pouvoir de l’employeur (LGDJ éditions, mars 2010) et a participé à l’ouvrage collectif de l’Ires La France du travail (éd. de l’Atelier, septembre 2009).

LECTURES

• Négocier l’emploi : 50 ans de négociations interprofessionnelles sur l’emploi et la formation, Jacques Freyssinet, éd. Liaisons Sociales, 2010.

• L’entreprise en restructuration : dynamiques institutionnelles et mobilisations collectives, sous la direction de Claude Didry et Annette Jobert, Presses universitaires de Rennes, 2010.

• Women are heroes (photographies), JR, éd. Alternatives, 2009.

Auteur

  • AURORE DOHY