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Les pratiques

Le CNRS s’essaie à la culture du résultat

Les pratiques | Retour sur… | publié le : 29.06.2010 | FRÉDÉRIC BRILLET

Afin d’améliorer ses performances, le CNRS tente depuis plusieurs années de convertir les chercheurs à la culture de la performance. La route paraît encore longue et les obstacles nombreux.

L’inspection des Finances en 2004 et la Cour des comptes en 2008 ont critiqué tour à tour la gestion des ressources humaines au CNRS. En 2010, un rapport de Philippe Even, ancien doyen de l’hôpital Necker, consacré à la recherche biologique notamment au CNRS, pointe un système qui se montre souvent « incapable de fermer les unités de recherche improductives, qui coûtent autant que les autres […] Des unités très hiérarchisées qui ne laissent guère d’autonomie aux meilleurs jeunes, placés des années au service de seniors plus âgés qu’eux et qui n’accèdent à la liberté de projet que très tard, après qu’ils ont souvent perdu enthousiasme et créativité dans un fonctionnariat sécurisant, mais peu mobilisateur. » La France n’a recueilli que 14 Nobel en sciences depuis 1945 contre 51 au Royaume-Uni, alors que notre voisin consacre moins d’argent à la recherche (500 euros par habitant en 2007, contre 570 euros en France).

Partant de ces constats, le CNRS a été incité à améliorer ses performances en accompagnant, récompensant ou sanctionnant plus efficacement le travail et les carrières de ses personnels. Le défi pour la DRH consiste à instiller le changement dans une administration qui emploie 32 000 salariés relevant de différents métiers, statuts et cultures. Sous l’œil sceptique des syndicats : « Les pratiques RH du CNRS consistent à plaquer des méthodes d’entreprise à une administration très particulière, ça ne peut pas fonctionner », affirme Patrick Monfort, secrétaire général du Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS FSU).

Formations repensées

Malgré les réticences, la DRH avance sur tous les fronts. Elle travaille à professionnaliser les pratiques managériales des cadres dirigeants. L’Institut de perfectionnement à la gestion de la recherche, créé en 1995, a fait place en 2007 à l’Institut du management du CNRS, qui accueille chaque année une centaine de cadres dirigeants et à haut potentiel. « Les formations ont été repensées pour s’ouvrir notamment au monde de l’entreprise », précise Christine d’Argouges, DRH du CNRS.

Autre changement notable ; les entretiens de performance et de développement concernent, depuis 2009, les cadres des directions fonctionnelles et des délégations régionales et prennent davantage en compte les aspects managériaux. Sur cette base, le CNRS expérimente une prime individuelle sur objectif représentant, en moyenne, 5 % de la rémunération annuelle, laissée à la discrétion de la hiérarchie. Elle devrait s’étendre progressivement à l’ensemble des cadres non chercheurs.

Revalorisation des carrières

Parallèlement le CNRS amplifie sa politique de revalorisation des carrières, engagée en 2007. Pour compenser des émoluments de départ modestes – 2 500 euros pour des bac + 8 – le nombre de promotions a été accru.

En outre, la prime d’excellence scientifique (PES), mise en place en 2009, permet de distinguer chaque année les chercheurs lauréats d’un prix reconnu (médaille du CNRS par exemple), ayant publié, ou participant activement à des projets collectifs ou à l’enseignement. « Cela sous-entend que les autres sont beaucoup moins performants, ce qui est injuste car les chercheurs sont sursélectionnés pour intégrer le CNRS puis pour gravir chaque échelon », critique Patrick Monfort.

Par ailleurs, la direction assure aujourd’hui mieux prendre en charge les chercheurs déficients, souvent ceux qui ne publient rien dans les revues de référence. Longtemps, cette administration, comme beaucoup d’autres, a fermé les yeux sur les « éprouvettes cassées ». Ceux-ci se faisaient d’autant moins remarquer que le CNRS n’a jamais eu la culture du présentéisme ni de la pointeuse… Cette époque serait révolue. Les rapports sur leur activité, que les chercheurs remettent tous les deux ans, donnent lieu à un classement en trois avis (favorable, réservé ou alerte), systématiquement suivi d’effet depuis 2007 dans les deux derniers cas.

Selon le CNRS, 4 % des chercheurs ont la malchance chaque année de recevoir un avis réservé ou d’alerte. Ce qui leur vaut d’être aidés par les RH des délégations régionales pour retrouver un rythme de travail normal, voire se réorienter. Le renforcement de l’évaluation des chercheurs fait cependant débat. Leurs syndicats craignent que les initiatives des DRH n’affectent leur liberté académique.

Risques de dérives ?

Et de dénoncer, qui un productivisme à court terme incitant les chercheurs à se détourner du long terme ; qui un temps excessif passé à faire du reporting ; qui des risques de dérives éthiques : l’importance croissante des publications dans les carrières favoriserait les petits arrangements entre collègues, qui cosigneraient mutuellement leurs travaux sans y avoir vraiment participé pour améliorer leur quota. Une dérive déjà constatée aux Etats-Unis, inventeurs du “publish or perish”…

Malgré les craintes, le CNRS entend poursuivre dans cette voie. « L’ensemble de ces évolutions répond à un objectif stratégique du CNRS : attirer les talents et les mettre en situation de s’exprimer. C’est l’ambition de notre politique de RH, au service de la créativité des chercheurs et des laboratoires », conclut Christine d’Argouges.

Auteur

  • FRÉDÉRIC BRILLET