Pierre Dardot et Christian Laval, La Découverte, 500 pages, 13 euros.

La crise financière a semblé pour d’aucuns sonner le glas du néolibéralisme, comme si la logique du profit était cette fois allée beaucoup trop loin et que devait forcément revenir le temps du bon sens et des régulations nécessaires. Pour les auteurs, cette vision est simpliste. L’Etat a d’autant moins volé au secours d’un humanisme en péril que le néolibéralisme ne s’est pas édifié contre l’Etat censé représenter l’intérêt général, mais bien grâce à lui.

L’intervention de l’Etat s’est donc inscrite dans la logique néolibérale de défense des marchés financiers, non des citoyens. En pleine crise économique, le néolibéralisme continue même à se déployer sans faillir non seulement sur la scène internationale mais aussi jusqu’au plus intime de nos consciences. Le véritable succès de cette idéologie nouvelle n’est pas tant, en effet, d’avoir permis aux multinationales de réaliser de gigantesques profits mais bien d’avoir colonisé notre univers mental jusqu’au point où il semble aujourd’hui évident de “gérer” les affaires publiques, les Etats, les problèmes sociaux et même notre vie comme une entreprise.

La rationalité marchande, fondée sur une concurrence généralisée, est devenue la règle universelle des échanges, mais aussi celle de la conception du monde de nos concitoyens. Cette idéologie gestionnaire menace aujourd’hui la démocratie libérale, qui présupposait une certaine irréductibilité du politique et de la morale à l’économique. La vie n’est plus qu’une gigantesque entreprise !

Pierre Dardot est professeur de philosophie.

Christian Laval est enseignant chercheur en sociologie à Paris 10.