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Enquête

« Cette réforme des retraites aurait dû être préparée par une profonde rénovation du système de formation professionnelle »

Enquête | L’entretien avec | publié le : 09.11.2010 | AURORE DOHY

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« Cette réforme des retraites aurait dû être préparée par une profonde rénovation du système de formation professionnelle »

Crédit photo AURORE DOHY

E & C : Le gouvernement assure que le relèvement de l’âge du départ en retraite améliorera de façon automatique le taux d’emploi des seniors. Cette nouvelle réforme des retraites a-t-elle vraiment plus de chances d’aboutir sur ce sujet que celles qui l’ont précédée ?

B. P. : S’il est vrai que le relèvement de l’âge légal de départ en retraite à 62 ans, largement soutenu par le Medef, marque une évolution pour un patronat jusqu’à peu dominé par une industrie très consommatrice de préretraites, on voit bien que les entreprises sont loin d’avoir renoncé à leur politique de départs précoces. Comment en serait-il autrement quand celle-ci est la conséquence immédiate des choix stratégiques réalisés par la France dès les années 1970 pour rester compétitive dans une économie globalisée ? Plutôt que d’opter pour une compétitivité axée sur la qualité ou l’innovation, la France a en effet préféré miser sur la compression des coûts, en particulier les coûts salariaux, en se séparant de ceux qui coûtent trop cher - les plus âgés, mieux payés du fait de leur ancienneté - et en cherchant à tirer le maximum de ceux qui restent. Rappelons qu’à l’origine, les préretraites ont été conçues pour accompagner les politiques de restructurations industrielles visant à mettre un terme aux activités économiques les moins rentables et rendre les autres plus compétitives. Sauf que les jeunes, qui devaient être embauchés pour remplacer les départs ne l’ont jamais été, avec le résultat que l’on sait : la France combine aujourd’hui les taux d’emploi des seniors et des jeunes le plus faible avec une productivité horaire parmi les plus élevées d’Europe. A ce jour, cette stratégie économique "peau de chagrin" n’a malheureusement jamais été remise en cause.

E & C : La forte mobilisation sociale au cours de ces dernières semaines a également montré à quel point les salariés français rejetaient l’idée de travailler plus longtemps…

B. P. : Ce refus est lui aussi une conséquence directe de cette politique de compression de coûts. En France aujourd’hui, de moins en moins de gens ont un emploi, mais ceux qui travaillent sont soumis à des rythmes de plus en plus intenses. Ainsi mis sous pression tout au long de leur carrière, les salariés, épuisés, n’aspirent qu’au départ en dépit de l’allongement de l’espérance de vie. Une enquête réalisée par la Caisse nationale d’assurance vieillesse en 2008 souligne qu’en dehors de certaines professions intellectuelles pour qui travail rime avec “réalisation de soi”, la grande majorité des salariés associe travail avec fatigue, contraintes, obligations, usure, stress, pression, dégradation de l’ambiance au travail et du statut personnel, et n’attend qu’une seule chose : partir à la retraite le plus tôt possible.

E & C : Comment sortir de ce cercle vicieux ?

B. P. : C’est toute la stratégie économique française qu’il faut réinterroger. Si la France choisissait la voie de la compétitivité par la qualité et l’innovation, comme l’ont fait les entreprises du Nord de l’Europe, les salariés seraient traités autrement - on ne produit pas de la qualité à bas coût ! - et n’auraient pas le regard tourné vers la sortie. La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009 a certes imposé aux entreprises de négocier ou de prévoir un plan d’actions sur l’emploi des seniors, mais ces dispositions sont sans commune mesure avec le plan de mobilisation pour l’emploi des seniors mis en œuvre par un pays comme la Suède, dans lequel l’amélioration des conditions de travail, l’aménagement des postes et des fins de carrières et la formation professionnelle ont joué un rôle central. Arrêtons de glorifier les cost killers que sont Carlos Ghosn et consorts, et réfléchissons à la façon d’améliorer les postes, les conditions et l’ambiance au travail. Il me semble également que cette nouvelle réforme des retraites aurait dû être préparée par une profonde rénovation du système de formation professionnelle, capable de corriger les effets pervers des politiques de formation des entreprises - continuer à former ceux qui en ont le moins besoin - et de donner enfin une réalité à la formation tout au long de la vie. Un salarié qui se sent considéré comme une ressource sur laquelle on investit plutôt que comme un coût - qu’il s’agit avant tout de réduire - ne proteste plus dans la rue contre l’allongement de la durée de travail.

* Egalement auteur de La Réforme des retraites, PUF, collection Que sais-je ? (3e édition actualisée en mars 2010).

Auteur

  • AURORE DOHY