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« Restaurer le sens du travail par le slow management »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 23.11.2010 | VIOLETTE QUEUNIET

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« Restaurer le sens du travail par le slow management »

Crédit photo VIOLETTE QUEUNIET

La souffrance au travail est souvent due à une défaillance managériale. Les salariés ont besoin d’être écoutés, accompagnés et de comprendre pourquoi ils travaillent. Pour assurer leur bien-être mais aussi la pérennité de l’entreprise, les managers doivent adopter le slow management.

E & C : Pour instaurer le bien-être au travail, vous proposez aux dirigeants de passer au slow management. En quoi cela consiste-t-il ?

Loïck Roche : Le slow management est une idée simple : il s’agit pour les managers de prendre le temps de rencontrer les personnes qu’ils encadrent pour discuter avec eux, les écouter, communiquer. L’idée du slow management est importée des Etats-Unis, notamment par les fondateurs de Hewlett Packard. Ils ont appelé ça le “Management by walking around” (MBWA). L’objectif initial est de rappeler qu’il y a bien un pilote dans l’avion. Les hommes et les femmes ont besoin de croire en quelqu’un qui donne du sens. C’est un point tout à fait fondamental, surtout dans les entreprises mondialisées, où le manager peut être éloigné géographiquement.

E & C : Le slow management est-il le contraire du fast management ? Faut-il donc prendre le temps de se poser ?

L. R. : Le slow management n’a rien à voir avec le fait d’aller lentement : il faudra toujours prendre des décisions, assurer la pérennité de l’entreprise et continuer à composer avec un agenda extrêmement chargé. Simplement, pour que le navire-entreprise fonctionne bien, il faut savoir descendre dans la cale et aller à la rencontre de ceux et de celles qui le font avancer. Il y a, chez trop de cadres, un certain confort, voire une excitation à être “important” : passer d’une réunion à l’autre, se concentrer sur ses mails, son portable, multiplier les déplacements… Le résultat ? Une aseptisation du management, un espace, parfois un fossé, entre eux et les personnes qu’ils dirigent. Loin de rassurer, ces cadres ne montrent en réalité que leur peur : la peur du contact avec les autres, la peur finalement de leur incompétence à faire du management.

Le slow management, c’est assumer ses responsabilités de manager, c’est accepter de passer moins de temps dans le confort des réunions, ou en déplacement, pour redonner du temps aux rencontres avec les hommes et les femmes qui font l’entreprise.

E & C : Dans ce type de management, vous insistez sur le rôle pédagogique des managers. Pourquoi ?

L. R. : La pédagogie est essentielle pour transmettre des informations, accompagner tout au long de la vie professionnelle, préparer à la compétition. On n’a pas suffisamment préparé les personnes à la compétition. La personne qui a pris chaque matin sa caisse à outils pendant vingt-cinq ans pour aller sur un chantier savait pourquoi elle travaillait. Si, du jour au lendemain, sans même crier gare, on la met dans un centre d’appels, comment voulez-vous qu’elle s’y retrouve ? Sans pédagogie, on perd le sens du travail. Quand comprendrons-nous que les hommes et les femmes ont besoin de deux choses : du sens et de la reconnaissance. Le devoir du manager est d’être un manager-enseignant. Cela ne consiste pas seulement à expliquer et à faire passer des informations, c’est aussi entendre des questions, essayer d’y répondre, faire évoluer sa pensée.

E & C : Comment valoriser ce type de management ? Quel rôle peut jouer la DRH ?

L. R. : Il faudrait valoriser davantage tout ce qui est de l’ordre de la coopération entre services, la capacité à bâtir des équipes, à bâtir un rêve commun, des relations de confiance, un socle de valeurs communes. Il faut vouloir privilégier l’intérêt général et non batailler seulement pour ses propres intérêts. Nous sommes trop souvent dans le chacun pour soi : on travaille en “silo”, pour sa propre entité, son service, son budget… Un bon outil RH pour favoriser le slow management, trop peu utilisé, est le baromètre de satisfaction, à condition de ne pas se limiter à prendre la température, mais prendre les mesures qui vont améliorer la situation. Il faut comprendre qu’accepter de travailler sur le bien-être des personnes, ce n’est pas se donner bonne conscience, c’est vouloir avant tout la performance et donc la pérennité de l’entreprise.

E & C : Vous formez dans votre école de futurs managers. Que faites-vous pour les inciter à manager autrement ?

L. R. : Nous essayons de proposer aux étudiants une assise culturelle forte, en plus des connaissances fondamentales en management. Cela se traduit par des cours de géopolitique pendant tout le cursus, pour leur permettre de comprendre le monde, par des cafés philosophiques, par un accès à ce qui se fait de plus pointu en matière de recherche académique dans la gestion et le management. L’objectif est de doter les étudiants de bases solides pour qu’ils puissent s’autoriser, une fois ces bases acquises, à les oublier pour inventer. Si l’on veut transformer en ligne de vie ce qui, la réalité nous l’a montré, peut être des lignes de mort, la plus grande ambition que doit avoir un manager, c’est de faire en sorte que rien de grave n’arrive, ni pour les hommes, ni pour l’entreprise. Pour reprendre une expression de Camus, faire en sorte que « le monde ne se défasse pas ».

PARCOURS

• Loïck Roche est, depuis 2002, directeur adjoint du groupe Grenoble Ecole de Management. Diplômé de l’Essec, docteur en psychologie et en philosophie, formé à Harvard, il est également, depuis 2001, directeur de la pédagogie et de la recherche de l’école doctorale school et, depuis 1995, professeur et conférencier.

• Il est spécialiste du management, du bien-être et de la performance, auteur ou coauteur d’une trentaine d’ouvrages, dont Cupidon au travail (éd. d’Organisation, 2006), Les 7 règles du storytelling (Pearson, 2010) et, dernièrement, de Eloge du bien-être au travail (Presses universitaires de Grenoble, 2010).

SES LECTURES

• Leadership au masculin et au féminin, Anne Cherret de La Boissière, Dunod, 2009.

• Alerte sur la banquise !, John Kotter, Holger Rathgeber, Pearson, 2008.

• Le Mythe de Sisyphe, Albert Camus, Gallimard.

Auteur

  • VIOLETTE QUEUNIET