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Enjeux

L’obligation de sécurité de résultat de l’employeur : une responsabilité sans limite ?

Enjeux | Chronique juridique par AVOSIAL | publié le : 01.02.2011 | PHILIPPE ROGEZ

Chaque employeur est tenu de veiller à la sécurité de ses salariés. Il doit, en application de l’article L. 4121-1 du Code du travail, prendre toutes les mesures nécessaires afin d’assurer leur sécurité et protéger leur santé physique et mentale. Il s’agit, selon la jurisprudence, d’une obligation de sécurité de résultat : la responsabilité de l’employeur peut être engagée alors même qu’il n’a commis aucune faute.

L’arrêt rendu le 30 novembre 2010 par la Cour de cassation (n° 08-70390) apporte un éclairage nouveau sur l’étendue de cette obligation. Dans cette affaire, un salarié d’une entreprise de travail temporaire est mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice, afin de participer, en qualité de soudeur, à la fabrication de citernes en inox. Compte tenu des risques d’inhalation de fumée de soudage, l’entreprise utilisatrice prévoit la mise à disposition de masques à adduction d’air ainsi qu’un suivi médical d’exposition. A la suite de deux prélèvements faisant apparaître des taux positifs de chrome dans les urines du salarié, le médecin du travail le déclare, à titre préventif, inapte à son poste, sans que l’intéressé ne présente de signe d’intoxication ni aucune lésion justifiant sa prise en charge au titre d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.

Le salarié saisit la juridiction prud’homale afin d’obtenir la condamnation de l’entreprise de travail temporaire ainsi que celle de l’entreprise utilisatrice à lui verser des dommages-intérêts pour manquement à leur obligation de sécurité de résultat. Pour débouter le salarié de sa demande, la cour d’appel fait valoir que, selon le rapport d’expertise médicale, la procédure de prélèvement appliquée au salarié n’était pas fiable et que l’application d’une nouvelle procédure avait fait baisser de façon significative le nombre de taux positifs relevés sur l’ensemble des salariés exposés. Elle en déduit que la fourniture d’un masque à adduction d’air dix jours après le début des travaux n’a eu aucune incidence sur le taux de chrome détecté chez le salarié, ce taux étant resté identique lors du second prélèvement alors qu’il utilisait, à cette date, le masque depuis un mois.

La Cour de cassation casse l’arrêt, au motif que la seule circonstance que le masque de protection n’ait pas été mis à la disposition du salarié dès le début de sa mission constitue un manquement de l’entreprise utilisatrice à son obligation de sécurité de résultat, causant nécessairement un préjudice au salarié. Autrement dit, le simple fait d’avoir exposé le salarié à un risque engage la responsabilité de l’entreprise ; cette exposition cause nécessairement un préjudice au salarié, même en l’absence de toute altération de sa santé. On comprend la préoccupation de la Cour de cassation : elle entend dissuader les employeurs d’exposer leurs salariés à un risque, et ce même s’il n’en résulte aucune dégradation de leur santé.

Si ce raisonnement est applicable lorsque le risque est par avance clairement identifié (en l’espèce l’inhalation de fu– mée de soudage dès le début de la mission), il peut se révéler, dans d’autres situations, beaucoup plus délicat à mettre en œuvre.

On pense notamment au harcèlement moral. Il est matériellement difficile, voire impossible, de déterminer avec précision l’instant à compter duquel un collaborateur pourrait considérer qu’il court le risque d’être victime de harcèlement moral, alors même que celui-ci n’est nullement constitué.

On peut également craindre une application déraisonnable de cette jurisprudence, qui conduirait à prétexter la moindre difficulté (un dossier délicat à gérer, un entretien avec un client mécontent, etc.) afin de faire valoir l’exposition du salarié à un risque (stress, anxiété, etc.) et ce même si l’événement invoqué n’a eu aucune conséquence sur sa santé.

La protection de la santé et de la sécurité des salariés est une obligation de premier ordre. Elle ne doit pas, pour autant, se transformer en une obligation de divination et entraîner la condamnation systématique de l’employeur au motif qu’il n’aurait pas su anticiper ce que peut représenter, pour chacun de ses salariés, la notion même de risque.

Sauf à faire mentir l’adage « à l’impossible nul n’est tenu ».

Philippe Rogez, avocat à la Cour, du cabinet Raphaël, membre d’Avosial, le syndicat des avocats en droit social.

Auteur

  • PHILIPPE ROGEZ