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Du sur-mesure pour sauvegarder l’emploi

Enquête | publié le : 29.03.2011 | ÉLODIE SARFATI

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Du sur-mesure pour sauvegarder l’emploi

Crédit photo ÉLODIE SARFATI

Dans les plans sociaux, le reclassement externe fait souvent l’objet d’un suivi attentif. Pourtant, la phase de reclassement interne est tout aussi essentielle, à la fois pour éviter les licenciements et pour conserver des compétences. Les résultats sont néanmoins aléatoires et dépendent en partie du temps et des moyens qui y sont consacrés.

Début avril, plus de 200 anciens salariés de Seafrance devraient déposer aux prud’hommes de Calais un dossier demandant la condamnation de leur employeur pour licenciement abusif. Ce qu’ils dénoncent ? La procédure de reclassement interne mise en œuvre dans le cadre du PSE de la compagnie maritime : « Les offres au sein de la SNCF (propriétaire de Seafrance, NDLR) n’étaient pas des propositions précises et fermes, mais de simples offres de recrutement, puisque les salariés étaient invités à concourir, comme pour n’importe quel candidat externe », dénonce Me Philippe Brun, leur avocat, qui estime la procédure illégale.

Que l’avocat soit ou non suivi par les juges, cet épisode illustre bien la place que prend le reclassement interne dans les contentieux liés aux PSE. Car la loi est claire : l’employeur qui supprime des postes doit tout faire pour éviter le licenciement des salariés (lire p. 23).

Garder les compétences

Pour autant, l’enjeu n’est pas seulement juridique. La mise en œuvre de cette obligation renvoie à la responsabilité sociale des entreprises, alors que le retour à l’emploi des salariés licenciés pour motif économique demeure incertain : selon un rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese) daté de 2010, les cellules de reclassement externe ne permettent de retrouver un emploi durable qu’à 60 % des salariés licenciés.

Réussir à repositionner les salariés est également de l’intérêt de l’entreprise lorsqu’elle se réorganise : « Les salariés sont déjà formés, connaissent l’entreprise et ses valeurs », souligne Delphine François-Philip de Saint-Julien, maître de conférences en GRH à l’université Versailles-Saint-Quentin*. « Maintenir les personnes en interne était d’abord pour nous un enjeu opérationnel, abonde Patrice Cardinaud, DRH d’American Express Voyages d’Affaires, où 230 postes ont été supprimés après la fermeture d’une dizaine d’agences de province en 2010. Mais avec seulement une quarantaine de reclassements, sur une centaine de postes ouverts, nous avons perdu des compétences parmi les agents de voyage. »

Pour mener à bien cette phase délicate, les plans sociaux – appréciés par l’administration à l’aune des moyens du groupe – prévoient en général toute une batterie de mesures : aides à la mobilité, prime de reclassement, crédit d’heures pour rechercher un poste, budgets de formation, etc.

La présence d’une bourse à l’emploi à l’échelle du groupe, régulièrement mise à jour, facilite le processus de recueil des propositions. Mais elle doit s’accompagner de règles du jeu claires : « Toutes les sociétés avaient obligation de geler le recrutement sur les postes correspondant aux métiers des salariés de l’usine, en attendant que l’offre de reclassement leur soit faite, raconte Jean-Michel Laborie, ancien DRH d’un site du groupe Atlas Copco, dans l’Oise, qui a terminé un plan social en 2010. Il a fallu à cette occasion rappeler les règles de priorité à la mobilité interne. »

De fait, « il est important que la direction ait un discours volontariste envers l’ensemble des sites d’accueil sur son intention de favoriser les reclassements, assure Henri Kaczmarek, directeur pour la région Nord du cabinet Menway. Cela rassure les salariés et permet de générer des propositions de la part des différentes filiales. »

Pour lever les freins que peut opposer l’encadrement intermédiaire au recrutement interne, « pourquoi ne pas imaginer intégrer un critère de solidarité dans la grille de performance des managers ? », suggère-t-il.

C’est que les bilans des plans de reclassements internes sont en général très modestes : « Dans les PSE que nous examinons, cela concerne environ 10 % des effectifs, estime Dominique Paucard, responsable du pôle restructurations du cabinet Syndex, qui accompagne les CE. Bien souvent, tout dépend de la stratégie adoptée en amont des restructurations : lorsque les employeurs en ont le temps, ils organisent les mobilités avant de lancer le PSE. A ce moment-là, les postes clés sont déjà pourvus et les possibilités réduites pour les salariés à reclasser. »

C’est également le cas quand l’entreprise n’est pas intégrée à un groupe et que les emplois sont, de fait, peu nombreux, ajoute Henri Kaczmarek : « Et dans les groupes, c’est la mobilité géographique qui pose en général problème. La plupart des salariés sont attachés à leur territoire. » C’est ce qui s’est passé chez American Express Voyages d’Affaires, ou encore chez GlaxoSmithKline : à peine plus d’une vingtaine de salariés d’Evreux concernés par le PSE ont accepté de changer de bassin d’emploi, indique Jean-Charles Rebours, directeur des relations sociales, « malgré les incitations négociées avec les élus : prime de trois mois pour changer de site, même sans déménagement, accompagnement du conjoint, etc. ». Quand, en plus, le niveau des indemnités de licenciement est élevé, les salariés peuvent arbitrer en faveur du départ, comme à Lejaby (lire encadré ci-dessus).

Mais c’est aussi le temps qui fait souvent défaut pour organiser en nombre les mutations de salariés contraints brutalement de remettre à plat leur évolution professionnelle (lire interview p. 27). Or le temps est un facteur clé dans la réussite des transitions.

Antoine Pams, DRH de Solvay, en est convaincu : c’est pourquoi le groupe chimique, qui a annoncé en septembre 2010 le premier PSE de son histoire (69 postes supprimés dans les fonctions supports, conséquence de la vente de la branche pharmacie à Abbott), s’est donné jusqu’à fin 2011 pour réaliser les reclassements internes et les départs volontaires : « Jusqu’à présent, nous avons réussi à nous réorganiser par la GPEC. Là, nous avons dû faire face à une situation imprévue. Nous nous sommes donc donné le temps de retomber socialement sur nos pieds. »

Chez Michelin (lire p. 24) ou Aubert & Duval (lire p. 25), on prévoit aussi des mois, voire des années, pour permettre un maximum de mobilités géographiques. Idem chez Sanofi, à Vitry, pour accompagner les reconversions des salariés de la production chimique vers les biotechnologies (lire p. 26).

L’entreprise doit par ailleurs remettre en question ses modes habituels de gestion de la mobilité. « Nous devons concilier les opportunités de reclassement et le fonctionnement de la nouvelle organisation. C’est un travail de fourmi, qui change les réflexes du reclassement interne et pousse à faire le pari de la formation », résume Jean-Charles Rebours.

Chez American Express Voyages d’Affaires, le reclassement des salariés a « ouvert la réflexion » sur le travail à domicile, qui a été développé à cette occasion. Une soixantaine de postes en télétravail ont été proposés aux agents de voyage qui ne voulaient pas changer de région ; une quinzaine ont postulé.

Susciter l’intérêt des salariés

« A partir de l’analyse fine des compétences des salariés, on peut se permettre d’être inventif et d’envisager toutes les solutions sur ce que chacun serait capable de faire, résume Pascal Barthélémy, président du cabinet d’accompagnement au changement Adventia. Si l’on accepte de dépasser l’image que l’on a de certains salariés, on trouve des possibilités de reclassement sur des postes que l’on n’imaginait pas au départ. » A condition de susciter l’intérêt du collaborateur, fruit d’un accompagnement sur mesure, poursuit-il : « Souvent, les personnes s’imaginent peu mobiles, incapables d’évoluer. Or ces balises psychologiques se relativisent quand elles rentrent dans la démarche et que l’attrait du projet émerge à leurs yeux. »

* Auteure de Les Plans de sauvegarde de l’emploi, éd. Liaisons, 2010.

L’essentiel

1 Dans les PSE, les entreprises ont intérêt à favoriser les reclassements internes, processus au cœur de nombreux contentieux.

2 Attachement au territoire, attrait des indemnités de départ, brutalité des changements… ces mobilités contraintes se heurtent à de nombreux obstacles, et les bilans sont rarement à la hauteur.

3 Les entreprises qui réussissent à garder en interne de nombreux salariés mettent généralement en place un accompagnement sur mesure.

Lejabya mis les moyens, mais sans succès

D’abord annulé le 20 octobre 2010 par le tribunal de Lyon, le plan social de Lejaby (193 suppressions d’emploi provoquées par la fermeture des sites de Bourg-en-Bresse et de Bellegarde, dans l’Ain, et du Teil, en Ardèche) a été finalement adopté deux mois plus tard. A la clé : un budget de 10 millions d’euros pour accompagner les départs et maintenir une trentaine de personnes dans l’entreprise, à Rillieux-la-Pape (Rhône) et à Yssingeaux (Haute-Loire). Résultat début mars : seules deux salariées avaient quitté leur poste de responsable d’atelier et de chef d’équipe, à Bourg-en-Bresse, pour venir près de Lyon occuper, respectivement, un emploi de responsable méthodes et industrialisation et de technicienne méthodes.

« Les reclassements internes n’ont pas rencontré un franc succès », euphémise Eric Talbot, le DRH. Il espérait davantage de candidates. Une navette quotidienne devait transporter les salariées de l’Ain jusqu’au siège de Rillieux. Et une prime de 10 000 euros brut d’aide à l’installation était prévue – en plus d’une prise en charge de double loyer, jusqu’à six mois, et d’une aide à la recherche d’emploi pour le conjoint. Tous devaient bénéficier d’une formation d’adaptation, en disposant de deux mois pour se rétracter.

« Personne ne l’a demandé, se désole le DRH. L’indemnité de départ, pour un ouvrier, est de l’ordre de 50 000 euros. Les salariés qui ont déjà dû faire face à la fermeture de leur atelier font le calcul qu’en restant, ils auront de nouvelles contraintes sans gagner beaucoup plus. » Conséquence : l’entreprise va devoir envisager des recrutements…

LAURENT POILLOT

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI