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Du discours politique à la réalité du terrain

Actualités | publié le : 10.05.2011 | CAROLINE FORNIELES, ELODIE SARFATI, PASCALE BRAUN

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Du discours politique à la réalité du terrain

Crédit photo CAROLINE FORNIELES, ELODIE SARFATI, PASCALE BRAUN

Alors que le gouvernement proclame son intention de réduire l’immigration professionnelle, il apparaît que la liste des métiers en tension établie en 2008 comme base de l’immigration choisie, s’est révélée inopérante sur le terrain.

L’immigration de travail a-t-elle vécu ? Réactivée en 2007 par Nicolas Sarkozy comme base de sa politique d’immigration “choisie” – avec l’objectif de la faire passer à 50 % de l’immigration totale –, elle semble aujourd’hui dans le collimateur du gouvernement. Claude Guéant a souhaité, début avril, réduire le nombre de personnes admises au titre de l’immigration de travail – elles étaient 31 532 en 2010 d’après l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Du côté du ministère du Travail, on s’activerait à revoir la liste des 30 métiers en tension établie en 2008, si l’on en croit la déclaration faite le 17 avril par Xavier Bertrand. Cette liste visait à organiser un flux d’immigration en provenance de pays tiers (hors Union européenne) pour répondre aux besoins des entreprises françaises confrontées à une pénurie de candidats.

Recrutement “sans distinction de nationalité”

Les employeurs auront-ils bientôt plus de difficultés à recourir à cette main-d’œuvre étrangère ? Sur le terrain, ces annonces ne semblent pas inquiéter outre mesure. En Lorraine par exemple, où les chambres professionnelles signalaient des besoins dans certains métiers répertoriés dans cette liste (conducteurs d’engins, chargés d’études ou chefs de travaux), le tissu régional, essentiellement constitué de petites entreprises, n’y a pourtant guère eu recours.

La crise a d’abord mis un gros coup de frein aux recrutements. Et, en ces temps d’embellie, les employeurs n’utiliseront pas plus la liste, puisqu’ils recommencent à recruter “sans distinction de nationalité” des salariés français ou étrangers déjà installés sur le territoire. « Faire venir un salarié depuis son pays d’origine reste donc marginal, constate aussi Violaine Carrère, du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés). Beaucoup d’employeurs ignorent même l’existence de la liste des 30 métiers. » Seul le secteur informatique fait exception (lire ci-contre).

Des métiers rarement en phase avec les qualifications réelles

Les délais administratifs ainsi que les taxes à payer (jusqu’à 2,5 smic mensuels) expliquent sans doute pour partie que les employeurs recrutent peu de candidats à l’étranger. Mais surtout, la détermination des métiers en tension, souvent qualifiés, est rarement en phase avec les qualifications réelles des migrants. D’après un rapport de l’Assemblée nationale de mars 2010, la part de ces métiers s’élève à 8 % des autorisations délivrées par le ministère du Travail.

La notion d’immigration de travail telle qu’envisagée par le gouvernement en 2007 reste donc une formule : sur le terrain, les réalités sont plus complexes. D’après les statistiques de l’ex-ministère de l’Immigration, 22 450 personnes ont été admises au titre de l’immigration de travail en 2009 pour une durée supérieure à un an. Mais il faut y ajouter les migrations temporaires, entre trois et douze mois (6 622 en 2009). Quoi qu’il en soit, les détenteurs d’autres cartes de séjour, comme la carte “vie privée et familiale” ont, de droit, l’autorisation de travailler sur le sol français.

Pour Nicolas Jounin, sociologue et enseignant-chercheur à Paris 8, « la distinction entre immigration de travail et immigration familiale n’a aucune pertinence sociologique. Mais elle a conduit à la création de titres de séjour spécifiques, donnant moins de droits aux migrants, puisqu’ils peuvent être délivrés pour exercer un métier précis dans une région définie. Un salarié qui perd ou qui quitte son emploi doit alors retrouver un poste équivalent, sinon son titre risque de ne pas être renouvelé. Ce mécanisme rend ces salariés beaucoup plus captifs de leurs employeurs ».

Par ailleurs, parmi les 20 655 titres de “salarié permanent” délivrés en 2009, 82 % concernaient des personnes déjà résidentes en France, en particulier des travailleurs en situation irrégulière présents depuis plusieurs années sur le territoire. Le nombre de ces régularisations s’est accéléré depuis les nouvelles consignes données aux préfectures par le ministère en charge de l’immigration, le 18 juin 2010 (à la suite du mouvement de grève des travailleurs sans-papiers animé par des syndicats et des associations). Près de 2 500 auraient obtenu leur titre de séjour “travail”. Lors d’une réunion avec les ministères concernés, qui s’est tenue le 29 avril, les syndicats ont néanmoins rappelé qu’on était loin du compte – il y avait 6 500 salariés sans-papiers grévistes. Autre critique, les exigences des préfectures : « C’est particulièrement vrai pour l’intérim, dénonce Francine Blanche, de la CGT. Au lieu du simple engagement de mission de douze mois dans les dix-huit mois qui suivent la régularisation, certaines vont jusqu’à réclamer que le donneur d’ordres signe un CDI. »

Régularisations : des délais décourageants

D’après les syndicats, beaucoup d’employeurs, assurés par une circulaire qu’ils ne risquent pas de redressement Urssaf, ont joué le jeu. Parmi eux, Veolia, Derichebourg, TNF, Samsic, Bouygues, Vinci, Casino, Nicollin ou Eiffage. « Certains ont fait un effort supplémentaire en embauchant leurs intérimaires de plus de six mois », indique Francine Blanche. Ce sont plutôt les délais qui découragent les entreprises : « Les quatre mois promis ne sont pas tenus. Il n’est pas rare que cela traîne pendant douze mois. » Outre la déprécarisation de ces salariés, les syndicats soulignent que les régularisations permettent de lutter contre le dumping social – la face sombre de l’immigration de travail.

Une liste ? Non, des listes !

→ Un arrêté du 18 janvier 2008 a établi deux listes de métiers « en tension » permettant à un travailleur étranger d’obtenir une autorisation de travail sans que lui soit opposée la situation du marché du travail. La première, de 150 métiers, est destinée, jusqu’à fin 2011, aux Roumains et aux Bulgares. Elle comporte des métiers aux qualifications diverses : ouvrier du BTP, employé de restauration, cadre de l’industrie… ; la deuxième, de 30 métiers, est établie région par région et destinée aux ressortissants des pays tiers (hors Union européenne). Les métiers sont en général qualifiés : cadre de l’audit, informaticien expert, chef de chantier du BTP, géomètre, agent d’assurances…

→ Ces listes, établies à partir des tensions de l’emploi mesurées en 2007, devaient être revues annuellement avec les partenaires sociaux. Cela n’a pas été le cas, malgré la crise.

→ Des accords de gestion des flux migratoires passés avec certains pays peuvent comporter davantage de métiers non opposables, notamment le Sénégal (108 métiers) et la Tunisie (77 métiers).

→ Ces listes peuvent servir de base à la régularisation des travailleurs “sans papiers”. Mais cela peut créer des situations ubuesques, souligne Francine Blanche, de la CGT : au regard des accords bilatéraux, « on peut être laveur de carreaux si on est Sénégalais ; c’est impossible si l’on vient du Bénin ». De plus, les métiers en tension recensés dans l’arrêté sont en totale inadéquation avec ceux effectivement exercés par ces salariés. Une troisième liste a donc été négociée, le 18 juin 2010 : elle comporte 85 métiers peu qualifiés dans les secteurs du bâtiment, nettoyage, aide à la personne, etc. Toutefois, faute d’instructions nationales précises, les Direccte, qui donnent leur avis sur ces régularisations, ne s’y réfèrent pas suffisamment, selon Francine Blanche, et se focalisent encore trop sur les 30 métiers en tension.

Auteur

  • CAROLINE FORNIELES, ELODIE SARFATI, PASCALE BRAUN