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Enquête

LES GROUPEMENTS D’EMPLOYEURS PEINENT À SÉCURISER LES PARCOURS

Enquête | publié le : 29.11.2011 | LYDIE COLDERS

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LES GROUPEMENTS D’EMPLOYEURS PEINENT À SÉCURISER LES PARCOURS

Crédit photo LYDIE COLDERS

Les groupements d’employeurs sont-ils réellement un outil de sécurisation des parcours ? S’ils disposent d’une expérience certaine dans la mutualisation des emplois et sont dotés d’une politique RH plutôt mature, ils souffrent d’un manque d’harmonisation de leurs pratiques. Y compris dans leur usage du CDI.

En assouplissant la possibilité pour les entreprises de plus de 300 salariés de recourir aux groupements d’employeurs (GE), la loi Cherpion sur la sécurisation des parcours professionnels suscite la controverse (lire p. 22). Elle jette aussi un coup de projecteur sur un dispositif de prêt de main-d’œuvre mal connu, car très éclaté sur les territoires. L’objectif des groupements d’employeurs, fondés par des entreprises locales, est simple : mutualiser des salariés qui se partagent entre plusieurs entreprises confrontées à des besoins saisonniers (en opérateurs le plus souvent) ou entre des PME ayant besoin d’un comptable ou d’un RH à temps partiel, par exemple. Un moyen de concilier flexibilité des besoins des entreprises et sécurité de l’emploi, les salariés du GE étant en principe en CDI.

Mais en pratique, les groupements d’employeurs sont-ils, comme l’affirme la loi Cherpion, un outil de sécurisation des parcours ? Aline Jacquet-Duval, présidente de l’Ugef (Union des groupements d’employeurs de France), tient à rappeler que la vocation des GE est avant tout économique, et non sociale : « Ils permettent de faire monter en compétences les PME locales qui se partagent du personnel qu’elles n’ont pas les moyens d’embaucher à temps plein. Par rebond, c’est aussi un outil de lutte contre la précarité des emplois, puisqu’en cumulant les temps partiels dans deux ou trois entreprises, les salariés des GE bénéficient d’un emploi stable et ne cumulent pas les CDD. »

Fidéliser des compétences

Principal atout pour les entreprises : fidéliser des compétences sans alourdir leurs effectifs, le personnel mis à disposition étant salarié du GE. « Passer par un groupement d’employeurs nous permet de retrouver d’année en année les mêmes personnes, qui connaissent bien notre entreprise et nos procédures de fabrication », apprécie Betty Vergote, responsable de la gestion des emplois et des carrières à la Française de Mécanique, qui dispose cette année de 32 opérateurs salariés en CDI via le groupement d’employeurs Alliance Emploi (lire p. 23).

Pour les salariés, intégrer un GE est surtout un moyen de trouver un emploi. Au sein du GE breton Vénétis, sur 140 salariés, 60 % étaient au chômage ou à la recherche d’un premier poste avant d’intégrer le groupement. « Toutefois, 40 % ont aussi quitté un CDI pour nous rejoindre, surtout les techniciens et les cadres. Pour eux, le temps partagé est un véritable choix », nuance Franck Delalande, directeur de Vénétis.

Autre avantage : la diversité des expériences en temps partagé, qui permet aux salariés des groupements de muscler leurs compétences. « Nous avons par exemple des animateurs sécurité qui travaillent la moitié de l’année sur la réduction des risques d’accidents dans une entreprise d’agroalimentaire et l’autre partie sur des missions d’environnement dans l’industrie. Travailler dans des secteurs aussi différents leur donne une employabilité beaucoup plus forte », estime Maryse Le Maux, directrice du GE Cornoualia, basé à Quimper (lire p. 26).

Des recrutements efficaces

Malgré tout, les groupements d’employeurs demeurent marginaux. Selon l’Ugef, il existerait 250 GE professionnels et multisectoriels en France, regroupant entre 12 000 et 15 000 entreprises adhérentes. Soit tout au plus 20 000 emplois, dont 71 % dans des TPE ou des PME de moins de 250 salariés. Et, malgré la loi Cherpion, la plupart des experts s’accordent à dire que cette forme de mutualisation des emplois restera limitée : « Les GE resteront une formule à la marge, une réponse à des besoins locaux. Il y a de grandes réticences culturelles de la part des PME à l’idée de partager du personnel qui pourrait divulguer des informations à l’extérieur », pointe Yann-Gaël Fourquier, consultant au cabinet Amnyos.

Pourtant, en raison même de leur ancrage dans un bassin d’emploi et de l’implication des entreprises, les groupements d’employeurs sont plutôt efficaces. Travaillant pour peu d’entreprises (entre 100 et 200 selon les GE), « ils connaissent bien les besoins de leurs adhérents. Ils sont réactifs et capables de mettre en place des recrutements performants. Ils n’hésitent pas à élargir leurs embauches aux seniors, par exemple, et les entreprises apprécient cette ouverture à de nouveaux profils », souligne Jean Dalichoux, dirigeant du cabinet Asparagus, qui accompagne la création de GE.

De même, pour répondre aux exigences des adhérents, les groupements d’employeurs se distinguent par une politique de ressources humaines et de formation plutôt dynamique : « Les GE ont tout intérêt à miser sur la formation et la qualification des salariés, qui n’exercent pas forcément les mêmes missions selon les entreprises où ils travaillent. À taille égale, les groupements sont souvent mieux outillés en matière de politique RH et de formation que les PME. Ils disposent d’un plan de formation structuré ou d’outils comme les entretiens annuels pour les salariés », observe Yann-Gaël Fourquier.

Les GE investiraient ainsi en moyenne 4 % de leur masse salariale dans la formation de leurs salariés, selon l’Ugef. La plupart des formations visant à adapter les salariés à leur poste de travail, parfois même à leur donner une qualification avant d’intégrer une entreprise. C’est le cas notamment à Alliance Emploi. Le plus gros GE de France (862 salariés) consacre 3 % de sa masse salariale à la formation : « Nous qualifions certains salariés avant leur intégration, en finançant par exemple des permis pour les caristes, des formations de magasinier ou d’ouvrier de production dans l’industrie », illustre Martial Bouton, directeur général d’Alliance Emploi.

Une évolution professionnelle difficile

Restent des failles. Et notamment le manque de visibilité à long terme sur l’évolution des parcours professionnels des salariés. Surtout dans les GE multisectoriels, de plus en plus répandus. Chez Vénétis, plutôt bien placé en matière d’emplois pérennes (98 % de salariés en CDI à temps plein) et doté d’une politique RH active, Franck Delalande avoue qu’en travaillant avec des PME de tous horizons, « il n’est guère évident de construire une véritable politique de GPEC et d’avoir une logique commune de l’évolution des métiers des salariés ».

À défaut, ce GE planche sur une politique formation, « qui s’appuiera sur une logique de métiers, en partant des besoins communs aux gestionnaires, aux secrétaires ou aux comptables, par exemple ».

Si certains GE comme Reso, spécialisé dans le tourisme et l’hôtellerie, commencent à mettre en place un référentiel de compétences pour anticiper les besoins en professionnalisation dans un secteur en forte pénurie (lire p. 25), l’accompagnement des carrières reste loin d’être une priorité dans les groupements : « Les GE sont dynamiques en termes d’adaptation au poste de travail. Mais, en revanche, les perspectives d’évolution professionnelle pour les salariés restent faibles », constate Yann-Gaël Fourquier.

Si les groupements d’employeurs sont parfois critiqués, c’est en raison de leurs pratiques très diverses en matière d’emploi, mais aussi en termes de politique sociale. Si le principe de l’égalité de traitement salarial entre les salariés du GE et ceux de l’entreprise est rappelé dans la loi Cherpion, reste notamment le problème de la diversité des conventions collectives des GE, choisies par les entreprises fondatrices : « Celle qui est retenue n’est pas toujours la plus avantageuse pour les salariés », admet Yann-Gaël Fourquier. Mais le principal reproche tient à l’usage du CDI. Une règle d’or loin d’être appliquée dans tous les groupements. Si l’Ugef affirme que le taux de CDI à temps partagé (en majorité à temps plein) reste de 70 % au sein des GE, le recours au CDD se propage comme une traînée de poudre. Et pour cause : la crise est passée par là.

Aviver la colère des syndicats

« Dans certains bassins d’emploi, les groupements d’employeurs ont été contraints de s’ouvrir aux CDD, leurs adhérents n’étant plus en capacité de s’engager sur des mises à disposition de longue durée », explique Yann-Gaël Fourquier. Dans la région Nord-Pas-de-Calais, touchée par la crise de l’industrie métallurgique, « depuis deux ans, nos entreprises font preuve d’une grande prudence et s’engagent beaucoup moins sur le long terme », admet Martial Bouton. Bilan : dans ce GE, le taux de CDI des salariés a chuté de 80 % en 2008 à 61 % en 2011.

De quoi aviver la colère des syndicats, qui voient dans les dérives des groupements d’employeurs une forme de dumping social : « On nous vend les groupements d’employeurs comme une mesure phare pour sécuriser les emplois. La réalité, c’est qu’en période de crise, beaucoup emploient des salariés en CDD, généralement peu qualifiés », assène Stéphane Lardy, chargé des questions d’emploi à Force ouvrière. Une polémique houleuse, qui n’a pas fini de secouer le petit monde des groupements d’employeurs, par ailleurs très peu fédérés. Un manque de lisibilité nationale qui ne contribue pas à servir leur image de sécurisation des parcours.

L’ESSENTIEL

1 Depuis le 1er novembre, les conditions d’adhésion à un groupement d’employeurs sont assouplies pour les entreprises de plus de 300 salariés.

2 Investissant en moyenne 4 % de leur masse salariale, les GE se distinguent par des politiques de formation dynamiques, comme Reso, qui organise des parcours qualifiants dans les métiers de l’hôtellerie.

3 Pour les salariés, les GE permettent de diversifier les expériences, mais le recours au CDI est de moins en moins la règle.

Comment fonctionne un groupement d’employeurs ?

→ Créés en 1985, les groupements d’employeurs sont des associations loi 1901 de prêt de main-d’œuvre, constitués par des entreprises d’un même bassin d’emploi. Il existe trois sortes de groupements d’employeurs : les GE agricoles, les GE pour l’insertion et la qualification (GEIQ) et les GE professionnels ou multisectoriels. Ces deux derniers sont visés par la loi Cherpion.

→ Lors de leur création, le choix de la convention collective est arrêté par les entreprises fondatrices du GE, validé par la direction départementale du travail.

→ En pratique, le groupement recrute et salarie le personnel qu’il met à disposition des entreprises adhérentes ayant des besoins à temps partiel ou saisonniers. En “maillant” ses emplois, la logique des GE est de construire des CDI à temps partagé. Les emplois du temps doivent être stables, établis à la semaine ou à l’année.

→ Sur le plan financier, le groupement d’employeurs paye les salaires et les refacture aux entreprises. Ces dernières disposent ainsi de main-d’œuvre récurrente mais n’entrant pas dans leurs effectifs. Toutefois, en tant qu’adhérentes d’un groupement, elles sont solidaires du passif social (salaires impayés, charges sociales) que le GE pourrait rencontrer en cas de défection d’un adhérent. Ce principe est aménagé par la loi Cherpion, qui prévoit la répartition des dettes entre les entreprises adhérentes selon des critères “objectifs”, qui restent à définir.

Auteur

  • LYDIE COLDERS