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CanadaLES ENTREPRISES FACE À LA DROGUE

Pratiques | International | publié le : 20.12.2011 | LUDOVIC HIRTZMAN

La consommation de stupéfiants est devenue un fléau dans les sociétés canadiennes, qui multiplient les tests de dépistage de drogues lors des embauches. Mais dans le flou juridique.

« Pratique de la médecine sous l’effet de drogues : cinq mois de radiation », a titré début décembre Le Journal de Montréal à propos d’un urgentiste québécois. La toxicomanie dans les entreprises reste un tabou que les médias canadiens brisent parfois. Mais bien peu d’entrepreneurs veulent évoquer ce fléau.

« Les problèmes de toxicomanie sont au nombre des causes importantes de pertes d’aptitudes en milieu de travail et la tendance ne s’améliore pas », constate pourtant la professeure Jenepher Lennox Terrion, spécialiste des phénomènes de toxicomanie à l’université d’Ottawa. Selon les travaux de cet établissement, les principales substances consommées par les travailleurs drogués sont les analgésiques, les benzodiazépines, les somnifères ainsi que le cannabis. Si ces drogues stimulent au départ le sujet, elles ont par la suite l’effet inverse. Outre les troubles de la mémoire, l’altération de la notion du temps, la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec note que les salariés drogués sont sujets à l’absentéisme et trois fois plus victimes d’accidents du travail.

Un salarié sur dix est toxicomane

S’il n’existe pas d’études nationales sur l’utilisation des drogues en milieu de travail, le croisement de différentes sources provinciales révèle qu’environ un salarié sur dix consomme des stupéfiants. Le cannabis est de loin le plus populaire. « L’utilisation de cocaïne est plutôt fréquente chez les traders, les chefs de plateau dans notre banque, mais ce n’est jamais le cas dans les succursales où les salariés sont en contact avec la clientèle. Ce serait trop visible », confie un cadre supérieur d’un grand établissement financier. Les drogués en milieu de travail sont plutôt des hommes, travaillant dans les secteurs du bâtiment, du transport, des ventes, de la restauration ou de la communication. Dans la province de l’Alberta, les ouvriers des sociétés pétrolières de Fort McMurray se drogueraient fréquemment. La plupart vivent dans des baraquements ou des roulottes. Le froid, l’isolement et des conditions de travail extrêmes poussent éventuellement la consommation de stupéfiants.

Une loi floue

Dans les milieux de la finance, de la médecine ou de la vente, elle est davantage liée à la compétition. Marie-France Maranda, sociologue à l’université Laval, à Québec, spécialiste de la toxicomanie en milieu de travail, a déclaré récemment à la revue québécoise Jobboom : « Les individus sont fortement invités à dépasser leurs limites… Il ne faut pas s’étonner que certains se servent de la drogue comme stratégie de survie. »

La loi est très floue concernant l’usage de stupéfiants sur le lieu de travail. En théorie, cette pratique est considérée comme une faute lourde. Il faut cependant qu’un employeur inscrive dans sa convention collective que l’usage de drogues est interdit dans l’entreprise pour pouvoir congédier un salarié. Faute de quoi, ce dernier sera fondé à contester un licenciement devant un tribunal.

Tests de dépistage

Les entreprises jouent donc la prudence en multipliant les tests de dépistage lors de l’embauche. Là encore, leur mise en application est délicate. « Conformément aux dispositions de la loi (la Charte canadienne des droits et libertés, NDLR), les tests de dépistage sont discriminatoires », souligne la professeure Lennox-Terrion. En clair, un salarié peut refuser de s’y soumettre. La charte interdit en effet toute forme de discrimination liée à un handicap. Or, la toxicomanie est considérée comme tel dans le droit canadien, ce qui peut rendre discriminatoires le dépistage antidrogue ou le licenciement pour toxicomanie.

Et les tests à l’embauche ont beau être mentionnés dans la convention collective, un candidat peut théoriquement plaider la discrimination. La décision finale reviendra au juge.

Faille juridique

Tous les experts s’inquiètent de cette faille juridique, d’autant plus que les milieux institutionnels sont souvent déconnectés des réalités de la drogue au travail. Tant les représentants de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés du Québec que ceux du ministère du Travail sont bien en peine de répondre aux entreprises sur le sujet. Et cela n’est pas près de s’arranger. « Aucune évolution de la loi sur les normes du travail concernant la drogue n’est à l’ordre du jour », conclut Jean-François Pelchat, le porte-parole de la Commission des normes du travail du Québec.

Auteur

  • LUDOVIC HIRTZMAN