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Forfait-jours : contrôler le temps sans contrôle

Enjeux | LA CHRONIQUE JURIDIQUE D’AVOSIAL | publié le : 31.01.2012 | Laurent Moreuil

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Forfait-jours : contrôler le temps sans contrôle

Crédit photo Laurent Moreuil

Le forfait-jours concerne aujourd’hui près de 1,5 million de salariés. Présenté comme avantageux pour l’entreprise, il permet depuis plus de dix ans de s’abstraire du décompte horaire pour certains salariés autonomes, aux antipodes de l’acception traditionnelle d’une approche historiquement “comptable” du temps de travail. Mais ce dispositif désormais ancré dans nos pratiques sociales constitue sans doute également pour ceux qui en bénéficient un véritable avantage catégoriel.

Du point de vue du salarié, le forfait-jours consacre une liberté d’organisation quasi distinctive, consubstantielle de tâches et de fonctions clés de l’entreprise, répond efficacement aux rythmes erratiques de la charge de travail, garantit des rémunérations minimales et génère en général deux semaines forfaitaires de congés supplémentaires par an, dits “jours non travaillés” (1).

D’ailleurs, certains cadres y sont à ce point attachés que, plutôt que prétendre en justice que le forfait-jours ne leur serait pas opposable compte tenu de leur classification conventionnelle insuffisante et solliciter classiquement des heures supplémentaires, ils tentent - sans succès d’ailleurs - de revendiquer la rémunération attachée à leur statut de cadre autonome au forfait-jours (2)

Bref, on sait, depuis l’arrêt du 29 juin 2011 (3), que ce dispositif est compatible avec le droit européen. Dont acte ! Pour résumer, les impératifs de santé et de sécurité du salarié sont satisfaits si un accord collectif instaure des garanties suffisantes, assurant un contrôle effectif de la charge et de l’amplitude du travail, sous réserve qu’une convention individuelle l’ait acté, et que ces mécanismes soient effectivement mis en œuvre. À défaut, le forfait-jours est inopposable, et les heures supplémentaires - non défiscalisées ! - sont dues. Le constat est rassurant mais, en pratique, il reste assez difficile de s’y retrouver pour les entreprises et leurs conseils.

Ainsi, à admettre que les conditions formelles requises soient réunies pour que le forfait-jours ait été valablement instauré, il est aisé et courant de décompter, par exemple par voie déclarative, les jours travaillés et non travaillés, et de s’assurer, à l’occasion d’un entretien dédié au temps de travail ou lors des évaluations annuelles, que la charge de travail est tolérable et tolérée. D’ailleurs, l’articulation entre la question de la charge de travail, les objectifs du salarié, les moyens dont il dispose et sa rémunération est évidemment abordée - explicitement ou implicitement - lors des évaluations annuelles. Mais cette approche qualitative est-elle suffisante ? Car, pour tenter de satisfaire pleinement à l’obligation de sécurité de résultat pesant sur l’employeur, et donc prévenir les litiges, il faut essayer de tirer les enseignements pratiques de l’arrêt de juin 2011 (4).

Or, comment contrôler effectivement les amplitudes journalières et hebdomadaires ou au moins le respect des temps de repos obligatoires, sans contrôler le temps de travail effectif ? Comment mener l’entretien individuel requis par la loi de 2008 sur l’articulation entre la vie familiale et la charge de travail sans s’aventurer sur le terrain de la vie privée du salarié, par nature exclu du champ d’investigation naturel de l’employeur ?

Comment prendre en compte les spécificités de la vie personnelle et/ou familiale de tel ou tel salarié pour aménager sa charge de travail, ce qui peut in fine aboutir paradoxalement à une gestion discriminatoire du travail des cadres au forfait et soulève potentiellement des questions de constitutionnalité ? Comment intégrer et mesurer, dans ce cadre, l’impact des NTIC sur la notion de travail effectif ?

Des éclairages restent donc très attendus sur ces “points obscurs” (5), qui maintiennent une relative instabilité pratique et juridique, dont le droit du travail persiste manifestement à se délecter, presque malgré lui !

(1) Qui, contrairement aux JRTT ou aux congés payés, sont acquis forfaitairement indépendamment du temps de travail effectif. Cass. soc. 3 novembre 2011, n° 10-18.762 FS-PB.

(2) Cass. soc. 3 novembre 2011, n° 10-14.637 P + B + R.

(3) Cass. soc. 29 juin 2011 n° 09-71.107.

(4) Le communiqué de la chambre sociale sur cet arrêt ne contribue, à vrai dire, pas très significativement à préciser les implications pratiques (sur <courdecassation.fr>).

(5) Cf : communiqué de presse Avosial, juillet 2011 sur <avosial.fr>.

Auteur

  • Laurent Moreuil