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Enquête

« UN PROBLÈME DE COHÉRENCE »

Enquête | publié le : 31.01.2012 | PROPOS RECUEILLIS PAR V. G.-M.

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« UN PROBLÈME DE COHÉRENCE »

Crédit photo PROPOS RECUEILLIS PAR V. G.-M.

Les textes qui régissent le champ d’intervention des Opca posent un problème de cohérence, estime Jean-Marie Luttringer, directeur de JML Conseil, expert auprès de Sémaphores.

E & C : Vous estimez que les textes qui régissent le champ d’intervention des Opca posent un problème de cohérence. Pourquoi ?

J.-M. L. : Parce que plusieurs textes régissent le champ d’intervention des Opca nouvellement agréés. Que chacun obéit à une logique différente. Que personne ne s’est préoccupé de leur cohérence, ni le législateur, qui avait pour principal objectif la logique financière de regroupement, ni les partenaires sociaux, tiraillés entre les logiques interprofessionnelles et celles de branche, entre le “champ” et le “hors champ” *. Par conséquent, l’administration a fait les choix les moins mauvais possibles compte tenu du peu de cohérence des textes, en attendant qu’ils soient clarifiés, soit par le législateur, soit par le juge.

E & C : Quels sont ces textes ?

J.-M. L. : Premièrement : l’article L. 6332-1 du Code du travail. Il subordonne l’agrément de l’Opca « à l’existence d’un accord entre les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives dans le champ d’application de l’accord. S’agissant d’un Opca interprofessionnel, cet accord peut-être agréé même s’il n’est signé, en ce qui concerne la représentation des employeurs, que par une organisation syndicale ». Cet accord est un contrat entre organisations pour créer une association paritaire et demander l’agrément ministériel de collecte.

Deuxième texte : l’article L. 6331-3. Il dispose que l’employeur verse chacune de ces contributions à un seul et même Opca désigné par l’accord de branche dont il relève ou, à défaut, à un Opca interprofessionnel.

Enfin, troisième texte : l’article R. 6332-47. Il précise qu’une convention constitutive d’un Opca agréé au titre du plan de formation ne peut interdire aux employeurs adhérant à cet organisme, après s’être acquittés de leur engagement envers celui-ci, d’adhérer à un autre Opca interprofessionnel agréé au titre du plan de formation.

E & C : Quelles sont les questions de logique et de cohérence posées ?

J.-M. L. : Pour les Opca monobranches, comme par exemple l’Opcaim ou le Fafiec, qui relèvent du “champ”, ou les Opca monobranches situés “hors champ”, il y a cohérence entre l’accord constitutif et les accords de désignation de ces Opca par les entreprises relevant d’un accord de branche étendu. L’unique question de cohérence est celle soulevée par la juxtaposition de l’article R. 6332-47, qui laisse les entreprises libres de verser le solde de leur plan à un Opca interprofessionnel, et l’article L. 6331-3, qui précise que l’employeur verse ses contributions à un seul et même Opca désigné par l’accord de branche dont il relève. Sur ce point, il va de soi qu’une contribution plan dite « libre » est soumise au même régime de mutualisation dès le premier euro, qu’elle soit collectée par l’Opca de branche ou par l’un des deux Opca interprofessionnels. Toute autre interprétation conduirait à une distorsion de concurrence entre les Opca de branche et les Opca interprofessionnels, non voulue par le législateur ni les partenaires sociaux.

E & C : Dans quels cas ces questions de logique et de cohérence sont-elles plus prégnantes ?

J.-M. L. : Dans les cas de l’article L. 6331-3 qui contraint l’employeur, « à défaut d’accord de branche », à verser ses contributions à un Opca interprofessionnel, en réalité à Agefos PME ou à Opcalia, les seuls Opca agréés à ce titre. Le problème vient de l’absence de définition légale des termes “branche” et “interprofessionnel”. L’administration considère que l’agrément interprofessionnel ne peut être accordé à un Opca que si son acte constitutif a été conclu entre les organisations d’employeurs et de salariés représentatives au niveau national interprofessionnel : Medef, CGPME, UPA et les 5 confédérations de salariés. Elle estime par ailleurs que la branche professionnelle résulte d’une convention collective étendue.

Ces deux interprétations sont éminemment discutables et méritent d’être traitées au contentieux ou de donner lieu à des modifications de la loi. Une question prioritaire de constitutionnalité pourrait être utilement posée par l’une ou l’autre des organisations d’employeurs considérées comme hors champ en vue de faire clarifier cette question de l’interprofessionnalité des Opca.

La représentativité nationale interprofessionnelle accordée au Medef, à la CGPME et à l’UPA - compétentes dans les seuls domaines de l’industrie, de la construction, du commerce et des services - n’exclut pas l’existence d’autres interprofessions dans l’agriculture, les professions libérales, l’économie sociale…

En l’absence de définition légale du concept interprofessionnel, il faut admettre sa relativité. C’est-à-dire l’existence de plusieurs espaces interprofessionnels, représentés par des organisations patronales distinctes et en capacité de créer des Opca interprofessionnels ou intersectoriels (peu importe l’appellation) habilités à collecter les contributions des entreprises de leur champ, non liées par un accord de branche, dès l’instant qu’elles ne relèvent ni de l’industrie, ni de la construction, ni du commerce, ni des services.

La doctrine administrative, selon laquelle la formule « à défaut d’accord de branche » doit être interprétée comme « à défaut de convention collective étendue », est manifestement contraire au droit positif qui considère qu’un accord collectif se distingue de la convention collective, non pas en raison de sa nature, mais simplement par le fait qu’il couvre un ou plusieurs domaines spécifiques et non la totalité des thèmes d’une convention collective.

E & C : Dans quel cas ce problème de cohérence est-il le plus flagrant ?

J.-M. L. : Dans le cas, par exemple, des partis politiques, des syndicats de salariés, des associations, des mutuelles, des comités d’entreprise dont l’adhésion à Uniformation est aujourd’hui mise en cause à défaut d’accord de branche. Pour ces diverses ­entités, le concept économique de branche professionnelle n’a guère de sens. Or, en leur qualité d’employeurs, ils seraient tenus de faire gérer leurs politiques de formation par Agefos PME ou Opcalia, c’est-à-dire, du côté patronal, par la CGPME ou le Medef, alors que, précisément, l’économie sociale s’est construite au fil de l’histoire comme une contre-société par rapport aux entreprises capitalistes classiques !

Le même raisonnement peut être tenu pour quelques professions libérales non organisées en branche professionnelle, alors que, par définition, mêmes ces professions ne relèvent ni de l’industrie, ni du commerce, ni de la construction, ni des services, et qu’elles ne peuvent être adhérentes en raison de leur statut, ni au Medef, ni la CGPME, ni à l’UPA. Il en va de même pour tous les employeurs qui relèvent de la sphère agricole sans pour autant relever de la FNSEA.

Seule une intervention du législateur lèvera les ambiguïtés résultant de l’application concomitante de textes dont la cohérence n’a pas été pensée, et dont l’administration a tenté de colmater les brèches en choisissant de privilégier les deux Opca agréés au niveau interprofessionnel.

* Opca du champ créés par des organisations patronales adhérentes du Medef, de la CGPME ou de l’UPA. Opca hors champ : créés par d’autres organisations patronales.

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  • PROPOS RECUEILLIS PAR V. G.-M.