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LES ENTREPRISES S’Y METTENT LENTEMENT

Enquête | publié le : 14.02.2012 | VIRGINIE LEBLANC

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LES ENTREPRISES S’Y METTENT LENTEMENT

Crédit photo VIRGINIE LEBLANC

Depuis le 1er janvier 2012, les entreprises doivent être couvertes par un accord ou un plan d’action relatif à la pénibilité. C’est loin d’être le cas, malgré le risque d’une pénalité financière. Toutefois, certaines d’entre elles ont déjà agi quand d’autres s’appuieront sur des accords de branche. Points bloquants pour les syndicats : la compensation et la réparation.

Un peu plus d’un mois après l’échéance fixée par le législateur pour conclure ou élaborer un plan d’action relatif à la pénibilité, les branches et les entreprises ne semblent pas s’être précipitées pour remplir ces obligations. À ce jour, la Direction générale du travail (DGT) n’a pas organisé – ni prévu – de recensement des accords et des plans sur le sujet. En décembre 2011, une enquête d’Atequacy et de France Retraite (lire Entreprise & Carrières n° 1075) notait que seulement 20 % des entreprises interrogées avaient signé un accord ou élaboré un plan d’action. « Il est clair que les négociations ne connaissent pas un grand développement. Le sujet est nouveau et vaste pour beaucoup d’entre­prises et de syndicats, observe Jean-Christophe Sciberras, président de l’ANDRH. Le contexte économique peut conduire les uns et les autres à retenir d’autres priorités de dialogue social. Sans compter que l’accumulation des lois imposant des négociations engendre inévitablement des réticences. »

De plus, nombre d’entreprises ont jugé le délai pour négocier bien trop court, les décrets concernant l’obligation de négocier ou de rédi­ger un plan d’action sur la prévention de la pénibilité étant parus en juillet pour une échéance fixée au 31 décembre 2011. Un délai quelque peu rallongé dans la mesure où un éventuel contrôle de l’inspection du travail laisse six mois à l’entreprise pour régulariser sa situation, et reporte d’autant la pénalité de 1 % prévue par la loi.

Diagnostic des situations

Pour celles qui décident d’aborder le sujet, la première étape consiste à réaliser un diagnostic des situations de pénibilité afin de savoir si elles sont concernées par l’obligation de négocier ou d’élaborer un plan (lire l’encadré loi p. 24). Les entreprises vont-elles se dédouaner de l’obligation en arguant que moins de 50 % de leurs effectifs sont concernés ? Les avis divergent, mais Hervé Lanouzière, conseiller technique à la DGT*, rappelle qu’elles n’y ont sans doute pas intérêt, les syndicats veillant au grain (lire l’entretien p. 29).

Béatrice Pola, avocate au cabinet Proskauer, estime qu’elles « ne sont pas à l’abri de contentieux sur ce sujet ». « Les entreprises ont tendance à vouloir identifier les personnes exposées aux facteurs de pénibilité listés dans le décret, remarque Ludovic Bugand, chargé de mission à l’Anact. D’autres complètent le diagnostic ou raisonnent en partant des problèmes locaux pour mieux qualifier la pénibilité, ce qui me semble plus pertinent. Analyser ses propres données en matière de maladies professionnelles, d’absentéisme, de vieillissement dans l’entreprise est une bonne piste pour savoir si celle-ci est confrontée au sujet de la pénibilité. » En outre, l’Anact a imaginé le dispositif dénommé Tempo (Travail, Emploi, Populations), un appui, à travers des clusters sociaux qui favorisent l’échange de pratiques entre entreprises participantes. L’idée étant, à partir des enseignements des accords et plans d’action seniors, d’aborder la perspective des obligations “pénibilité et égalité professionnelle” en intégrant la question du travail et de son organisation.

Risques identifiés

Pour aider les entreprises à identifier les postes de travail concernés par la pénibilité, Gras Savoye a monté un partenariat avec Didacthem, organisme habilité IPRP (intervenant en prévention des risques professionnels), afin de promouvoir un outil, téléchargeable, qui permet d’établir gratuitement une cartographie des facteurs de pénibilité. « La réglementation ne crée pas de situation nouvelle mais elle met l’accent sur la prévention d’une dizaine de risques identifiés comme facteurs de pénibilité », souligne Philippe Jandrot, directeur délégué aux applications de l’INRS. De fait, pour de nombreux experts, le sujet sera bien plus facile à traiter dans les entreprises déjà coutumières des politiques de prévention, comme celles du secteur de la chimie, de la métallurgie, ou du bâtiment. Arkema, Rhodia (lire p. 28), Sanofi (lire p. 27), Thales sont parmi les premières sociétés à s’être attelées à des accords.

Ainsi, Philippe Baduel, directeur des relations sociales de Spie Batignolles, qui a déposé un plan d’action pénibilité, affirme avoir pris l’obligation légale comme « une opportunité d’articuler sa politique de santé et de qualité de vie au travail avec le plan pénibilité ». D’autant qu’il peut s’appuyer sur des actions déjà menées sur la GPEC, les seniors, la santé et la qualité de vie au travail et le maintien dans l’emploi. Les filiales sont chargées de décliner ce plan au plus près des chantiers, avec les CHSCT et les médecins du travail, un même poste pouvant être soumis à certains facteurs de pénibilité dans une filiale et pas dans l’autre. Bouygues Construction, dont la filiale Île-de-France a signé un accord, a associé ses animateurs prévention-sécurité à la rédaction du texte. Areva, quant à elle, prépare un accord sur la qualité de vie au travail et le diagnostic est en cours dans les 88 établissements du groupe.

De son côté, le groupe Polylogis, suivant en cela la branche des ESH (entreprises sociales de l’habitat), a intégré les risques psychosociaux dans sa définition de la pénibilité, constatant la réalité des phénomènes d’agressivité et d’incivilité notamment auprès des gardiens d’immeuble. Une démarche encore rare, car la loi a sciemment ciblé les facteurs de pénibilité physique.

Seuils d’exposition non définis par la loi

Pour refléter davantage encore la situation réelle de l’entreprise, la loi n’a pas défini de seuils précis d’exposition applicables à tous. Ceux à partir desquels une exposition sera jugée pénible sont donc aussi l’objet de concertations (lire l’entretien p. 29). Toutefois, de nombreuses références sont à disposition des employeurs, notamment des fiches repères sur le site <www.travaillermieux. gouv.fr>. Valérie Tran, dirigeante d’Ariane Conseil, qui accompagne des entreprises sur ce sujet, relaie la « difficulté » qu’elles expriment pour définir ces seuils. « Craignant d’avoir à compenser trop de situations de pénibilité, les employeurs vont avoir tendance à ne prendre en compte que les postes dépassant les seuils hauts, alerte Vincent Jacquemond, consultant en prévention des risques professionnels chez Secafi. Or, en matière de prévention, il faut s’intéresser aux risques avant d’atteindre la limite haute. » C’est pourquoi il plaide pour des seuils à 2 niveaux : « Le premier pour la traçabilité et la prévention, le second pour l’identification des postes à pénibilité particulière qui justifieront des départs anticipés. »

Car, sans surprise, le principal point d’achoppement entre directions et syndicats réside dans les mesures de compensation et de réparation. Sur ce sujet, le patronat de la chimie doit compter avec l’opposition de 3 syndicats à son texte (lire p. 25). C’est aussi une source de débat dans la métallurgie, qui discute des modalités d’un compte épargne repos compensateur-pénibilité. « Rares sont les branches qui ont pris en compte un volet réparation, à part les dockers et les industries pétrolières, regrette Éric Aubin, en charge du dossier retraites à la CGT. Il faut bien sûr traiter de la prévention de la pénibilité, mais il faut également prendre en compte la situation des salariés qui ne sont plus en capacité d’accomplir leur travail. » Des tensions qui font dire à Martine Le Boulaire, directrice du développement à Entreprise & Personnel, que « les entreprises préféreront probablement s’en tenir à des plans d’action. »

En tout état de cause, sur le plan juridique, elles ont intérêt à agir. « La formalisation d’un accord d’entreprise ou d’un plan d’action sur la pénibilité permettra d’atténuer la responsabilité de l’employeur sur le fondement de l’obligation de sécurité de résultat et les juges apprécieront certainement qu’il ait associé les IRP tout au long du processus, et, à l’inverse, l’absence de diligence sur ce point pourra accentuer sa responsabilité », commente Béatrice Pola.

Traçabilité

Cette année, une autre obligation va occuper les entreprises : la traçabilité des expositions professionnelles. « Nous avons été parfois interpellés sur la forme et les contenus de la fiche individuelle d’exposition. Mais la question cruciale a été celle de l’actualisation des fiches et comment les faire vivre », constate Valérie Tran. Il faut dire aussi que le décret d’application n’est paru que le 31 janvier dernier. L’employeur doit en effet remplir les fiches d’exposition individuelle, qui permettront au salarié en fin de carrière de disposer d’un dossier qu’il pourra faire valoir devant une commission afin de partir à la retraite deux ans plus tôt. « Les chefs d’entreprise ont du mal à acter le fait d’être informé des expositions de leurs salariés. Certains estiment que leur respon­sabilité serait accentuée, mais, de toute façon, elle sera reconnue », remarque Philippe Jandrot.

* Hervé Lanouzière vient de quitter la DGT.

L’ESSENTIEL

1 Les entreprises ont commencé à engager des diagnostics de leur situation au regard de la pénibilité. Un travail de terrain, qui doit se faire avec les CHSCT et la médecine du travail.

2 La conclusion d’accords se heurte souvent au problème de la compensation et de la réparation.

3 Les employeurs ont intérêt à agir pour l’amélioration des conditions de travail et de la santé des salariés, mais aussi pour assumer leur obligation de sécurité de résultat.

Une définition légale de la pénibilité

La loi caractérise la pénibilité au travail par le fait qu’un salarié est ou a été exposé au cours de son parcours professionnel à des risques professionnels liés à des contraintes physiques marquées, à un environnement physique agressif ou à certains rythmes de travail susceptibles de laisser des traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé du travailleur. Les facteurs de risques susceptibles de rentrer dans cette définition (article D. 4121-5 du Code du travail) sont :

Au titre des contraintes physiques marquées :

– Les manutentions manuelles de charges ;

– Les postures pénibles (positions forcées des articulations) ;

– Les vibrations mécaniques.

Au titre de l’environnement physique agressif :

– Les agents chimiques dangereux mentionnés aux articles R. 4412-3 et R. 4412-60, y compris les poussières et les fumées ;

– Les activités exercées en milieu hyperbare ;

– Le bruit ;

– Les températures extrêmes.

Au titre de certains rythmes de travail :

– Le travail de nuit ;

– Le travail en équipes successives alternantes ;

– Le travail répétitif.

À défaut d’accord, une pénalité

→ Les entreprises d’au moins 50 salariés (ou appartenant à un groupe d’au moins 50), dont au moins 50 % de salariés sont exposés à un ou plusieurs facteurs de pénibilité définis par la loi, et non couvertes par un accord ou un plan d’action relatif à la prévention de la pénibilité, sont soumises à une pénalité d’un montant de 1 % maximum des rémunérations ou gains versés aux salariés concernés.

→ L’accord ou le plan d’action d’entreprise ou de groupe est d’une durée maximale de trois ans.

→ Les entreprises de 50 à 299 salariés (ou appartenant à un groupe de 50 à 299) couvertes par un accord de branche étendu (par arrêté ministériel) portant sur la prévention de la pénibilité ne sont pas soumises à la pénalité.

→ Les accords ou plans d’action existant à la date du 9 juillet 2011 valent accords ou plans d’action relatifs à la prévention de la pénibilité, dès lors que leur contenu est conforme à celui défini par le décret (ceci concerne des accords et plans d’action seniors, sur les conditions de travail, la GPEC, etc.).

Des thèmes obligatoires

L’accord ou le plan d’action doit traiter au moins 3 thèmes parmi les 6 prévus (article D. 138-27 du CSS), dont au moins l’un de ces 2 thèmes :

→ La réduction des polyexpositions aux facteurs de pénibilité ;

→ L’adaptation et l’aménagement de postes de travail.

L’accord ou le plan doit en outre traiter au moins 2 de ces autres thèmes :

→ l’amélioration des conditions de travail, notamment sur le plan organisationnel ;

→ le développement des compétences et des qualifications ;

→ l’aménagement des fins de carrière ;

→ le maintien en activité.

Le site du ministère du Travail <travailler-mieux.gouv.fr>, dans sa rubrique “prévention de la pénibilité”, compte une mine d’informations pratiques. Un groupe de travail comprenant des représentants du ministère, de la CnamTS, de la MSA, de l’INRS, de l’Anact, de l’OPPBTP, et du Cisme a notamment mis à disposition : un questions/réponses ; des repères pour la construction d’un accord ou d’un plan d’action ; ainsi que des fiches repères pour chaque facteur de risque (caractérisation, mesures de prévention possibles).

Auteur

  • VIRGINIE LEBLANC