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1982-2012 Comment les lois Auroux ont modernisé le dialogue social

Pratiques | publié le : 14.02.2012 | EMMANUEL FRANCK, MARTINE ROSSARD

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1982-2012 Comment les lois Auroux ont modernisé le dialogue social

Crédit photo EMMANUEL FRANCK, MARTINE ROSSARD

Les lois auxquelles Jean Auroux, ministre du Travail en 1982, a donné son nom ont impulsé la négociation d’entreprise et renforcé les institutions représentatives du personnel (IRP). La citoyenneté du salarié en entreprise est restée lettre morte.

Le rendez-vous annuel sur les salaires, c’est lui. L’expert payé par le comité d’entreprise, c’est aussi lui. Le droit de retrait, même chose. Les accords dérogatoires, toujours lui. Le CHSCT, idem. C’est peu dire que les relations sociales en entreprise doivent beaucoup à Jean Auroux, ministre du Travail de François Mitterrand de 1981 à 1983 ! Trente ans après l’adoption des 4 lois de 1982 (4 août, 28 octobre, 13 novembre et 23 décembre) qui portent son nom et qui ont donné au Code du travail 500 nouveaux articles, les lois Auroux et leur descendance sont toujours d’actualité. Toutefois, et contrairement à l’impression que donnera leur commémoration, « il n’y a pas de mémoire de celles-ci comme il y aurait – ou il y avait – pour les plus anciens une mémoire de 1936 ou 1968… ou, de façon plus douloureuse, une mémoire des restructurations et de la désindustrialisation », observe Dominique Andolfatto, coauteur avec Dominique Labbé d’Histoire des syndicats (1). Ceci tient sans doute au fait que les dispositions qui ont fait couler le plus d’encre à l’époque ne sont pas celles que l’Histoire a retenues. L’essentiel se trouvait en réalité dans des dispositions plus techniques. Ce sont elles qui structurent maintenant encore la vie des entreprises.

Citoyenneté des salariés : un débat non tranché

La loi du 4 août 1982 relative à la liberté des travailleurs dans l’entreprise a notamment créé un droit d’expression directe des salariés sur leur travail. « En 1982, les débats se sont focalisés sur la loi du 4 août mais pas sur les 3 autres lois, alors que se sont ces dernières qui ont grandi en importance », relève Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail.

Le droit d’expression directe est quasiment inutilisé par les salariés en 2012. Dans les années qui ont suivi la loi, le patronat a certes repris le principe dans les cercles de qualité et les groupes d’expression, mais ceux-ci n’existent pratiquement plus aujourd’hui.

Persuadé que le droit d’expression des salariés doit être développé, Henri Rouilleault, auteur d’Où va la démocratie sociale (2), admet néanmoins que l’idée d’une démocratie dans l’entreprise sur le mode de la démocratie politique représentative « était une illusion ». « Cette disposition était une provocation, certains parlèrent même de soviets, mais elle répondait à un besoin profond qui s’exprime encore aujourd’hui dans le débat sur ce que le salarié a le droit de dire de son employeur, par exemple sur Facebook », estime Bernard Vivier.

La négociation d’entreprise monte en puissance

La loi du 13 novembre 1982 sur la négociation collective crée l’obligation pour les entreprises de négocier tous les ans sur les salaires, la durée et l’organisation du travail. De l’avis de plusieurs experts, c’est là l’apport principal des lois Auroux, qui « ont entraîné un déclin de la négociation de branche et une montée en puissance de la négociation d’entreprise », analyse Dominique Labbé, professeur à l’IEP de Grenoble et sociologue des syndicats (3). Environ 28 000 accords d’entreprise sont signés chaque année, contre moins de 5 000 au milieu des années 1980. Il faut dire qu’entre-temps, le champ de la NAO n’a cessé de s’élargir (handicap, épargne salariale, prévoyance, égalité professionnelle).

Jean Auroux avait pour objectif de faire passer les progrès sociaux par la politique contractuelle et non par l’État. Le quintuplement du nombre d’accords d’entreprise en trente ans semble indiquer un succès. Toutefois, 2 objections peuvent être formulées.

« L’enjeu n’est pas de multiplier les obligations de négocier mais de donner du sens, faute de quoi on tombe dans le formalisme », déclare Henri Rouilleault, dans une note sur la démocratie sociale pour Terra Nova, un centre de réflexion proche du PS. Il plaide pour le regroupement de négociations obligatoires lorsque c’est possible. Il estime par ailleurs que les lois Auroux n’ont pas traité de l’articulation entre la négociation interprofessionnelle et les lois.

De son côté, Dominique Labbé pense que le renforcement de la négociation d’entreprise n’a pas été une bonne nouvelle pour les salariés car, « au niveau des établissements, la plupart des sections syndicales ne sont pas en mesure de s’opposer aux demandes des employeurs du fait de leur dépendance matérielle à l’égard de ces derniers ». Il en veut pour preuve que 80 % des sections signent les accords d’entreprise.

Or, de ce point de vue, le renforcement de la négociation d’entreprise est d’autant plus préjudiciable aux salariés que les loi Auroux introduisent la possibilité qu’un accord soit moins avantageux qu’une convention collective ou qu’une loi.

Les accords d’entreprise peuvent déroger

La loi du 13 novembre 1982 crée la possibilité pour les syndicats de signer un accord dérogeant à des dispositions de niveau supérieur, sauf si des syndicats ayant recueilli les suffrages de plus de la moitié des inscrits aux dernières élections du CE s’y opposent. C’est le point de départ d’un mouvement d’autonomisation – très encadré – de la négociation d’entreprise, dont le dernier avatar est le projet gouvernemental sur les accords compétitivité-emploi. Bernard Vivier rappelle que cette possibilité de dérogation intervient en 1982, dans un contexte économique qui n’a rien à voir avec celui qui prévaut actuellement : « Les syndicats négociaient encore pour obtenir des avantages supplémentaires. Ensuite, ce fut la négociation gagnant-gagnant de partage des risques entre les salariés et l’entreprise. Maintenant, les syndicats en sont rendus à négocier une moindre perte : c’est le principe des accords compétitivité-emploi. »

Le comité d’entreprise gagne en autonomie

La loi du 28 octobre 1982 sur les IRP dote le comité d’entreprise d’un budget de fonctionnement de 0,2 % de la masse salariale ; les élus reçoivent une formation économique ; le comité de groupe est institué.

« Pour les organisations syndicales, une des difficultés est d’être face au vrai employeur, explique Henri Rouilleault. L’objet du comité de groupe des loix Auroux, ancêtre des comités d’entreprise européens, est précisément d’éviter que le droit social ne soit trop en retard par rapport au droit des affaires. » De son côté, Bernard Vivier estime qu’« avec les lois Auroux, le CE ne se contente plus de s’occuper des œuvres sociales mais appréhende également les contraintes économiques de l’entreprise. Les élus sont désormais en capacité de lire les comptes. »

Pour Michel Le Bret, directeur associé chez Secafi, « ces lois ont permis de fonder une confrontation des points de vue entre la direction et les représentants du personnel. Cela a élevé la qualité du dialogue social, même si, dans certaines entreprises, ce dialogue reste formel. »

Dominique Labbé voit quant à lui le revers de la médaille : « Les lois Auroux ont facilité le financement des syndicats par les employeurs, notamment grâce à la prise en charge des frais de fonctionnement des sections ou via le 0,2 % affecté théoriquement à l’administration du CE. Dès lors que les syndicalistes n’avaient plus besoin des cotisations pour faire vivre les sections, ils ont pu se désintéresser des adhérents. »

Le CHSCT, une nouvelle institution

La dernière des lois Auroux, celle du 23 décembre 1982, a créé les CHSCT dans les établissements de plus de 50 salariés en fusionnant les CHS, nés en 1947, et les commissions d’amélioration des conditions de travail des CE. Dans une interview (4), Jean Auroux se félicite de la mise en place de cette nouvelle institution collective et du « droit de retrait », vue comme « une avancée majeure en terme de sécurité ». Mais l’ancien ministre envisage des pistes d’amélioration pour les CHSCT : extension aux petites entreprises, élection directe des membres par les salariés (et non par les délégués du personnel et les élus de CE), accès à une part du budget de fonctionnement du CE.

Car c’est là que le bât blesse : les CHSCT n’ont pas de budget propre et restent dépendants des employeurs pour le financement de la formation et des expertises. Éventuellement contestées par les directions, les expertises se multiplient, note Michèle Gilabert, directrice de projet à Entreprise & Personnel. Mais, ajoute-t-elle, « des patrons expriment des réserves face à des expertises coûteuses – entre 70 000 et 80 000 euros – demandées par chaque CHSCT » dans les entreprises à établissements multiples.

Selon elle, un bon dialogue social pourrait déboucher sur une seule expertise couvrant tous les établissements et un recours accru aux experts internes. « Le CHSCT a pris son envol avec les questions de santé mentale et, depuis cinq ans, tous les DRH s’interrogent sur les consultations de cette instance », souligne cette ancienne DRH, très sollicitée actuellement « pour accompagner des responsables RH sur le pilotage de l’instance ».

(1) Seuil, 2011.

(2) Les Éditions de l’Atelier, janvier 2010.

(3) Notamment dans Toujours moins !, coécrit avec Dominique Andolfatto, Gallimard, 2009.

(4) Travail et sécurité, février 2012.

L’ESSENTIEL

1 Les lois Auroux, votées en 1982, avaient pour ambition de faire du salarié un citoyen dans son entreprise, et d’imbriquer les questions économiques et sociales.

2 Parrmi les apports de la loi : le droit d’expression, les NAO, le CHSCT, le droit de retrait, l’autonomie du comité d’entreprise et les accords dérogatoires.

3 L’objectif de citoyenneté en entreprise n’a pas été atteint. En revanche, les dispositions des lois Auroux sur les relations sociales ont permis une plus grande autonomie de la négociation collective d’entreprise. Ce mouvement se poursuit aujourd’hui.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK, MARTINE ROSSARD