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« Le principe « Former ou payer » n’est plus incitatif »

Actualités | publié le : 24.04.2012 | VALÉRIE GRASSET-MOREL

Dans son rapport* remis au président de la République le 5 avril dernier, le sénateur UMP des Yvelines présente 26 actions pour réformer la formation. Il en précise ici les points clés. Réactions de trois spécialistes.

E & C : Vous proposez de supprimer la contribution légale sur le plan de formation des employeurs de plus de dix salariés. Pourquoi ?

Gérard Larcher : Parce que la formation doit être considérée comme un investissement immatériel qui valorise le capital humain de l’entreprise. Aujour­d’hui, la contribution légale est vécue comme une taxe, avec un contrôle administratif de l’impu­tabilité des dépenses qui impose un cadre rigide à la formation. Le principe “former ou payer” n’est plus suffisamment incitatif, et ne permet pas aux entreprises de conduire une réflexion sur le caractère stratégique de l’investissement formation, ni sur des formes et des contenus pédagogiques plus innovants. Du reste, les entreprises de plus de dix salariés consacrent en moyenne 2,97 % de leur masse salariale à la formation, alors que leur obligation légale est de 1,6 %. Par ailleurs, l’obligation de former existe déjà via l’obligation d’adaptation à la charge des employeurs consacrée à plusieurs reprises par la Cour de cassation. Le moment est venu de remplacer cette obligation par une responsabilisation des entreprises et des salariés pour définir une stratégie de formation fondée sur une logique économique et sociale. La notion de dépenses d’investissement dans la formation devra d’ailleurs être précisée dans le plan comptable.

E & C : Les grandes entreprises n’auraient donc plus d’obligation financière ?

G. L. : Ma proposition vise à lever les contraintes liées à l’obliga­tion légale pour laisser aux entreprises, en liaison avec les représentants du personnel, la responsabilité de déterminer le volume des formations, d’en fixer les contenus, etc. Par ailleurs, le lien entre la GPEC et la formation doit être réaffirmé. L’obligation d’élaborer et de finan­cer un plan de formation pour les salariés reste bien entendu maintenue, mais doit s’accompagner d’un renforcement du dialogue social. L’appétence des salariés pour la formation passera par une prise en charge collective de cette question au sein des entreprises.

En conservant le caractère de taxe ou d’impôt de l’obligation, on la laisse en dehors du champ du dialogue social. Je regrette de ne pas avoir fait davantage pression sur les partenaires sociaux lorsque j’étais ministre du Travail pour qu’ils s’emparent enfin de cette question !

E & C : Cette suppression ne risque-t-elle pas de pénaliser les PME-TPE ?

G. L. : Le risque existe en effet ; c’est pourquoi je propose de maintenir la contribution mutualisée des entreprises de moins de dix salariés au sein des Opca dont les missions en direction des PME-TPE doivent être fortement développées, notamment sur l’ingénierie de formation. À l’exception d’un fort investissement des entreprises de moins de dix salariés en faveur de l’apprentissage, elles rencontrent de réelles difficultés à former leurs salariés. Je précise en outre que j’accompagne cette proposition de suppression d’une obligation d’évaluation dans les trois ans.

E & C : Le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels est alimenté par une contribution en partie calculée sur la contribution plan. Comment compenser ce manque ?

G. L. : Je préconise le maintien de la contribution au FPSPP pour permettre le financement des actions en direction des demandeurs d’emploi et des salariés fragilisés. Elle serait calculée sur les fonds dépensés par les entreprises au titre de leur plan, avec la fixation d’une contribution mini­male au FPSPP, comme aujourd’hui.

E & C : Vous proposez d’articuler le FPSPP avec des fonds régionaux de sécurisation des transitions professionnelles. N’y a-t-il pas un risque d’émiettement des ressources ?

G. L. : Beaucoup d’interlocuteurs rencontrés ont souligné l’intérêt du FPSPP : sa mission de péréquation et celle de décloisonnement des interventions des partenaires sociaux au profit des salariés fragilisés, des demandeurs d’emploi de faible niveau… Mais beaucoup ont relevé la lourdeur de ses appels à projets multiples et la difficulté à réellement territorialiser son action et à élargir ses cofinancements, qui ont généré un “accroissement” momentané des fonds, ce qui a provoqué deux ponctions par l’État auxquelles il faut absolument mettre fin.

Je propose donc une déconcentration des ressources du FPSPP vers des fonds régionaux gérés de manière tripartite : État, régions, partenaires sociaux sur la base de projets territoriaux. Ces fonds se concrétiseraient au plan régional par une gouvernance partagée, schéma, selon moi, le plus opérationnel. Avec une dépense annuelle de quelque 25 milliards d’euros – j’exclus la formation des agents publics –, la nation est en capacité de former deux fois plus de personnes, avec une meilleure orientation et moins de cloisonnement. Ce n’est pas l’argent dépensé qui est scandaleux, mais le cloisonnement des circuits financiers.

E & C : Pourquoi proposez-vous la fusion du CIF et du DIF ?

G. L. : Parce que le DIF fonctionne mal. Le CIF a plus de succès, mais il gagnerait à être développé dans le cadre du droit personnel à la formation que je propose et qui devrait être inscrit dans un futur agenda social. Cette fusion simplifierait le paysage et permettrait de répondre à la fois aux besoins de formation pendant l’emploi ou pendant les périodes de chômage. Les droits de chacun à la formation seraient maintenus quelle que soit sa situation : salarié ou demandeur d’emploi.

E & C : En revanche, vous ne prévoyez pas de financement de l’État pour alimenter le compte individuel de formation des personnes sorties tôt du système scolaire. Pourquoi ?

G. L. : Rien n’est exclu. Ces comptes pourraient comporter un volet « formation initiale différée » pris en charge par l’État. Beaucoup de schémas ont été tracés pour ces comptes individuels, et il était difficile dans le temps qui m’était imparti d’en faire un examen critique. C’est pourquoi j’ai préconisé qu’après des travaux préparatoires du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, ce point soit inscrit à l’agenda social.

* “La formation professionnelle : clé pour l’emploi et la compétitivité” Jean-Claude Carle, sénateur UMP

JEAN-CLAUDE CARLE, SÉNATEUR UMP
« Prudence sur la suppression du 0,9 % plan »

Le sénateur Jean-Claude Carle (UMP, Haute-Savoie) est l’auteur du rapport “Formation professionnelle : le droit de savoir” de juillet 2007. Il y proposait la création d’un « compte d’épargne formation » fondé sur le DIF transférable, et la suppression du 0,9 % plan de formation des entreprises de plus de 10 salariés.

« L’idée du rapport Larcher d’un compte individuel de formation va dans le sens du compte d’épargne formation attaché à l’individu que j’avais proposé, explique le sénateur. Il aurait été accompagné d’une formation initiale différée, d’une durée inversement proportionnelle à celle qui n’a pas été suivie par les personnes sorties tôt du système scolaire. Elle serait financée par l’État, les régions et les partenaires sociaux et économiques. Mais, aujourd’hui, je crois qu’il faut être prudent sur la suppression de l’obligation 0,9 % plan. Certes, de nombreuses entreprises préfèrent payer que former, mais cette suppression ne pourra se faire que progressivement pour ne pas pénaliser les petites entreprises. »

« Par ailleurs, poursuit le sénateur, la proposition de fonds régionaux ne pourra avoir de réalité que lorsqu’on aura clairement défini le rôle de chacun ! La formation professionnelle a été décentralisée, il n’est pas question que l’État reprenne la main. Son rôle est de définir les grandes priorités, qui pourront différer d’une région à une autre sur la base de la concertation. Je ne conçois pas d’écarter un acteur au profit d’un autre. Mais j’ai fermement condamné les ponctions sur le FPSPP. On peut dire que Bercy s’est assis sur une décision du Parlement, qui avait sanctuarisé dans la loi de 2009 les ressources du fonds en fin d’année. Peut-être qu’en rapprochant les fonds des territoires, on évitera à l’avenir ces ponctions. »

YVES GEORGELIN, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL DE L’OPCA FORCO
« Un risque d’émiettement »

« La création de fonds régionaux de sécurisation des transitions professionnelles me fait craindre une complexité renforcée de la gestion des fonds de la formation et un émiettement des ressources entre 26 fonds régionaux, commente le délégué général de l’Opca Forco. A priori, le rapport suggère de maintenir l’existence du FPSPP, puisqu’il prône le maintien de sa contribution, mais son rôle de pilote national n’est pas clairement affirmé. De plus, qui, au niveau régional, serait chargé du pilotagede ces fonds ? »

« Quant à la suppression de la contribution légale et des contributions conventionnelles sur le plan de formation des entreprises de plus de 10 salariés, il faut rappeler que beaucoup d’entreprises de plus de 50 salariés se limitent encore au 0,9 % ! Le supprimer conduirait à une réduction de leurs dépenses de formation et à une baisse significative des départs en formation, notamment en période de crise. Le rapport Larcher se focalise sur le seuil de 10 salariés, alors que celui à partir duquel il faut bâtir des hypothèses de réforme est de 50 salariés. »

DJAMAL TESKOUK, CONSEILLER CONFÉDÉRAL CGT
« La fusion CIF-DIF : une fausse bonne idée »

« Intégrer la négociation du plan de formation à celle sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences est une proposition importante, et une évolution logique et nécessaire du droit collectif des salariés dans les entreprises. Mais la suppression de l’obligation légale entraînerait une baisse de l’investissement et limiterait fortement la mutualisation, pourtant au cœur même des missions des Opca. Preuve en est qu’en 2005, les entreprises de 10 à 19 salariés, exonérées d’une partie de l’obligation, ont vu leurs dépenses baisser fortement : baisse non rattrapée à ce jour ! Comment, dans ces conditions, imaginer financer des fonds régionaux de sécurisation des parcours professionnels ? Dans la même logique, la fusion du CIF et du DIF est une fausse “bonne” idée, car soumettre incidemment le CIF à l’accord de l’employeur serait une remise en cause directe de ce dispositif. »

« Enfin, il faut relever la mauvaise foi avec laquelle le rapport Larcher justifie les ponctions de l’État sur les ressources du FPSPP : la soi-disant “lourdeur de fonctionnement”. Alors qu’il s’agit d’un tour de passe-passe budgétaire du gouvernement lui permettant de compenser une partie de ses désengagements en matière de financement de la formation des jeunes et des demandeurs d’emploi ! »

Auteur

  • VALÉRIE GRASSET-MOREL