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Faut-il adapter le marché mondial au droit du travail français ?

Enjeux | LA CHRONIQUE JURIDIQUE D’AVOSIAL | publié le : 10.07.2012 |

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Faut-il adapter le marché mondial au droit du travail français ?

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Ces dernières années, la peur du chômage a incité CE et syndicats à user de stratagèmes pour retarder, voire interdire des licenciements économiques. Ces tentatives se heurtent pourtant au Code du travail : la contestation du motif économique d’un licenciement ne peut intervenir qu’une fois le licenciement prononcé. Ce principe, la Cour de cassation l’a rappelé avec force dans son fameux arrêt “Vivéo” (Soc. 3 mai 2012). Malgré un peu de résistance (TGI de Créteil, Leader Price, 22 mai 2012), les juges du fond suivent dorénavant cette voie (cour d’appel de Versailles, Ethicon, 20 juin 2012).

Pour autant, les militants de l’interdiction totale des licenciements économiques, qu’ils n’estiment pas légitimes, ne désarment pas : ils en appellent désormais à la loi pour les rendre impossibles. Ils se trompent de combat !

Il faut admettre qu’en dépit d’un système ultra-protecteur des salariés, la France connaît un taux de chômage trop élevé, supérieur aux grands pays de l’OCDE. De plus, les salariés licenciés économiques ne représentent que 5 % des destructions d’emploi et bénéficient de meilleures conditions de départ que ceux dont les contrats précaires (CDD, intérim) s’achèvent, qui, eux, constituent la grande majorité des destructions d’emploi !

En passant, on déplorera les verbatim aguicheurs fleurissant dans les médias : le concept de « licenciement boursier » n’existe pas. Une entreprise ne se réorganise et ne supprime des postes que sous la contrainte, pour s’adapter à son environnement, pas pour augmenter la valeur de son cours de bourse.

Empêcher une entreprise de s’adapter au motif que ses salariés vont y perdre leur emploi est une mauvaise réponse à une bonne question. Cela aboutit à consacrer l’existence d’un droit au travail à vie et à nier la liberté d’entreprendre.

Toute entreprise privée a le devoir de faire des bénéfices… Empêcher préventivement les licenciements économiques entrave ce devoir ; maintenir à tout prix la relation de travail alors que l’entreprise doit se réorganiser la conduit vers sa perte.

Certes, si un site industriel doit être fermé pour une question de rentabilité, il faut tenter de lui trouver un repreneur. Mais les entreprises s’attachent déjà à rechercher ces solutions alternatives, et ce n’est qu’en l’absence de repreneur que la fermeture est décidée. Consacrer cela dans le Code du travail paraît une solution de bon sens, sous réserve d’une formulation adéquate.

Comment minimiser l’impact humain des licenciements économiques ? Une voie consiste à repenser la formation professionnelle, notre échec national, et ce dès l’origine et tout au long de la vie active. Trop de salariés ont 120 heures de DIF au compteur et ne les utilisent jamais !

Une autre voie tend à analyser les expériences de nos voisins européens. Plusieurs membres de l’UE ont parié qu’assouplir les contraintes inhérentes aux licenciements conduiraient les entreprises à embaucher davantage en CDI. Certains pays dispensent de détailler le motif économique et de verser des indemnités de départ, sauf un préavis court (4 à 8 semaines). Or, le taux de chômage y est inférieur au nôtre et plus de 85 % de leurs salariés sont en CDI !

Leur recette ? La flexibilité de leurs marchés du travail est équilibrée par une forte formation des salariés, une protection sociale accrue et une politique active de l’emploi comportant autant d’obligations pour les demandeurs d’emploi que de droits. Qui nous fera croire que la France pourrait adapter le monde à son droit du travail ? C’est notre droit du travail qu’il faut adapter au monde actuel, en préservant bien entendu la paix sociale et nombre de nos acquis. Le législateur ne devra donc pas restreindre les possibilités de licenciements économiques : ce serait contre-productif, au risque de contracter encore plus notre croissance économique. Il devra au contraire appréhender cette problématique dans sa globalité pour engager des réformes structurelles dont la France a besoin.

Étienne Pujol, du cabinet Granrut, et Nicolas Sauvage, du cabinet Reed Smith, membres d’Avosial, le syndicat d’avocats en droit social.