logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

L’ACTIONNARIAT SALARIÉ RÉSISTE À LA CRISE

Enquête | publié le : 10.07.2012 | CAROLINE FORNIELES

Image

L’ACTIONNARIAT SALARIÉ RÉSISTE À LA CRISE

Crédit photo CAROLINE FORNIELES

Pas facile de perpétuer des opérations d’actionnariat salarié avec de faibles perspectives de croissance, des marchés boursiers volatiles et des hausses de cotisations constantes. Quelques entreprises ont jeté l’éponge. Mais d’autres ont résolument poursuivi, convaincues des vertus de l’outil sur la motivation des salariés. Elles s’emploient à créer un climat de confiance qui incite les collaborateurs à souscrire.

« Avec une croissance étale à 0,3 % attendue en 2012, des cours de bourse qui dévissent, des cotisations sociales qui ne cessent d’être augmentées, la période n’est pas propice à l’actionnariat salarié, c’est le moins qu’on puisse dire », constate Hubert Clerbois, président d’EPS Partenaires. Certaines entreprises jettent l’éponge : Kaufman & Broad a ainsi renoncé en avril dernier à son plan d’actionnariat salarié. Veolia Environnement avait abandonné son projet fin 2011. Certaines opérations n’ont pas mobilisé les salariés, à l’instar du projet du Crédit agricole, qui en a fait l’amère expérience en septembre dernier.

Les salariés, dont le pouvoir d’achat est en berne, sont en effet réticents. Ils réfléchissent à deux fois avant de souscrire à un plan lancé par leur entreprise. Il y a de quoi : dans certaines d’entre elles, comme Carrefour ou BNP, les fonds communs de placement d’entreprise (FCPE) affichent des pertes (lire Entreprise & Carrières n° 1070). « Les salariés qui souhaitaient pouvoir débloquer leur épargne devront attendre que les cours remontent pour espérer récupérer un peu mieux que leur mise de départ », ajoute-t-il.

Le fonds d’actions Dexia est en totale déconfiture : le titre, acheté par les salariés autour de 17 euros en 2007, vaut aujourd’hui moins de 10 centimes. « Moi qui pensais pouvoir m’acheter une maison ! J’ai perdu 63000 euros et je vois mal comment l’action va pouvoir remonter d’ici au déblocage prévu pour avril », commente une salariée. Ce problème ne concerne pas tous les salariés de Dexia, précise Pascal Dooreman, un ex-reponsable du plan 2007, « certains ont pu aussi investir dans un fonds monétaire, qui est bénéficiaire, et dans une offre dite à effet de levier qui garantit la mise de départ du salarié ».

3 millions de bénéficiaires

À côté de cette morosité, des dizaines de grandes entreprises ont poursuivi ou lancé des opérations d’actionnariat salarié depuis deux ans : Total, Vinci, Steria, Vivendi, Société générale, Schneider Electric, etc. « De ce fait, l’actionnariat salarié a mieux resisté que l’actionnariat individuel avec plus de 3 millions de bénéficiaires », précise Philippe Bernheim, secrétaire général de la Fédération des associations d’actionnaires salariés et anciens salariés (FAS).

Pour convaincre les collaborateurs d’investir, la moitié des offres des entreprises prévoient de garantir le capital versé par ceux-ci généralement dans le cadre d’opérations “à effet de levier”, où les banques prêtent aux salariés qui peuvent ainsi augmenter leur capacité d’achat. Le principe est simple : le souscripteur achète une seule action, et la banque prête de quoi en acheter neuf autres. À l’issue des cinq ans de blocage, le salarié reçoit le rendement de dix actions si le cours a suffisamment monté. Par contre, si le cours n’a pas progressé, il retrouve son investissement initial. C’est justement ce type d’opération que vient de lancer Capgemini, pour une souscription de 6 millions d’actions. Safran, qui avait opté pour un dispositif similaire en décembre 2011, avait ajouté un système de cliquets qui permettait de garantir les niveaux de plus-value dès que l’action franchissait certains seuils. Son idée novatrice était aussi de permettre aux salariés d’investir en actions leur prime de partage des profits de 500 euros.

Des offres très coûteuses pour les entreprises

« Mais ces offres qui garantissent le capital sont très coûteuses pour les entreprises et vont se raréfier, prédit Stanislas de Germay, directeur conseil chez Assembly Conseil. Pour neutraliser les baisses de cours, une autre solution consiste à proposer des plans d’actionnariat salarié chaque année. Le principe est simple : les mauvaises années sont lissées par les autres. « Si le salarié conserve le même niveau d’investissement chaque année, il peut acheter plus d’actions quand le cours baisse. En investissant 100 euros, si l’action qui valait 100 a baissé à 30 euros, il sera gagnant l’année où l’action remontera à 75 euros. Autre avantage : ces plans annuels fidélisent les salariés. On sort des effets d’aubaine, et l’actionnariat salarié apparaît comme un outil fondateur d’une politique sociale », précise-t-il. Deux autres ingrédients seront bien évidemment essentiels pour protéger les salariés du risque de perte : le niveau de l’abondement et le montant de la décote.

Au-delà des astuces, les cours des actions du CAC 40 sont actuellement suffisamment bas pour que les experts considèrent que c’est le moment de faire de bonnes affaires. « On achète au son du canon, rappelle Gilles Briens, avocat associé du cabinet Froment Briens. Les cours ne pourront que remonter. À condition, bien sûr, que les fondamentaux et la rentabilité de l’entreprise soient au rendez-vous. »

Les entreprises seront incitées à poursuivre les opérations d’actionnariat salarié, en dépit de la hausse du forfait social (lire p. 27), parce qu’elles ont une influence positive sur les relations sociales. En période de crise et de disette sur les salaires, c’est aussi un moyen de remobiliser ses équipes. « Différentes études l’ont démontré, explique Xavier Hollandts, professeur de la chaire alter-gouvernance à l’ESC Clermont. Les salariés sont plus productifs – de 4 % à 5 % en moyenne par an –, plus impliqués et fidélisés. On a constaté une baisse de 15 % de l’absentéisme. »

Actionnaires de choix

Une opération d’actionnariat salarié permet à l’entreprise de s’épargner les risques d’une ouverture de capital classique. « Les salariés sont des actionnaires de choix, fidèles à l’entreprise. Ils restent généralement plus de cinq ans, exigent peu de dividendes et peuvent même protéger des OPA », souligne-t-il. Ce fut le cas à deux reprises chez Eiffage (lire p. 28).

Il faut néanmoins inviter les salariés, qui privilégient actuellement les placements les plus risqués, à mieux se protéger. « Les statistiques de l’AFG montrent que 85 % de l’épargne est placée sur des fonds en actions. Une partie de l’épargne des salariés devrait être sécurisée sur des fonds obligataires. Quand cela va mal, les actionnaires peuvent toujours revendre leurs titres. Le salarié, lui, est soumis à cinq ? années de blocage. Et si cela va vraiment mal, il perd aussi son emploi », rappelle Xavier Hollandts.

« Ce sont les salariés qui ont une faible capacité d’épargne qui se portent sur les fonds en actions parce qu’ils bénéficient d’un abondement ou d’un effet de levier, remarque Élisabeth Boyer, administratrice représentante des actionnaires-salariés de Vinci. Les autres diversifient généralement leur épargne sur les différents fonds ». Des salariés modestes qui sont aussi moins armés pour décrypter les aléas de la bourse : « Chez Vinci, on peut toujours procéder à des arbitrages pour sécuriser son épargne, mais choisir de le faire au moment où le cours est au plus bas n’est peut-être pas un bon choix, car, dans ce cas, ce qui est perdu l’est définitivement. »

Représentation du salarié actionnaire

Xavier Hollandts plaide pour une meilleure représentation du salarié actionnaire au conseil d’administration, parce qu’il porte un risque important et qu’il se soucie de la viabilité de l’entreprise. La loi le prévoit lorsque les salariés détiennent plus de 3 % du capital. « Aujourd’hui, cette représentation est mal assurée. Seules 80 personnes sont désignées pour représenter 3 millions d’actionnaires. Dans certaines ex-entreprises publiques, leur influence a même diminué. »

Une représentation qui peut s’avérer complexe en période de difficultés économiques : « Les intérêts des salariés et ceux des actionnaires peuvent être divergents, commente Élisabeth Boyer. En tant qu’actionnaires, nous sommes intéressés par la bonne gestion et la maîtrise des coûts. Mais, en tant que salariés, nous sommes attentifs aux conditions de travail et au maintien des salaires. Il faut trouver le bon compromis. Mon rôle au conseil d’administration est de faire entendre la nécessité d’une politique de responsabilité sociale. »

Les représentants des salariés actionnaires hésitent moins à se faire entendre dans les conseils d’administration. À France Télécom-Orange, ils n’ont pas hésité à proposer, sans l’obtenir, une baisse des dividendes (voir encadré). De même, ils font désormais plus facilement appel à la justice, s’ils constatent que les offres proposées ne sont pas conformes au droit ou ne tiennent pas leurs promesses.

L’ESSENTIEL

1 Dans un climat économique difficile, certaines opérations d’actionnariat salarié ont été suspendues ou boudées par les salariés. Les fonds en actions affichent des résultats décevants.

2 Et pourtant, les grands groupes continuent à lancer des plans d’actionnariat en sécurisant la mise de leurs salariés, parce qu’ils sont devenus stratégiques pour la cohésion et la motivation.

3 Les actionnaires salariés qui portent un risque croissant sont appelés à participer aux décisions des conseils d’administration.

Une parole différente, que les autres actionnaires devront entendre.

Du rififi à France Télécom-Orange

À France Télécom-Orange, où les salariés détiennent 4,6 % du capital, le climat reste houleux. La CFE-CGC-Unsa et l’Association pour la défense de l’épargne et de l’actionnariat salarié (Adeas) combattent depuis quatre ans les modalités d’une offre à effet de levier lancée en 2007, à l’occasion de la cession de 5 % du capital. Reçus le 22 mai par Fleur Pellerin, ministre de tutelle de l’entreprise, ils s’apprêtent à demander une indemnisation pour 33 000 salariés devant les prud’hommes. Les salariés avaient deux options : acheter des actions à un prix préférentiel ou souscrire un prêt auprès d’une banque, afin de disposer d’un effet de levier pour augmenter leur capacité d’achat, à un prix cette fois plus élevé.

Le problème : un arrêté ministériel, dit « de réduction », pris en 2008, a orienté 80 % des salariés vers la seconde option, même s’ils ne l’avaient pas choisie prioritairement. « Conséquence : ils ont un manque à gagner de 800 à 1 000 euros », précise Patrice Brunet, président de l’Adeas.

La CFE-CGC-Unsa et l’Adeas ont obtenu le 21 novembre 2011 l’annulation de cet arrêté ministériel par le Conseil d’État. De son côté, France Télécom-Orange constate que « cette décision est sans conséquence sur la validité de l’opération » et que « l’ensemble des opérations prévues a été exécuté conformément au réglement du fonds orange success 2007, agréé par l’AMF ». L’opération s’est achevée au printemps dernier, mais les contestataires ne désarment pas. Autre sujet de conflit : les modalités de redistribution de la valeur ajoutée. Le 4 juin, la CFE-CGC-Unsa et l’Adeas ont demandé la limitation du dividende par action à 1 euro, au lieu de 1,40 euro prévu pour assurer un milliard d’euros d’investissements supplémentaires. « Nous n’avons pas été entendus, déplore Sébastien Crozier, représentant CFE-CGC-Unsa. L’État avait besoin de 145 millions de dividendes pour alimenter le Fonds stratégique d’investissement. Ce fonds détient pour partie des actions FT-Orange. Bref, notre développement, qui aurait pu créer des emplois, a été sacrifié pour le sauvetage d’autres entreprises en difficulté. »

Auteur

  • CAROLINE FORNIELES