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L’ENTREPRENEURIAT SOCIAL SE MET À LA GRH

Enquête | publié le : 28.08.2012 | VIOLETTE QUEUNIET

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L’ENTREPRENEURIAT SOCIAL SE MET À LA GRH

Crédit photo VIOLETTE QUEUNIET

Un nombre croissant de structures à vocation sociale adoptent les méthodes des entreprises pour pérenniser leur activité. La gestion des ressources humaines fait son apparition dans un secteur où les forts besoins de recrutement et la nécessité de fidéliser des salariés de plus en plus diplômés sont autant de défis à relever.

Santé, logement, handicap, insertion… nombreux sont les champs sociaux pris en charge par les structures (associations, coopératives, fondations…) relevant de l’économie sociale et solidaire. Dans un contexte de crise, le secteur est en plein essor. Il compte aujourd’hui plus de 2 millions de salariés et contribue, plus que le secteur privé, à la création d’emplois : + 2,4 % contre + 1,8 % entre 2006 et 2008 (1). Son développement ne date cependant pas d’hier, comme le souligne le sociologue Matthieu Hély (lire p. 27), qui met en parallèle le triplement de l’emploi associatif depuis trente ans et la baisse des effectifs dans la fonction publique.

Cette croissance du secteur s’est accompagnée d’une reconfiguration profonde des structures. « On assiste à une dualisation du monde associatif de plus en plus marquée : d’un côté, les associations telles qu’on se les représente traditionnellement ; de l’autre, les entreprises associatives, appelées à devenir multisectorielles, à adopter les méthodes de l’entreprise classique, à mutualiser leurs fonctions supports, etc. La frontière entre association et entreprise est de moins en moins tranchée et beaucoup d’associations se revendiquent de l’entrepreneuriat social », observe Matthieu Hély.

Nécessité de reporting

Les entrepreneurs sociaux ont dû en effet s’adapter à l’évolution des politiques publiques et des donneurs d’ordre. Quand la commande publique remplace peu à peu les subventions directes, que les financeurs demandent des reportings de plus en plus précis, il est nécessaire de se professionnaliser. Dans certains domaines, comme l’insertion par l’activité économique, c’est la fréquentation du milieu économique “ordinaire” (pour assurer des débouchés à la fin des parcours d’insertion) qui oblige à se mettre à niveau. « Le contact avec les entreprises classiques nous oblige, au quotidien, à adopter un comportement et des méthodes professionnelles dans chacune de nos actions », observe Chloé Gelin, directrice d’Ares Services, une entreprise d’insertion parisienne (lire p. 22).

Conséquence : l’apparition d’une fonction RH à part entière. « C’est une nécessité : dans le médico-social, par exemple, un directeur d’établissement ne peut pas tout faire. Entre les 35 heures, les lois Fillon, la mise en place des IRP, la réglementation est de plus en plus complexe et foisonnante. Elle doit être prise en charge par un professionnel des RH », estime Thierry Sibieude, directeur de la chaire Entrepreneuriat social à l’Essec, et par ailleurs président d’une association dans le médico-social, La Clé pour l’autisme, qui vient de se doter d’une DRH (lire p. 26). Une nécessité aussi dans les structures qui, comme le groupe SOS, ont développé de multiples activités. « Avec une quarantaine d’entités juridiques différentes dans une dizaine de secteurs, 10 000 salariés couverts par 17 conventions collectives, nous avons toute la complexité de la fonction RH d’un groupe de plusieurs entreprises. Il a fallu plus de deux ans pour mettre en place un SIRH qui fonctionne bien ! », constate Jean-Marc Borello, le président. Créée il y a dix ans, la DRH groupe joue un rôle de conseil et d’expert auprès des différentes entités et œuvre à la diffusion d’une culture groupe (lire p. 23).

Conseil et expertise

Sans assumer le rôle d’une DRH groupe, certaines fédérations d’employeurs proposent des services de conseil, d’appui et de mutualisation des moyens. La fédération Coorace, qui regroupe plus de 500 structures d’insertion par l’activité économique, apporte ainsi son expertise sur les questions de droit du travail (lire p. 25).

La professionnalisation du secteur s’est accompagnée d’une montée en compétences des salariés. L’encadrement composé de militants laisse place progressivement à des professionnels formés dans les écoles de commerce et à l’université. Aspirant à un travail utile, ils peuvent aussi trouver dans l’entrepreneuriat social des opportunités de carrière plus intéressantes que dans une grande entreprise. Le groupe SOS témoigne de ces progressions rapides : son directeur financier est âgé de 27 ans, la directrice juridique de 31 ans et une unité d’exploitation de 3 000 personnes est dirigée par un jeune de 30 ans.

Il y a là un nouvel enjeu de GRH. Pour fidéliser ces salariés, il faut élaborer des parcours, organiser la mobilité, prévoir un système de reconnaissance. S’ils consentent à des rémunérations moins élevées, ils sont à la recherche de défis professionnels à la hauteur de leurs compétences.

Mais dans beaucoup d’associations, on n’en est pas là. Les marges de progrès sont encore grandes dans un secteur où le taux de couverture des salariés par une convention collective est inférieur à celui du privé. Une enquête récente (2) sur l’économie sociale et solidaire mettait en évidence ce paradoxe : les salariés y sont plus satisfaits de leur travail que dans le privé lucratif, alors que les conditions d’emploi (fort recours aux CDD et contrats aidés, absence d’entretiens d’évaluation, etc.) y sont moins bonnes. « Le monde associatif a beaucoup de mal à se penser comme un monde du travail à part entière, constate Matthieu Hély. Mais cela commence à bouger. Les employeurs se sont organisés et, du côté des salariés, l’année 2010 a été un tournant avec la création du syndicat Asso (Action pour les salariés du secteur associatif). La même année, une grève des salariés d’Emmaüs a provoqué un électrochoc dans le monde associatif. Ils ont obtenu des droits basiques comme la tenue des NAO et une révision de la grille indiciaire de la convention collective. »

Qualité de l’emploi

Beaucoup de dirigeants d’entreprise sociale ont pris conscience de la nécessité d’améliorer la qualité de l’emploi. « Les RH sont une préoccupation majeure pour eux ; ils se demandent comment gérer l’humain avec leurs valeurs, mais ils n’ont pas forcément les outils, indique Claire Laget, directrice pédagogique de Coeptis, un organisme de formation spécialisé dans la formation continue des dirigeants de l’économie sociale et solidaire. Nous travaillons le sujet avec eux de façon très concrète : mise en place d’un organigramme, profil de postes, GPEC, plan d’évaluation des compétences au regard du plan stratégique de l’association ou de l’entreprise. Un temps important est consacré également à la qualité de vie au travail et aux RPS. »

L’incubateur social Antropia, au sein du groupe Essec, propose un programme d’accompagnement d’un an (Scale Up) pour les projets d’entreprise sociale avec levée de fonds. Une place importante est accordée aux questions RH. « Nous incitons l’équipe dirigeante à élaborer le plan stratégique avec les équipes, nous attirons son attention sur l’impact que peut avoir un changement d’échelle sur les conditions de travail, notamment des publics fragiles s’il s’agit d’entreprises adaptées ou d’insertion », illustre Céline Claverie, directrice d’Antropia.

Des clubs d’employeurs, comme le Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves), travaillent sur les questions RH. Leurs membres viennent d’élaborer une charte du stagiaire. Ils s’engagent à respecter au minimum la loi en matière de rémunération et d’encadrement des stagiaires et ajoutent quelques bonus : une demi-journée libérée par mois pour mieux connaître l’économie sociale et solidaire, une indemnité de stage majorée en fonction de la taille de la structure. « Nous insistons sur notre rôle de formateur : le stage ne doit pas être un travail déguisé. Nous nous devons aussi de sensibiliser les stagiaires au monde de l’entrepreneuriat social », estime Jérôme Schatzman, dirigeant de Tudo Bom ?, une entreprise de prêt-à-porter équitable, membre du Mouves.

L’exemplarité et l’amélioration de la GRH vont devoir s’imposer, surtout dans les structures qui ont d’énormes besoins en recrutement et éprouvent des difficultés à attirer des candidats, comme les services à la personne ou le médico-social… Responsable relations publiques de l’Atelier, un centre de ressources pour les structures de l’économie sociale et solidaire d’Île-de-France, Julien Bottriaux évoque aussi le vieillissement démographique : « L’ESS va être confrontée à un problème de relève dans les dix prochaines années. Plus d’un salarié sur quatre prendra sa retraite en 2020. Il faudra attirer une génération de jeunes diplômés et de trentenaires qui veulent donner du sens à leur travail. » Un défi de plus pour les responsables RH.

(1) Source : Atlas commenté de l’économie sociale et solidaire, Observatoire national de l’ESS 2012, Juris éditions, 2012.

(2) “Quelle qualité de l’emploi dans l’ESS ? Une perspective plurielle”, Enquête Lest-CNRS, 2010.

L’ESSENTIEL

1 Les méthodes et l’efficacité des entreprises classiques gagnent les structures en charge de missions sociales et d’intérêt général. Ces « entreprises sociales » professionnalisent aussi leur GRH.

2 La situation reste cependant contrastée entre ces précurseurs et des associations qui n’offrent pas toujours les bases de la GRH. Un décalage que certains dirigeants s’efforcent de rattraper.

3 La fonction RH devrait prendre de l’importance dans un secteur en plein essor, dont les besoins de recrutement et de rétention des salariés sont importants. l’entrepreneuriat social se met à la GRH

L’ENTREPRENEURIAT SOCIAL : DÉFINITION ET PÉRIMÈTRE

Selon l’OCDE, l’entrepreneuriat social désigne « toute activité privée d’intérêt général, organisée à partir d’une démarche entrepreneuriale et n’ayant pas comme raison principale la maximisation des profits mais la satisfaction de certains objectifs économiques et sociaux, ainsi que la capacité de mettre en place, dans la production de biens et de services, des solutions innovantes aux problèmes de l’exclusion et du chômage ». En France, l’entrepreneuriat social est ancré dans la tradition de l’économie sociale et solidaire (ESS).

Les concepts d’entrepreneuriat social, d’entreprise sociale ou d’économie sociale apparaissent souvent interchangeables. Mais, tandis que l’ESS met l’accent sur l’aspect non lucratif de l’activité à travers des statuts juridiques spécifiques, le mouvement des entrepreneurs sociaux met en avant l’impact social de l’activité, indépendamment du statut. La commission européenne privilégie, elle aussi, le champ d’activité des entreprises et leur finalité plutôt que leur statut.

Source : Centre d’analyse stratégique, “Quelle place pour l’entrepreneuriat social en France ?”, note d’analyse n° 268, mars 2012.

Auteur

  • VIOLETTE QUEUNIET