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L’industrie routière tente de prévenir les risques du bitume

Pratiques | publié le : 09.10.2012 | ROZENN LE SAINT

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L’industrie routière tente de prévenir les risques du bitume

Crédit photo ROZENN LE SAINT

Le procès du “cancer du bitume” impliquant un ancien salarié d’Eurovia, filiale de Vinci, incite les leaders du secteur à prendre davantage en compte les dangers liés aux vapeurs de cette substance et aux UV solaires.

La cour d’appel de Lyon rendra son jugement le 13 novembre. On saura enfin si la décision du tribunal des affaires sociales de Bourg-en-Bresse (Ain) de déclarer Eurovia, filiale de Vinci, responsable d’une faute inexcusable suite à la mort d’un cancer de la peau de José-Francisco Serrano Andrade est confirmée. Dans ce cas, la décision ferait jurisprudence. Et selon l’Assurance-maladie, au moins 20 000 ouvriers de la route exposés aux vapeurs toxiques du bitume seraient concernés.

Mesures de prévention et de réduction des risques

Sa famille l’assure : ce sont bien les fumées qui ont tué José-Francisco Serrano Andrade, ancien salarié d’Eurovia. Côté scientifique, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) estime les bitumes, dérivés du pétrole, « probablement » ou « possiblement » cancérigènes. Mais certaines substances chimiques dégagées par les vapeurs de bitume, comme le benzopyrène, sont, elles, classées cancérigène avéré par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Pour sa défense, le géant du BTP affirme que ses bitumes contiennent du benzopyrène « en quantité infinitésimale », 15 fois moins que le seuil fixé par l’Assurance-maladie. Selon Vinci, les UV solaires seraient à l’origine du cancer de José-Francisco Serrano Andrade, et non le bitume.

Exposés médiatiquement depuis deux ans, les leaders de l’industrie routière, Eurovia en tête, suivi par Colas (Bouygues) et Eiffage Travaux Publics, ont mis en place des mesures de prévention et de réduction des risques. Pour l’heure, la meilleure solution reste les enrobés tièdes, qui limitent les dégagements de vapeurs de bitume. Ils sont coulés à 110 degrés plutôt qu’à 160. Résultat, 4 à 8 fois moins de fumées sont diffusées.

Depuis la fin des années 1990, les industriels de la route se sont penchés sur la question : en chauffant moins les enrobés, des économies d’énergie sont réalisées. Porté par ce double avantage, Eurovia a équipé tous ses postes pour permettre la pose d’enrobés tièdes. Mais les décideurs, et en premier lieu l’État, qui porte 60 % du marché, restent frileux… Car les enrobés tièdes coûtent entre 5 % et 10 % plus cher que les classiques.

Même si au premier semestre 2012, à Euro-via, les ventes d’enrobés tièdes ont plus que doublé par rapport à la même période en 2011, « il faut encore convaincre les donneurs d’ordre de choisir cette solution. Jusqu’à présent, l’enrobé tiède représentait une simple option. C’est devenu celle que nous mettons automatiquement en avant », affirme Franck Ollivier, directeur de la prévention santé et sécurité de la filiale de Vinci. Celle-ci s’est fixé un objectif de 20 % du tonnage produit chaque année. À la filiale de Bouygues, Colas, la part des enrobés tièdes sur la production totale est passée de 6 % à 12 % en 2011. À Eiffage Travaux Publics, elle reste à 8 %.

Deuxième solution : équiper les engins finisseurs de systèmes d’aspirateurs de fumées. Les entreprises du secteur, regroupées au sein de l’Union des syndicats de l’industrie routière française (Usirf), assurent avoir mis la pression auprès des constructeurs d’engins pour qu’ils proposent des machines munies d’aspirateurs labellisées. C’est maintenant chose faite et, depuis cette année, Eurovia et Colas commencent à s’équiper. Ainsi, « selon les tests d’efficacité réalisés sur nos chantiers, le régleur de la machine et les finisseurs, qui occupent les postes les plus exposés, aspirent entre 40 % et 50 % de fumées en moins », assure Franck Ollivier, d’Eurovia. Une efficacité non négligeable, sachant que 70 % du travail de pose de bitume se fait à l’aide de ces engins. À Eurovia et Colas, l’ensemble des finisseurs devraient être équipés de ce système de captation de fumées d’ici à dix ans.

Du côté d’Eiffage, le directeur de la prévention, Érick Lemonnier, insiste sur l’utilisation de fluxants végétaux* dans plus de la moitié de sa production de bitume pour remplacer ceux contenant le benzopyrène, très toxiques. « Il est nécessaire d’avoir l’appui de nos donneurs d’ordre pour développer l’utilisation des fluxants d’origine végétale qui sont commercialisés depuis 2000 à travers la société Oléoroute », précise-t-il.

Expositions solaires

En plus des fumées, il reste à assurer une prévention efficace du risque lié aux expositions solaires. « La problématique des UV s’est posée plus tardivement que celle des fumées ; elle a été mise sur le devant de la scène avec l’emballement médiatique à la suite du procès du bitume, relate Hugues Decoudun, directeur prévention, santé et environnement du travail du groupe Colas et président de la commission sécurité de l’Usirf. La Direction générale du travail nous a demandé de nous pencher sur ce sujet il y a deux ans. » La filiale de Bouygues a choisi d’organiser le temps de travail de ses salariés pour éviter qu’ils soient exposés une journée complète, grâce à un système de postes tournants.

Depuis 2010, en partenariat avec sa complémentaire santé, Eurovia propose un dépistage dermatologique annuel gratuit à ses salariés. Mais force est de constater que l’opération n’a pas connu le succès attendu, puisqu’à peine 10 % du personnel concerné s’est rendu chez le dermatologue. Bilan également en demi-teinte concernant les crèmes de protection solaire. « Après un an d’expérimentation, le personnel a remonté des problèmes liés à la sudation et à la poussière qui colle à la peau avec la crème. Nous nous sommes donc orientés vers un lait solaire », indique Franck Ollivier. Ces contraintes liées aux chantiers en extérieur ont conduit Colas à renoncer à distribuer des lotions. « Nos médecins du travail ne sont pas favorables à l’utilisation de crèmes solaires, car elles sont efficaces si elles sont appliquées toutes les deux heures, or, avec la poussière et la transpiration sur la peau, ce n’est pas forcément très bon ni très pratique », justifie Hugues Decoudun.

En revanche, le tee-shirt à manches longues avec bornes réfléchissantes, tissu respirant et indice de protection UV 40 fait l’unanimité. Le nouvel équipement de protection individuelle est distribué aussi bien à Eurovia, à Colas, qu’à Eiffage Travaux publics.

* Produit destiné à ramollir le bitume.

L’ESSENTIEL

1 Le 10 mai 2010, Eurovia est condamné pour faute inexcusable à la suite de la mort d’un ouvrier de la route. La filiale de Vinci a fait appel : la cour de Lyon se prononcera le 13 novembre.

2 Le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) estime les bitumes, dérivés du pétrole, « probablement » ou « possiblement » cancérigènes.

3 Les géants de l’industrie routière commencent à utiliser une solution de prévention : les enrobés tièdes, moins toxiques pour les ouvriers de la route.

Auteur

  • ROZENN LE SAINT