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« LES INDICATEURS DE CONTRÔLE DES OPCA RETENUS PAR L’ÉTAT SONT TRÀS FIGÉS »

Enquête | publié le : 23.10.2012 | V. G.-M.

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« LES INDICATEURS DE CONTRÔLE DES OPCA RETENUS PAR L’ÉTAT SONT TRÀS FIGÉS »

Crédit photo V. G.-M.

Le contrôle de l’État sur les Opca laisse peu de place au « sur-mesure », estime Carine Seiler, directrice du pôle politiques de formation du cabinet Sémaphores (Groupe Alpha). Elle plaide pour l’instauration d’un véritable dialogue de gestion, s’appuyant sur un processus d’évaluation contradictoire des résultats obtenus, et définissant contractuellement des objectifs d’amélioration et des plans d’actions.

E & C : Quel bilan faites-vous à ce jour de la réforme des Opca ?

Carine Seiler : Les évolutions sont à l’œuvre. Dévolutions des biens, rapprochement RH, nouvelles conventions d’objectifs et de moyens (COM), nouvelles modalités de calcul des frais de gestion, évolution des missions et des métiers… Ces enjeux sont très imbriqués. En effet, comment réfléchir au rapprochement des ressources humaines des Opca sans interroger les nouvelles missions et les impacts sur les métiers ? S’ajoutent des enjeux de fusion des organisations du travail et d’assimilation de cultures diverses, voire parfois d’approches différentes de la prestation de services aux entreprises. Certains Opca avaient valeur de “marques” via leurs offres ; qui doivent maintenant s’intégrer dans le contexte d’un nouvel Opca : cela peut être porteur d’innovations et d’essaimage, ou de difficulté.

E & C : Rapprocher des offres de services différentes définies en fonction des besoins de branches ou entreprises adhérentes pose-t-il la question de la gouvernance de l’Opca ?

C. S. : Bien sûr, et surtout de sa capacité à mettre en place un système de gouvernance performant, assurant un équilibre entre intégration et préservation des espaces, et insérant les dimensions de transformation et d’animation de réseau. Cela suppose d’envisager la gouvernance sous un angle double : les instances paritaires et la gouvernance managériale du réseau. La généralisation de l’interbranches dans de nombreux Opca, qui ne traduit pas toujours une cohérence des champs, complexifie cette mise en mouvement.

E & C : Cette question de la prestation de services des Opca est liée aux nouvelles conventions d’objectifs et de moyens signées par les Opca avec l’État.

C. S. : Les Opca délivraient déjà des services aux entreprises. Toutefois, la loi qui renforce les services de proximité et la création des COM, qui vise un pilotage par objectifs, une meilleure transparence dans la gestion et la création de données normées rendant possible un travail de comparaison entre Opca, a modifié la donne. L’encadrement des frais de gestion oblige à une réflexion sur les mutualisations, voire la (re)centralisation de certaines fonctions et la simplification des procédures. Ce travail est en cours et a été sans aucun doute plus facile à mener dans les Opca dont les périmètres ont peu bougé.

Reste que les conventions d’objectifs et de moyens reposent sur un canevas très réglementaire faisant peu de place aux spécificités des Opca. Or, la “géomorphologie” des entreprises adhérentes peut être très différente selon les secteurs professionnels concernés : tissu de TPE-PME ou de grandes entreprises, niveau de qualification ou de formation initiale des salariés, enjeux socio-démographiques, pyramide des âges, déficit d’attractivité du secteur ou à l’inverse forte attractivité, durée des formations financées… Du coup, la proximité et la manière de faire émerger les besoins des entreprises ne s’appréhendent pas de la même façon.

E & C : Les COM vont-elles prendre en compte ces spécificités et favoriser le développement de la prestation de services ?

C. S. : Cela dépendra de la capacité de l’Opca et de ses instances paritaires à traduire ces spécificités dans le cadre prédéfini par la COM. La mise en place de la comptabilité analytique et d’un système d’informations qui permette de mesurer les réalisations sont un des objectifs premiers. Mais cela dépend également de la posture retenue par l’État : contrôle ou autonomie contractuelle ? À ce jour, les indicateurs retenus sont très figés et font finalement peu de place au “sur-mesure”.

E & C : Certains Opca ont pourtant obtenu une clause de revoyure au cours de cet automne sur ces questions…

C. S. : Oui, mais l’instauration d’un véritable dialogue de gestion reste en question. À côté des indicateurs “socle commun”, les COM pourraient prendre en compte des indicateurs complémentaires, sélectionnés par l’évaluateur à partir des échanges avec l’organisme, comme cela se fait dans les conventions d’objectifs et de gestion conclues entre l’État et les caisses nationales de sécurité sociale. Les COM vont-elles s’appuyer sur un processus d’évaluation contradictoire des résultats obtenus, pour définir contractuellement des objectifs d’amélioration et des plans d’actions ? Il y a là un axe d’amélioration.

E & C : Constate-t-on les premiers effets de ces regroupements en termes de meilleur service rendu aux PME-TPE ?

C. S. : C’est trop tôt pour l’analyser, les regroupements datent de janvier 2012. Rappelons néanmoins que c’est en s’appuyant sur le constat que les PME et leurs salariés ne bénéficient que d’une « information distante dont il n’est pas acquis qu’elle soit parvenue à les “accrocher” au monde de la formation », que la loi, suivant les préconisations de l’Igas, a imposé la mise en place d’un service de proximité aux Opca. Mais cette notion n’a pas fait l’objet d’une définition précise.

Certains Opca avaient développé avant la loi de 2009 des mécanismes de proximité propres, s’appuyant sur les attentes de leurs entreprises et la culture du secteur : secteurs d’activité plus ou moins centralisateurs, proximité des organisations avec les entreprises et salariés qu’elles représentent, organisation territoriale de ces organisations professionnelles… Il n’existe pas de modèle d’organisation unique et stéréotypé.

Cette diversité s’illustre aujourd’hui : antennes territoriales sans personnalité juridique, délégations à des associations patronales puis paritaires, service dématérialisé, conseillers « nomades », dissociation entre back-office (gestion administrative des dossiers, remboursement des actions…) et front-office (conseil, accompagnement des entreprises…) afin de spécialiser les conseillers, etc. L’enjeu est de rechercher des synergies entre les différents mécanismes de proximité préexistants dans les structures fusionnées, tout en prenant en compte la diversité des champs professionnels.

E & C : Cette exigence de pro ? ximité et de meilleur service rendu suppose-t-elle également de faire évoluer les métiers de conseiller ?

C. S.: Oui, en effet. Par exemple, les Opca ont pour la plupart décidé de financer une offre de conseil plus élaboré à la construction de la GPEC d’entreprises pour les TPE-PME à travers le recours à des prestataires externes que les entreprises peuvent solliciter : cela suppose de faire évoluer les métiers des conseillers afin qu’ils suivent l’action de ces prestataires. Sans compter les nouvelles missions à destination des demandeurs d’emploi et celles de porteur de projets, notamment dans le cadre des appels à projets FPSPP ou de projets de gestion territoriale des emplois et compétences.

E & C : Observe-t-on sur les territoires une plus grande articulation entre les politiques des branches via leur Opca, et celles des régions, de l’État, de Pôle emploi et tout autre acteur local de l’emploi et de la for ? mation ?

C. S.: La crise économique, l’ambition de décloisonnement des politiques de formation, la POE collective, le contrat de sécurisation professionnelle… impactent les missions des Opca ; et les partenaires sociaux ont renforcé leur intervention sur le champ de l’emploi à travers plusieurs de ces dispositifs. Ils sont également appelés à intervenir en appui à la gestion territoriale de l’emploi et des compétences. Ces nouvelles missions se nouent au niveau territorial et suppo ? sent une veille sur les besoins d’emploi, des partenariats, la ? capitalisation d’expériences ou d’innovation… D’où la nécessité d’un travail renforcé avec les entreprises afin de connaître leurs besoins d’emploi, et avec leurs Opca qui apportent une valeur ajoutée dans le recensement des besoins de formation.

Au final, sur tous ces volets, l’enjeu de l’évaluation est incontournable. La réforme va-t-elle permettre de « sortir d’une approche arithmétique dans le calcul des frais de gestion pour privilégier une approche au service du développement de la prestation de services aux entreprises ? », comme le préconisait le rapport de l’Igas de mars 2008 sur la prestation de services des Opca ? Va-t-elle substituer à la logique du dispositif celle du besoin des personnes et des entreprises ? C’est trop tôt pour le dire. L’évaluation de ces différents sujets est indispensable et constitue la condition des réformes abouties.

Auteur

  • V. G.-M.