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« À l’écran, les DRH ne peuvent jouer que le rôle du “méchant” »

Enjeux | publié le : 26.12.2012 | FRÉDÉRIC BRILLET

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« À l’écran, les DRH ne peuvent jouer que le rôle du “méchant” »

Crédit photo FRÉDÉRIC BRILLET

Petit et grand écrans donnent une piètre image des relations du travail et du métier de DRH en particulier. La fonction y est très critiquée, mais au même titre que toutes celles qui incarnent l’autorité en entreprise.

E & C : Comment a évolué le traitement de la vie professionnelle dans les fictions et les documentaires ?

David Abiker : La nouveauté réside dans le fait que les personnages n’exercent plus forcément des métiers populaires dans l’opinion ou extraordinaires. Bien sûr, médecins, policiers, avocats, juges ou agents secrets sont toujours surreprésentés, mais on trouve aussi des “héros” appartenant à des univers professionnels banals ou peu glamours. Dans les séries télévisées aux États-Unis, ils sont entrepreneurs de pompes funèbres (Six Feet Under), publicitaires (Mad Men), financiers (Wall Street). En France, les séries Caméra Café ou Les Vivants et les Morts (d’après le livre de Gérard Mordillat), ou encore le film Ressources humaines de Laurent Cantet illustrent cette tendance.

E & C : Plus spécifiquement, comment la dimension ressources humaines apparaît-elle dans ces œuvres ?

D. A. : Certains métiers se prêtent plus que d’autres à une description de leur réalité. En regardant Mad Men, par exemple, on apprend comment se construit une campagne de publicité. Mais, dans la plupart des œuvres, ce ne sont pas tant les processus de production et les métiers eux-mêmes qui intéressent les réalisateurs que les relations entre salariés. Et là, on touche directement à la dimension ressources humaines avec tout ce qui s’ensuit : rapports de force, conflits, satisfactions et frustrations professionnelles.

E & C : Qu’en est-il de la fonction RH ?

D. A. : Elle est très critiquée, comme l’a montré justement le documentaire des étudiants de l’IGS*. Les 20 millions de spectateurs qui ont vu Bienvenue chez les Ch’tis au cinéma retiendront que le DRH recommande à Kad Merad de tricher en feignant un handicap pour bénéficier d’une mutation favorable. Dans Caméra Café, le DRH corrompt, manipule ou menace les salariés. Dans In the Air, George Clooney incarne un consultant RH qui multiplie les plans de licenciement. Dans la série française Working Girls, sur Canal+, la DRH est une célibataire nymphomane. Bref, les professionnels RH représentés à l’écran sont déséquilibrés, lâches, cyniques, manipulateurs, exécuteurs des basses œuvres de leur direction, oppresseurs des pauvres salariés. Mais les DRH ne doivent pas se sentir particulièrement visés : toutes les professions qui incarnent l’autorité en entreprise sont maltraitées par les réalisateurs. Ceux-ci se donnent en effet pour mission de tourner en dérision ou de dénoncer les puissants afin d’émanciper les exploités. Pour qu’un DRH ait le beau rôle, il faudrait imaginer une histoire où il trahisse sa direction, se rebelle contre les décisions de son entreprise et rallie le camp des salariés.

E & C : Existe-t-il des différences de traitement des pratiques RH entre les États-Unis et la France ?

D. A. : Dans les fictions américaines, le positif côtoie le négatif. On peut se faire recruter en une minute dans un ascenseur si l’on sait convaincre, bénéficier d’une promotion rapide, s’enrichir par son travail, même s’il y a aussi des scènes où les salariés vident les lieux avec leur carton sous le bras aussitôt après l’annonce de leur licenciement. En France, la vision des RH est plus noire, car les réalisateurs se nourrissent du pessimisme ambiant, alimenté par des décennies de crise et d’un traitement plus manichéen et critique de l’économie d’entreprise par les grands médias. Cela fait partie de notre culture et transparaît dans les titres d’œuvres récentes, tant dans les documentaires que les fictions : Violence des échanges en milieu tempéré, de Jean-Marc Moutout, [un consultant est missionné pour licencier à la suite du rachat d’une entreprise, NDLR], Le Couperet, de Costa-Gavras [la dérive meurtrière d’un cadre licencié après la délocalisation de son entreprise, NDLR], On n’est pas des steaks hachés, d’Anne Galland, Alima Arouali, [documentaire sur un conflit social chez McDonald’s France, NDLR], Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés, de Marc-Antoine Roudil, Sophie Bruneau, [documentaire sur la souffrance au travail], La mise à mort du travail, de Jean-Marc Viallet, [documentaire sur les méthodes de management qui désespèrent les salariés]… D’une manière ou d’une autre, ces réalisateurs entendent montrer que l’homme est désormais au service de l’économie et non plus l’inverse, ce qui implique que les ressources humaines soient “exploitées” au maximum. Ces critiques radicales sont rarement écrites et réalisées par des salariés expérimentés. À croire qu’il faille être un artiste engagé, un journaliste ou un sociologue n’ayant jamais mis les pieds dans une entreprise pour critiquer le monde du travail.

E & C : Les professionnels de l’audiovisuel sont-ils bien placés pour faire la leçon aux DRH ?

D. A. : On peut en douter quand on voit la manière dont ils traitent leur personnel ! Dans l’audiovisuel, les contrats sont précaires, les inégalités de salaires gigantesques. Les enfants de la balle bénéficient d’un piston considérable pour entrer dans ce milieu, par ailleurs très fermé et très macho. Pour preuve, les femmes percent rarement dans les métiers de la réalisation et de la production. La plupart des actrices éprouvent de grandes difficultés à décrocher un rôle, passée la quarantaine. Sur le plan de la diversité, McDonald’s fait franchement mieux…

E & C : Avant d’être chroniqueur, vous avez été DRH à la Monnaie de Paris. Quels souvenirs en gardez-vous ?

D. A. : Je me souviens de négociations compliquées avec des syndicalistes qui avaient envahi mon bureau et préparaient des merguez dans la cour. Cela n’était pas facile, mais j’ai beaucoup appris sur ce qu’étaient la politique et les relations sociales en France, ce que signifiaient pour des ouvriers la fierté d’appartenance à une entreprise, la défense du statut. Même s’il y avait aussi une part de cinéma dans leur façon de mener le conflit, les jeux d’acteurs faisant partie de la négociation.

* Lors d’un débat intitulé “DRH et cinéma, une profession au banc des accusés ?”, organisé par l’IGS, le 14 novembre 2012. Film sur <http://youtu.be/wv7_AugSZKY>

PARCOURS

• David Abiker est chroniqueur multimédia. Après un début de carrière de consultant en communication, il est devenu directeur de la formation et de la communication du groupe Dagris, puis DRH de la Monnaie de Paris.

• Il est l’auteur d’essais tels que Le Mur des lamentations (Michalon, 2009), Dictionnaire posthume de la finance (éd. d’Organisation, 2009), Le Musée de l’homme (Michalon, 2005).

LIVRES

• Congo. Une histoire, David Van Reybrouck, Actes Sud, 2012.

• Rolling Stones, une biographie, François Bon, Fayard, 2004.

• Retour à Killybegs, Sorj Chalandon, Grasset, 2011.

Auteur

  • FRÉDÉRIC BRILLET