logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

LE CHANTIER POUR TOUS N’EST PAS POUR DEMAIN

Enquête | publié le : 22.01.2013 | E. F.

Une PME de travaux publics a embauché une femme pour conduire des engins lourds, mais cette dernière a été interdite de conduite très en amont de son congé maternité, à la demande de la médecine du travail.

Faire travailler une femme sur un chantier de travaux publics nécessite une bonne dose d’ingéniosité de la part de l’employeur et d’abnégation de la part de la salariée. Pour garder une conductrice d’engins et la faire passer chef de chantier, Christian Cortambert, à l’époque dirigeant d’Allio, une petite entreprise d’aménagement urbain (32 salariés), a dû faire face à des problèmes très concrets, voire triviaux. Ainsi, les toilettes. « Il y a sept ou huit ans, afin de pourvoir un poste de conducteur d’engins, l’ANPE me propose trois candidats, dont cette jeune femme, qui était la meilleure, se souvient Christian Cortambert, aujourd’hui directeur du développement de Guigues (200 salariés), à qui il a revendu son affaire. Or nous ne pouvions avoir deux WC sur les chantiers, comme c’est la loi, car cela revenait trop cher. J’ai expliqué cela à la candidate, qui, très motivée, m’a dit qu’elle se débrouillerait. » Cette dernière utilise donc les mêmes toilettes que celles des hommes lorsqu’il n’y a pas d’autre solution. Moyennant quoi, elle continue à travailler sur le chantier pendant un an et demi. « Certes, elle avait besoin de se faire aider pour changer les godets de pelleteuse et ne faisait pas les travaux à terre. D’un autre côté, elle savait rassurer les commerçants des alentours », se souvient Christian Cortambert.

Mais la jeune femme tombe enceinte. « En début de grossesse, la médecine du travail lui interdit de conduire les engins à cause des vibrations. J’explique que je n’ai pas de solution, puisque je n’ai pas de travail de bureau à proposer. On me répond qu’elle peut toujours travailler sur les chantiers, mais pas en conduisant. Mais je suis contre : une femme enceinte sous le soleil, la pluie, au milieu de la poussière… Quelle image de l’entreprise ! » La solution sera finalement que la jeune femme enceinte obtienne un arrêt maladie.

Respecter les usages

Elle a ensuite retrouvé son poste et a progressé pour être aujourd’hui chef de chantier, à la tête de six personnes. Mais là aussi, au prix de difficultés qui, cette fois, ne viennent pas de l’administration. Car pour être promu à ce poste, les usages internes d’Allio veulent qu’il faille disposer des compétences (ce qui est le cas pour la jeune femme) et avoir mis les mains dans la boue des chantiers (ce qui n’est pas le cas pour les raisons déjà évoquées). Or Christian Cortambert ne « voulait pas remettre en cause le système de récompense de l’entreprise ». Il invente donc le poste de “compagnon”, qui allie travail en chantier et formation pour devenir chef. « Comme au bout d’un an, il s’avère qu’elle est très efficace, cela justifie qu’elle passe chef de chantier », donc sans avoir eu à effectuer de travaux trop physiques.

Au final, Christian Cortambert estime qu’il a été très isolé : « Je n’ai reçu aucune aide de la médecine du travail ni de ma fédération patronale. Il m’aurait fallu une subvention pour équiper les chantiers en vestiaires, et qu’on me dise à l’avance que la salariée serait interdite de conduite sitôt enceinte, je me serais alors organisé autrement. Ce genre de projet semble voué à l’échec davantage qu’à la réussite. »

ALLIO

• Activité : aménagement urbain.

• Effectif : 32 salariés.

• Chiffre d’affaires : non disponible.

Auteur

  • E. F.