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Un guide pour définir la valeur du travail

Actualités | publié le : 05.03.2013 | EMMANUEL FRANCK

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Un guide pour définir la valeur du travail

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

La réalisation de l’égalité salariale entre les hommes et les femmes se heurte à la difficulté de valoriser les emplois à prédominance féminine. Un guide du Défenseur des droits explique comment comparer des emplois de “valeur égale”. Cette méthode implique une remise en cause totale des classifications traditionnelles.

Comment réaliser l’égalité salariale entre les hommes et les femmes dans un service où ne travaillent pratiquement que des femmes ? En comparant le salaire de ces dernières avec ceux perçus par des hommes effectuant un travail de “valeur égale”, quoique dans des métiers complètement différents, explique le Défenseur des droits (DDD) dans un guide présenté le 1er mars intitulé “Un salaire égal pour un travail de valeur égale”.

Conçu par des experts de l’égalité professionnelle, sous la houlette de Séverine Lemière, économiste maîtresse de conférences à l’IUT Paris Descartes, de Rachel Silvera, chercheuse au Mage (Marché du travail et genre) du CNRS, et de Marie Becker, juriste au DDD, ce guide est une deuxième tentative du DDD pour populariser la notion de travail de valeur égale, après une première étude publiée il y a quelques années. C’est à la fois un rappel du droit, une déconstruction des méthodes habituelles de classification des emplois et, surtout, une méthodologie à destination des partenaires sociaux d’entreprise et de branche pour évaluer les emplois de manière non discriminante en fonction des tâches réellement accomplies.

Un outil pratique et opérationnel

Inspirés par des expériences étrangères et notamment québécoises, les auteurs éclairent un angle mort des inégalités salariales en France : la sous-valorisation des emplois à prédominance féminine, un facteur d’inégalités salariales moins connu que la ségrégation professionnelle, le temps partiel, le poids du salaire d’appoint, la question des primes et le soupçon de maternité. « Il s’agit de sortir des incantations en fournissant aux partenaires sociaux un outil pratique et opérationnel », déclare Dominique Baudis, Défenseur des droits.

Dans une entreprise mixte (ou dans une branche), la technique, bien connue des DRH et des syndicats, pour vérifier qu’une salariée n’est pas anormalement mal payée, consiste à comparer sa rémunération à celle d’une population de référence composée d’hommes dans une situation identique à celle de la salariée : même emploi-repère, même positionnement dans la classification, même ancienneté, voire même poste, âge, diplôme. Toutefois, cette technique ne fonctionne pas pour les emplois majoritairement occupés par des femmes (ou inversement par des hommes), c’est-à-dire dès l’instant que ces dernières représentent plus de 60 % de la population considérée, explique le guide. D’où le besoin de comparer entre eux des emplois différents quoique de valeur égale (lire l’encadré p. 5).

C’est ce que fait déjà le juge lorsqu’il considère que la charge nerveuse subie par des ouvrières équivaut aux contraintes physiques imposées à des ouvriers d’une même entreprise exerçant un métier différent (Cass. Soc. 6 novembre 1990, n° 89-86 526), ou lorsqu’il estime qu’il est aussi pénible de trier des champignons que de les charger dans un camion (Cass. Soc. 12 février 1997, n° 95-41 694).

Plus récemment (Cass. Soc. 6 juillet 2010, n° 09-40 021), la chambre sociale a estimé, dans un arrêt très remarqué, qu’une RRH, cadre, membre du comité de direction de son entreprise, ne pouvait être moins payée que ses collègues masculins directeurs financier et commercial, comme elle membres du comité de direction, ayant le même niveau hiérarchique et la même classification. Les juges relevaient en effet que la RRH avait une « importance comparable » et des « capacités comparables » à celles de ses collègues masculins, nonobstant l’intitulé de son poste et sa valeur supposée sur le marché du travail.

C’est également ce que fait Schneider Electric dans son accord d’égalité professionnelle de 2004 lorsqu’il décide d’aligner la classification des BTS secrétariat sur celle des BTS technologiques, afin de prendre en compte l’arrivée des nouvelles technologies dans les métiers du tertiaire (lire p. 6). L’expérience n’a toutefois pas été élargie au-delà du métier d’assistante, les partenaires sociaux de cette entreprise de technologie étant manifestement partisans d’aider les femmes à accéder à des métiers “masculins” plutôt que de valoriser des métiers “féminins”.

Basculer dans un traitement collectif

Les jurisprudences et les pratiques d’entreprises restent cependant rares en France, quoique le travail de valeur égale soit consacré par l’Organisation internationale du travail depuis 1919. « Il reste beaucoup à faire pour diffuser la notion », admet Rachel Silvera.

Marie Becker estime que l’enjeu est maintenant de passer du contentieux individuel, qui produit de la jurisprudence, à la renégociation des classifications de branche, qui permettrait de basculer dans un traitement collectif. Réaliste, Rachel Silvera admet « qu’il va falloir faire avec les branches telles qu’elles sont ». « L’idéal serait qu’à l’occasion de la création d’une nouvelle branche, les partenaires sociaux adoptent une classification neutre du point de vue des genres », explique-t-elle.

Trois facteurs clés

Après avoir étudié ce qui s’est fait au Portugal, en Suisse et, surtout, au Québec, Rachel Silvera estime que les trois facteurs clés pour réussir à imposer la notion de travail de valeur égale sont : un cadre juridique (il existe), une mobilisation des partenaires sociaux (pas encore) et des recherches reconnues, « pas des rapports ou des guides qu’on range dans des tiroirs ». De ce point de vue, l’absence de la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, à la présentation du guide, alors qu’elle y était annoncée, est de mauvais augure.

Ce que dit le Code du travail

→ « Tout employeur assure, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes. » (art L. 3221-2 du Code du travail).

→ « Sont considérés comme ayant une valeur égale, les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse. » (art L. 3221-4 du Code du travail).

Comparer des emplois de valeur égale en quatre étapes

1. Décrire les emplois en se focalisant sur ses exigences « et non sur les capacités ou performances du titulaire » : les activités et leur fréquence ; le temps nécessaire pour les mener à bien ; les difficultés rencontrées ; les exigences en termes de comportement professionnel ; la pénibilité, y compris dans sa dimension psychologique…

NB : la description des postes ne doit pas être réalisée par les salariées concernées, car elles auront tendance à sous-valoriser certaines compétences de leur emploi en considérant qu’elles sont innées, comme par exemple l’empathie, la dextérité, la minutie, s’appliquant ainsi à elles-mêmes des préjugés traditionnels.

2. Définir la rémunération. Il faut considérer l’ensemble des compléments de salaires : outre le salaire de base, les rémunérations variables et les avantages sociaux.

3. Sélectionner des critères d’évaluation. Les critères favorables à l’évaluation des emplois féminins sont : les qualifications professionnelles ; la complexité (notamment relationnelle, en termes de résolution de problèmes ou de multi-dimensionnalité des postes) ; la responsabilité (y compris fonctionnelle) et les exigences organisationnelles (incluant le charge physique ou nerveuse, les exigences émotionnelles et les exigences temporelles).

4. Pondérer les critères. Les critères déterminants dans la création de valeur doivent être articulés avec les enjeux de non-discrimination. Il est préférable de construire des indicateurs présentant des niveaux de gradation en nombre impair afin d’éviter d’aboutir à des évaluations floues.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK