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La région Est cherche un lean sans douleurs

Pratiques | publié le : 05.03.2013 | CHRISTIAN ROBISCHON

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La région Est cherche un lean sans douleurs

Crédit photo CHRISTIAN ROBISCHON

Deux initiatives menées en Alsace Franche-Comté et en Lorraine cherchent à tirer les leçons des échecs passés du lean management pour en faire une application pertinente dans des PME. Les clés : le portage en interne et la prise en compte dès le départ des enjeux de conditions de travail.

Le lean management demeure un sujet sur lequel partisans et adversaires s’affrontent d’une façon qui semble irréconciliable (lire Entreprise & Carrières n° 1112). En Alsace et Franche-Comté d’une part, et en Lorraine d’autre part, les acteurs du développement économique s’efforcent de dépasser ce clivage par des démarches dont l’originalité tient à la cible et à l’approche. Ils s’adressent en priorité aux PME de moins de 250 salariés. Et, s’ils estiment le lean potentiellement bénéfique, ils n’en nient pas les dérives et les échecs. Ils cherchent à en tirer les leçons pour générer une application qui ne soit pas destructrice pour la santé au travail.

Dès 2010, un programme d’accompagnement en entreprise avait été lancé en Lorraine par la chambre de commerce et d’industrie régionale avec l’appui de la Direccte. Ces deux initiateurs se sont rapprochés de l’Aract pour lancer une action d’analyse du lien “possible” entre lean et conditions de travail : depuis ce mois de février, des ergonomes mandatés par l’Aract ont commencé à mener un diagnostic de dix jours dans cinq à dix PME, en binôme avec un consultant lean, moyennant un crédit de 65 000 euros du Fact (Fonds pour l’amélioration des conditions de travail). « Ce travail en duo évitera la situation trop courante où un ergonome intervient quand il est trop tard pour faire autre chose que de l’ajustement à la marge. Avec les dirigeants et avec les représentants des salariés, que les entreprises sont invitées à associer systématiquement – CHSCT ou délégués du personnel selon la taille –, le binôme s’accordera sur le niveau de performance acceptable par tous, en incluant les facteurs qui l’altèrent : absentéisme, stress, apparition de maladies professionnelles, etc. », souligne Michäel Paquin, chargé de mission à l’Aract Lorraine.

L’Aract entend ensuite bâtir avec ces PME un plan plus complet qui montrerait par l’exemple l’intérêt de ménager des temps de respiration, d’ajouter des gestes et déplacements à première vue superflus et, plus généralement, de rendre les salariés acteurs en faisant remonter des propositions « pas seulement cantonnées à leur seul poste de travail ». Autant d’éléments dont l’absence est fustigée par les opposants au lean. Un guide de pratiques, « concilier démarches lean et amélioration des conditions de travail » devrait conclure l’opération mi-2014.

« Bonnes pratiques humaines et industrielles »

L’Alsace-Franche-Comté, elle, est déjà entrée dans les phases concrètes d’un programme de diagnostic-action-suivi sur le lean intitulé BPHI, pour “bonnes pratiques humaines et industrielles” et destiné aux PME sous-traitantes de l’automobile. « Le fait de placer le H avant le I n’est pas fortuit », souligne Raymond Michard, directeur du programme au sein du pôle de compétitivité Véhicule du futur, qui en est à l’origine avec PerfoEst, l’association locale d’entreprises de l’automobile. Parmi les facteurs d’échec du lean, Raymond Michard relève « la non-appropriation par les salariés et l’absence de relais interne qui font revenir l’entreprise à la case départ presque aussitôt le consultant reparti ».

Pour y remédier, le programme BPHI a généré la création d’une formation continue en diplôme universitaire à l’université de technologie Belfort-Montbéliard (UTBM). Les diplômés en ressortent « animateurs de progrès » au service d’un lean voulu vertueux pour tous (lire l’encadré). La formation postule que le lean sera d’autant plus intelligemment appliqué et bien accepté qu’il est porté par un manager interne : responsable production, méthodes, qualité… Après une première promotion de huit personnes l’automne dernier, une seconde de même taille a démarré en février. « Sur 40 jours de formation étalés sur un an, nous en consacrons huit à l’ergonomie-ergomotricité. Point de départ puis fil conducteur du cursus, la mise en situation concrète sur une “ligne-école” lean fait prendre conscience qu’une organisation défectueuse fait mal à l’opérateur, que celui-ci a besoin d’une bonne tenue au poste, de marcher, de lever les bras, etc. », décrit Michel Jardot, responsable de la formation à l’UTBM.

Un lean vertueux ?

Cette indéniable bonne volonté suffira-t-elle à rendre le lean vertueux ? Responsable national CGT de PSA basé dans l’usine locale de Sochaux, Bruno Lemerle salue l’état d’esprit des initiateurs de BPHI, mais il estime que les principes fondamentaux du lean sont trop forts pour espérer un changement profond : « Le “juste nécessaire” ne laisse aucune marge de manœuvre, c’est comme demander à un coureur de haies de franchir toutes les haies parfaitement. Quant à la standardisation, elle va à l’encontre de la nature humaine ».

Pour Mélanie Burlet, chargée de mission à l’Anact, tout se jouera dans la façon d’appliquer en entreprise les préceptes de la formation. « L’ergonomie ira-t-elle au-delà du poste de travail ? Comment seront transcrits concrètement les objectifs toujours consensuels d’autonomie ou de participation ? C’est la manière de les mettre en œuvre qui crée soit un lean de dégâts, soit un lean d’opportunités ».

L’ESSENTIEL

1 La non-appropriation par les salariés, l’absence de relais interne et la sous-estimation ou l’ignorance des effets potentiels sur la santé au travail aboutissent à l’échec de démarches lean.

2 En Lorraine, l’Aract va accompagner cinq à dix PME pilotes afin de concilier conditions de travail et lean, en associant un ergonome au travail et un consultant en lean management.

3 En Alsace et Franche-Comté, le pôle de compétitivité Véhicule du futur a créé une formation pour des managers d’équipe.

Une vision globale des outils

D’un coût de 5 450 euros, la formation au diplôme universitaire BPHI de l’UTBM (Belfort-Montbéliard) comprend neuf modules, dont le management du changement, l’animation de l’amélioration, l’ergonomie-ergomotricité et le management de terrain. « Elle donne la vision globale d’outils comme le 5S ou kanban que je connaissais de façon isolée. Elle a souligné l’intérêt de la polyvalence des opérateurs pour éviter la monotonie de leurs gestes au travail », relate l’une des premières diplômées, Laurence Barbier, devenue responsable lean chez Sideo-Bedeville. La PME franc-comtoise de 80 salariés a redéfini ses temps de pause « dans le sens voulu par les opérateurs : des durées plus longues d’un seul tenant », selon Laurence Barbier. Les pauses sont passées de 6 minutes toutes les heures à 12 minutes toutes les deux heures. Membre d’un groupe, le site Plastic Omnium de Fontaine (100 salariés), près de Belfort, a également fait suivre la formation à son responsable production Victor Alvès, pour rechercher une vision complémentaire du lean. « Nous avons appliqué plusieurs outils découverts ou approfondis lors de la formation.

Le management visuel d’abord, concrétisé par des cases rouges et vertes qui ne sont pas là pour épier chaque fait et geste de l’opérateur, mais pour l’aider à comprendre ce qui va et ce qui va moins bien. Il a contribué à diviser par deux les pertes de cadence et, surtout, à maintenir cette performance dans le temps. Il élimine les aléas, mais n’augmente pas les cadences. Autre outil : la pyramide inversée, qui donne l’initiative au terrain. Elle a contribué à diminuer les taux de fréquence d’accidents », témoigne Victor Alvès.

Auteur

  • CHRISTIAN ROBISCHON