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« L’objet du projet de loi est de faire diminuer le nombre des licenciements et la peur de l’embauche »

Actualités | publié le : 12.03.2013 | GINA DE ROSA, E. F.

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« L’objet du projet de loi est de faire diminuer le nombre des licenciements et la peur de l’embauche »

Crédit photo GINA DE ROSA, E. F.

Motif du licenciement en cas de refus d’une mobilité interne, homologation d’un PSE, renchérissement du coût des licenciements collectifs dans les entreprises bénéficiaires, instance de coordination des CHSCT, surcotisation des contrats courts : le ministre du Travail Michel Sapin détaille, dans l’interview exclusive qu’il nous a accordée, plusieurs dispositions du projet de loi sur la sécurisation de l’emploi, qui a été présenté en Conseil des ministres le 6 mars.

Le chômage a touché 10,2 % de la population active au quatrième trimestre 2012, en progression de 0,3 point, selon les chiffres de l’Insee publiés le 7 mars, le lendemain de la présentation du projet de loi sur la sécurisation de l’emploi en Conseil des ministres. Cette réforme permettra-t-elle au président de la République d’atteindre l’objectif qu’il s’est fixé d’inverser la courbe du chômage d’ici à la fin 2013 ? Dans l’interview qu’il nous a accordée, son ministre du Travail, Michel Sapin, explique attendre de la future loi, dont il espère qu’elle sera adoptée « tout début mai », qu’elle provoque tout de suite une baisse du nombre de licenciements, puis une augmentation des embauches d’ici à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine. Le premier objectif de la réforme est d’en finir avec la « préférence pour le licenciement » en proposant une alternative à cette solution : les accords de maintien dans l’emploi, qui permettent de baisser temporairement les salaires. Le second est de diminuer la « peur de l’embauche » en sécurisant a contrario les mesures de réduction de la masse salariale, par accord d’entreprise ou par homologation de l’administration. En cas de recours, le juge judiciaire, épouvantail des directions, cède la place au juge administratif. Tout le pari sur lequel repose cet édifice est celui d’un dialogue social d’entreprise constructif.

Pour l’heure, le projet de loi commence son parcours législatif. Il rencontrera des adversaires chez les parlementaires et parmi les syndicats : la CGT et FO, qui ont refusé l’accord, ainsi que la FSU et Solidaires, ont appelé à manifester le 5 mars contre la réforme. Les opposants promettent maintenant de faire le siège des parlementaires pour obtenir des amendements. Il leur reste jusqu’à début mai, date prévue de l’adoption définitive du texte, pour obtenir gain de cause.

EMMANUEL FRANCK

E & C : Les signataires de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier demandent que le texte ne soit pas dénaturé lors de son passage devant les députés. Pouvez-vous les rassurer sur ce point ?

M. S. : L’état d’esprit qui domine, dans les groupes de la majorité, est celui de la loyauté vis-à-vis des signataires et de la transparence vis-à-vis de tous. Les parlementaires sont libres, mais ils ont intégré le fait qu’un projet de loi issu de la négociation entre partenaires sociaux n’est pas de même nature qu’un texte issu de la seule volonté gouvernementale.

Si des amendements précisent certains points et rendent le texte plus intelligible, ils devront être adoptés. Mais le gouvernement se porte garant des équilibres de l’accord du 11 janvier.

E & C : Les opposants à l’accord évoquent dès à présent la publication des audiences syndicales, le 29 mars, pour délégitimer les signataires.

M. S. : L’ANI du 11 janvier a été signé par trois syndicats sur cinq, il est donc majoritaire et valable au sens de la loi. Quant aux audiences des syndicats, nul ne les connaît encore et je conseille la prudence à ceux qui seraient tentés d’en tirer un commentaire dès à présent.

E & C : L’ANI et le projet de loi font le pari du dialogue social d’entreprise pour sécuriser l’emploi. N’est-ce pas un pari risqué, compte tenu de la faiblesse des syndicats, notamment dans les PME ?

M. S. : Il est évident que les mécanismes du dialogue social ne sont pas les mêmes chez Renault ou PSA que dans une petite entreprise, et que la réforme n’aura pas les mêmes incidences partout. Ainsi, quand on parle de PSE, c’est rarement dans une petite entreprise.

Toutefois, la future loi ne concerne pas seulement les grandes entreprises dotées de syndicats forts. Elle renforce également le pouvoir d’anticipation des représentants du personnel dans toutes les entreprises de plus de 50 salariés, et ce indépendamment de la présence syndicale.

Le constat est qu’aujourd’hui l’absence de dialogue social de qualité aboutit à une préférence pour le licenciement. C’est ce que ce projet de loi combat. Demain, une culture nouvelle du dialogue social et de l’accord mettra fin à cette préférence. Et aidera à fortifier et développer les organisations syndicales.

E & C : Pourquoi avoir changé le motif de licenciement – désormais économique et non personnel – d’un salarié refusant une mobilité interne dans le cadre d’un accord ?

M. S. : le Conseil d’État a validé l’avant-projet de loi, mais il a aussi souligné le problème juridique que pouvait poser, vis-à-vis des conventions de l’Organisation internationale du travail, dont la France est signataire, le motif de licenciement en cas de refus d’une mobilité interne négociée. En toute transparence et en toute loyauté vis-à-vis des signataires de l’ANI, j’ai donc modifié l’avant-projet de loi sur ce point afin de sécuriser totalement le texte. Comme lorsqu’un salarié refusera de se voir appliquer les dispositions d’un accord de maintien de l’emploi, le motif de licenciement sera économique.

E & C : Le projet de loi permet aux entreprises de demander directement l’homologation de leur PSE à l’administration. Quel est leur intérêt à passer par la négociation avec les partenaires sociaux ?

M. S. : Lorsqu’une entreprise négocie, elle sait ce qu’elle donne. Je pense donc que les directions d’entreprise privilégieront naturellement la négociation plutôt que l’homologation. Si toutefois un accord n’est pas possible, l’administration veillera à ce que le document de la direction parvienne à un équilibre à la fois bon pour les salariés et bon pour l’entreprise. L’homologation ne sera pas un simple coup de tampon mais une discussion, avec l’entreprise et les représentants des salariés, du plan social : le nombre des licenciements, l’accompagnement des salariés, la réindustrialisation. Dans ce dispositif, l’administration joue un rôle de garant constructif.

E & C : Sur quels critères l’administration va-t-elle se fonder pour apprécier que le PSE est conforme aux moyens de l’entreprise ?

M. S. : De même que le juge aujourd’hui, l’administration appréciera tous les éléments. S’il s’avère que l’activité est bénéficiaire et que le plan a pour seul but de faire encore plus de bénéfices, alors les conditions mises pour l’homologation seront très exigeantes et renchérissantes. Et si ce renchérissement aboutit à annuler le gain, et donc oblige l’entreprise à revoir ses calculs, alors tant mieux.

E & C : En cas de PSE médiatisé, n’y a-t-il pas un risque de surenchère politique ?

M. S. : Mais c’est déjà le cas aujourd’hui. La différence, après la réforme, est que l’administration disposera d’un pouvoir, alors qu’actuellement elle peut simplement s’exprimer dans les débats. Elle sera garante de l’ordre public social, dans le respect des intérêts des entreprises et des salariés concernés. C’est une responsabilité qu’elle est capable d’assumer.

E & C : Des cabinets d’expertise CHSCT, inquiets des conséquences de la loi sur leur travail, ont été reçus au ministère le 27 février. Vous les avez entendus.

M. S. : S’ils étaient venus inquiets, je pense qu’ils sont rassurés par le projet de loi, qui précise que l’instance de coordination des CHSCT a vocation à organiser une expertise unique, mais pas nécessairement une consultation unique. Les CHSCT conserveront donc leur rôle.

Les délais dans lesquels ils devront rendre leur avis seront précisés ultérieurement par décret, procédure par procédure. Sauf en cas de plan social ; dans ce cas, si le CHSCT intervient, il devra le faire dans les délais impartis par la loi.

E & C : Les pouvoirs publics feront-ils une évaluation des surcotisations sur les contrats courts ?

M. S. : Oui. Puisque les entreprises retrouvent une certaine sécurité juridique et de la visibilité dans les procédures, alors les raisons qu’elles invoquaient pour avoir recours à un certain nombre de contrats courts disparaissent en grande partie. Il est donc légitime que les partenaires sociaux, et donc le projet de loi, renchérissent les contrats courts, dont le nombre a explosé ces dernières années. Si toutefois j’avais le sentiment, partagé par les partenaires sociaux, que rien n’a changé malgré les nouvelles dispositions, je pense que chacun s’accordera sur l’idée qu’il faut reparler du dispositif. Mais ma conviction est que la future loi va diminuer les précarités les plus scandaleuses.

E & C : Cette réforme est-elle de nature à inverser la courbe du chômage ? À quel horizon ?

M. S. : Le cœur du projet loi est de faire diminuer le nombre des licenciements et la peur de l’embauche. J’attends des accords de maintien dans l’emploi un effet immédiat, c’est-à-dire dans les conditions économiques actuelles, sur le volume de licenciements. Et j’attends de l’ensemble du projet de loi qu’il permette aux entreprises de surmonter la peur de l’embauche, dès lors que la croissance sera revenue, avec des effets attendus d’ici à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine.

Avec cette réforme, la France réagira aussi vite et aussi fort que les autres grands pays européens au moment de la reprise économique, ce qui n’a pas été le cas dans le passé. Le texte sera adopté en procédure accélérée. Il devrait être examiné à l’Assemblée nationale début avril, puis au Sénat avant la fin du mois d’avril, pour une adoption définitive, j’espère, tout début mai.

Auteur

  • GINA DE ROSA, E. F.