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« L’absentéisme doit alerter sur des problèmes internes »

Enjeux | publié le : 12.03.2013 | PAULINE RABILLOUX

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« L’absentéisme doit alerter sur des problèmes internes »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

Conséquence de microdécisions individuelles, l’absentéisme en entreprise est cependant révélateur de problèmes organisationnels, dont la solution ne dépend pas tant de la gestion des individus que de la cogestion du climat social par les partenaires sociaux.

E & C : L’absentéisme est un problème pour bon nombre d’entreprises. Quel état des lieux peut-on en dresser ?

Thierry Rousseau : L’absentéisme peut affecter la performance des entreprises, car l’absence d’un collaborateur a un retentissement sur la production, la qualité du service et désorganise le travail. Elle retentit également sur les conditions de travail, puisque cela implique un report des tâches sur les salariés présents et nuit à la cohésion des équipes, dont les plannings et les congés sont bouleversés. À terme, c’est le climat social qui s’en trouve affecté. Ce problème est devenu plus aigu aujourd’hui qu’il ne l’était hier, car les effectifs sont calculés au plus juste, le travail en flux tendu étant devenu la règle.

Cependant, toute absence ne relève pas de l’absentéisme. L’absence est un droit du salarié dans de nombreuses situations : maladie, accident, congé pour enfant malade, maternité… Remettre ce droit en cause ou même simplement en question ne peut que contribuer davantage au sentiment de mal-être du salarié. A contrario, le présentéisme n’est pas une fin en soi. Un présentéisme forcé peut avoir des conséquences négatives en termes de qualité du service. Il finit aussi par coûter cher aux entreprises – et à la collectivité – quand, faute d’avoir pris le temps de se soigner, le salarié voit son problème de santé s’aggraver ou devenir chronique. Les TMS, qui constituent une part importante des maladies professionnelles, sont ainsi des pathologies qu’il importe de soigner à temps sous peine d’obliger le salarié à des arrêts plus longs, voire de le condamner à l’incapacité de travail.

E & C : Décision individuelle, l’absentéisme révélerait cependant un malaise organisationnel. Pourquoi ?

T. R. : Le terme “absentéisme” a une connotation moralisante. Comme s’il mesurait non seulement la différence entre les effectifs prévus et les présents, mais une sorte d’opportunisme des salariés qui calculent l’avantage de leur présence par rapport à leur absence, et tentent de maximiser ce rapport au détriment de l’intérêt de l’entreprise. Chacun, effectivement, en son for intérieur, peut tenter de redistribuer les cartes en fonction de son propre intérêt ou tout simplement pour rééquilibrer une situation qui lui semble inéquitable. Mais à ne regarder l’absentéisme que sous l’angle d’un comportement fautif, et à encourager simplement la présence du salarié en le culpabilisant sur ses absences ou à grand renfort de primes, le risque est important de sous-estimer les motifs organisationnels et sanitaires à l’origine des absences.

E & C : Quelles sont les principales causes d’absentéisme ?

T. R. : Elles sont aussi variées que les situations concrètes dans les entreprises : surcharge de travail, manque de motivation, problèmes managériaux, usure des salariés vieillissants… chaque cas est unique. Il ne sert pas à grand-chose de chercher à s’étalonner à toute force sur d’autres entreprises qui ne calculent peut-être pas l’absentéisme de la même manière et où les conditions de travail et les structures socio-démographiques ne sont pas comparables. Ce qui importe en l’occurrence, c’est de poser un diagnostic à partir d’indicateurs prenant en compte l’histoire de l’entreprise. Plus qu’une valeur absolue, l’absentéisme est une donnée relative qui doit alerter sur les problèmes vécus en interne. Ensuite, il est nécessaire de croiser ces indicateurs avec les réalités de travail et de retenir différentes mailles d’analyse : quel atelier, quel service, depuis quand, pour quelles raisons ? Il est vain de prétendre résoudre le problème avant d’en avoir mis précisément les causes à jour.

E & C : Dans l’entreprise, à qui incombe la gestion de l’absentéisme ?

T. R. : Il est traditionnellement le pré carré des responsables RH, puisque la gestion des effectifs leur incombe. Cependant, ces derniers sont souvent assez éloignés des problèmes opérationnels et de leurs enjeux sociaux. De plus, le sens de l’absentéisme n’est pas aussi lisible que, par exemple, celui du turnover ou des accidents du travail. Le message qu’il pourrait contenir est rarement décrypté : ni les responsables hiérarchiques ni les directions des ressources humaines n’ont à connaître la raison de l’absence, qui demeure un secret médical. Mais, au fond, ce n’est pas tant telle ou telle absence qui pose problème que la propension à s’absenter, laquelle explique les choix ponctuels des salariés. Réfléchir en termes de gestion strictement quantitative des absences n’est pas la solution, mais il est en revanche indispensable de se pencher sur les stratégies de gestion des ressources humaines. Par exemple, il est relativement facile de comprendre qu’en multipliant les reportings et les injonctions contradictoires à l’endroit des salariés pour optimiser la productivité, on suscite chez eux une résistance bien naturelle face à une logique qui, à la fois, les responsabilise davantage sur les résultats et ne leur donne pas la possibilité de discuter du sens des objectifs et de leurs impacts sur l’activité au quotidien.

E & C : Quelles sont les solutions à envisager ?

T. R. : Gérer les hommes ne peut malheureusement pas se faire sans eux, sans ouvrir des espaces de discussion sur le travail et la façon dont il est réalisé. C’est à cette condition qu’une meilleure satisfaction au travail peut émerger. Plus qu’un problème de gestion, l’absentéisme est une affaire de codécision : la présence en bonne santé des salariés sur leur lieu de travail ne se décrète pas. Pour savoir pourquoi ils s’absentent, le mieux est encore de le leur demander, de faire de la présence un enjeu commun dans le cadre d’une démarche projet. Mais, évidemment, pour que les salariés s’expriment, toute forme de condamnation, voire de jugement doit être écartée. Réfléchir sur les conditions de travail est toujours de nature à soulager les tensions. En fait, quand il s’agit d’absentéisme, aboutir à un diagnostic partagé est déjà un début de solution. Mais, pour que des solutions concrètes soient effectivement adoptées ensuite, pour qu’on n’en reste pas au simple constat de dysfonctionnement, il est aussi, bien sûr, indispensable de s’assurer de la coopération des managers opérationnels, ce qui pose la question de leur sensibilisation et de leur formation à l’analyse des problèmes.

Parcours

• Thierry Rousseau est sociologue du travail et des organisations, chargé de mission à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact).

• Il a codirigé, entre autres, un ouvrage intitulé La charge de travail : de l’évaluation à la négociation (coédition Anact et éditions Liaisons, 2003) et vient de publier Absentéisme et conditions de travail : l’énigme de la présence (Anact, novembre 2012).

LECTURES

• Gouverner le capitalisme ?, Isabelle Ferreras, PUF, 2012.

• Refonder l’entreprise, Blanche Segrestin et Armand Hatchuel, La République des idées, 2012.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX