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Les RPS dans les restructurations : la poule ou l’œuf

Enjeux | LA CHRONIQUE JURIDIQUE D’AVOSIAL | publié le : 12.03.2013 | Nicolas C. Sauvage, Stéfanie Oudard

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Les RPS dans les restructurations : la poule ou l’œuf

Crédit photo Nicolas C. Sauvage, Stéfanie Oudard

Pendant que les partenaires sociaux s’ingéniaient sur un projet d’ANI pour sécuriser l’emploi tout en simplifiant les licenciements économiques, la cour d’appel de Paris détricotait méthodiquement leurs efforts. Interrogée sur les troubles psychosociaux en cas de restructuration, elle a désigné le coupable, résolvant à l’emporte-pièce la question métaphysique de la poule et de l’œuf : de la sphère personnelle ou professionnelle, laquelle est la source des troubles psychosociaux éventuels et doit en porter la responsabilité, voire les prévenir ? Est-ce le milieu familial ? Ou le milieu professionnel, donc l’employeur ?

Dans cette affaire concernant la Fnac, le 13 décembre 2012, la cour a suspendu un projet de restructuration. Selon l’arrêt, il fallait identifier les risques psychosociaux en amont de ce projet et les moyens de prévention à mettre en œuvre. La cour reproche à l’“Agitateur depuis 1954” de ne pas avoir fourni au CHSCT « le chiffrage du transfert de charges des postes supprimés sur les salariés restant en fonction », celui-ci étant « indispensable pour procéder à l’évaluation de la charge de travail susceptible de peser sur les cadres » […] « alors qu’un tel transfert constitue un critère essentiel d’évaluation des risques psychosociaux pouvant résulter d’une charge de travail caractérisée et objective, génératrice de stress de nature à compromettre la santé et la sécurité des salariés concernés ».

Point non négligeable, l’arrêt est rendu aux visas des articles L. 4121-1, L. 4121-2 et L. 4121-3 du Code du travail, de l’ANI du 2 juillet 2008 sur le stress et de la charte PPR du 27 juillet 2010. Il crée une nouvelle règle ex nihilo : dès lors qu’une réorganisation est porteuse de risques psychosociaux potentiels, les mesures protégeant la santé mentale des salariés doivent être prises, nonobstant le sérieux des motifs de la réorganisation.

Cela laisse rêveur : quelle restructuration n’est pas porteuse de risques psychosociaux ? Quel projet de changement, le plus petit soit-il, laisse de marbre les salariés d’une entreprise ?

L’orientation de la jurisprudence sur le sujet était déjà amorcée, mais cette fois, elle est radicale. Cela est préoccupant car, en l’espèce, la Fnac pouvait se targuer d’avoir (presque) tout anticipé. Elle disposait d’un solide document unique d’évaluation des risques montrant des indicateurs liés aux risques psychosociaux en amélioration…

Jusqu’alors limitée au terrain de l’expertise sur des points circonscrits, l’intervention du CHSCT dans les restructurations s’étend désormais à la contestation des réorganisations sur fond de risques psychosociaux. On peut craindre le succès de ce nouveau type de bataille judiciaire.

Conséquence pour la Fnac : une suspension de la procédure jusqu’au 7 mars 2013, date de l’audience devant la cour d’appel. En clair, trois mois supplémentaires s’ajoutant à une procédure déjà longue et dont l’allongement compromet encore plus les chances de redressement de l’entreprise et détruit à terme encore davantage d’emplois.

La santé mentale des salariés (surtout ceux qui demeurent dans l’entreprise après un PSE) est un enjeu juridique donc, et de responsabilité sociale d’entreprise. On ne peut le négliger. C’est le facteur principal de redressement de l’entreprise après une restructuration. Tout employeur doit donc se doter d’outils efficaces de prévention des risques psychosociaux.

Pour autant, est-il juste de lui imputer la seule responsabilité de pathologies mentales aux origines toujours complexes ? L’imbrication entre sources personnelle et professionnelle est indiscutable, sans que la part prépondérante de l’une sur l’autre puisse aisément être déterminée. De la poule ou de l’œuf…

Si un jour, la Cour de cassation vient à confirmer la décision Fnac, il faudra se demander si elle ne crée pas un risque (psychosocial ?) dissuasif sur les investisseurs, confrontés à une totale insécurité judiciaire et assujettis à des obligations contradictoires et impossibles à remplir…

Auteur

  • Nicolas C. Sauvage, Stéfanie Oudard