logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enjeux

« La qualité du dialogue social est un enjeu majeur pour l’Europe »

Enjeux | publié le : 30.04.2013 | VIOLETTE QUEUNIET

Image

« La qualité du dialogue social est un enjeu majeur pour l’Europe »

Crédit photo VIOLETTE QUEUNIET

Qu’attendent les employeurs des représentants du personnel ? Comment mieux collaborer en matière d’innovation sociale ? Une vaste enquête menée auprès de responsables RH dans 11 pays européens scrute les pratiques de dialogue social des entreprises. La thématique de l’innovation, notamment, n’est pas partout comprise de la même manière.

E & C : Vous participez pour la France à une étude européenne menée dans 11 pays sur le dialogue social comme instrument d’innovation. Qui est à l’origine de cette étude et quels en sont les objectifs ?

Aurélien Colson : Il s’agit d’une enquête à l’échelle européenne pilotée par le Neire (New European Industrial Relations), un réseau de chercheurs représentant des établissements universitaires de 11 pays européens. Pour la France, c’est l’Institut de recherche et d’enseignement sur la négociation, que je dirige à l’Essec, qui a été sollicité. L’objectif est de comparer les structures de représentation des salariés et les pratiques de dialogue social pour que chaque pays s’inspire des meilleures pratiques. L’étude actuelle constitue la seconde étape de l’enquête. La première a été menée dans huit pays européens en 2012 : la Belgique, le Danemark, l’Estonie, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Portugal, l’Espagne et le Royaume-Uni. Elle était tournée vers les représentants des salariés, pour analyser leurs attentes et leurs contributions en vue de relations de travail fluides et novatrices.

Cette seconde étude s’adresse aux représentants des entreprises. Ils seront interrogés sur leurs attentes vis-à-vis des structures de représentation du personnel. L’étude a été élargie à trois pays supplémentaires : la France, l’Italie et la Pologne. Elle donnera lieu à des synthèses par pays et à un ouvrage à l’échelon européen, avec une liste de recommandations visant l’amélioration du dialogue social. L’ensemble du projet a reçu un soutien financier de la DG Emploi, affaires sociales et inclusion de la Commission européenne.

E & C : Quelles seront les entreprises interrogées ?

A. C. : Dans chacun des 11 pays participants, une dizaine d’entreprises et d’organisations seront interrogées, réparties en plusieurs secteurs d’activité : la banque, l’automobile, l’agroalimentaire, l’énergie, l’enseignement supérieur. Le choix s’est porté sur des organisations exposées à l’extérieur, intervenant sur le marché européen, voire mondial, et qui ont des problématiques d’évolution, de changement, d’innovation, pour voir comment le dialogue social peut servir cette innovation. Les données qualitatives sont recueillies au cours d’entretiens approfondis de DRH et RRH. Ils donnent leur point de vue – et leurs propositions d’amélioration – sur les structures de représentation du personnel, sur les compétences des représentants du personnel et sur la notion de confiance dans le dialogue social. En outre, des données quantitatives sont collectées par le biais d’enquêtes en ligne. Enfin, des séminaires d’échanges seront organisés autour des premiers résultats.

E & C : Quel est l’enjeu de cette recherche ? Montrer, comme l’indique le titre de la recherche, que le dialogue social joue un rôle dans l’innovation ?

A. C. : Ce qui est intéressant, justement, est de voir comment les uns et les autres comprennent la thématique de l’innovation. Cela donnera lieu à des comparaisons intéressantes à l’échelle européenne. Dans certains espaces, la perception de l’innovation sera limitée aux problématiques de conduite du changement. Ailleurs, l’approche sera sans doute plus ouverte, les représentants du personnel étant perçus comme des acteurs de l’innovation dans l’entreprise, y compris stratégique.

Nous sommes dans une phase de reconfiguration économique et sociale profonde. La crise économique dure, elle a de graves conséquences sociales. Face à cette crise, il faut que les parties prenantes de l’entreprise innovent pour trouver les moyens d’un dialogue social plus fructueux.

Parmi les nombreux facteurs qui expliquent que certains pays, certaines entreprises s’en sortent mieux que d’autres, il y a la qualité du dialogue social. Prenons l’exemple de l’accord compétitivité de Renault, qui permet, en échange d’un certain nombre d’efforts des salariés, de récupérer des productions de Nissan pour alimenter le plan de charge d’usines en France. Dans une industrie soumise à une pression concurrentielle intense, il est vital de trouver un accord.

Ce qui est en jeu, c’est aussi la refondation du modèle social européen. Soit nous la réussissons collectivement, soit nous échouons et personne n’en sortira gagnant.

E & C : Ce besoin d’évolution du dialogue social est-il partagé par les acteurs ?

A. C. : Nous avons commencé l’enquête en mars et nous constatons un véritable intérêt pour le sujet et pour cette approche comparative. Les responsables RH d’entreprises sont preneurs d’un échange avec les entreprises d’un même secteur, c’est-à-dire de leurs concurrents, car ils se savent tous confrontés à une nécessaire évolution et ont tous à apprendre les uns des autres sur une meilleure manière de construire le dialogue social.

Ils ont besoin de comprendre ce qui le favorise mais aussi ce qui le bloque : est-ce un problème de structure ? de compétences ? La confiance n’est-elle pas suffisante ? En France, en particulier, cette notion est au cœur de la problématique : les partenaires sociaux ne se font pas suffisamment confiance.

E & C : De votre point de vue, l’accord national interprofessionnel sur la sécurisation de l’emploi, signé en janvier par les partenaires sociaux et transposé actuellement dans la loi, marque-t-il une avancée du dialogue social en France ?

A. C. : Il marque incontestablement une avancée. Pour son contenu, car il y a des points importants comme la représentation accrue des salariés au conseil d’administration des grandes entreprises, mais surtout pour la manière dont on est parvenu à cet accord. Il y a eu une négociation d’ensemble qui a produit un point d’équilibre accepté de part et d’autre, et que le gouvernement s’est engagé à reproduire dans la loi.

Cette évolution va dans le bon sens. Les logiques d’autorité et de pouvoir fonctionnent de moins en moins. Le pouvoir se parcellise. Les gens ne veulent plus qu’on leur dise ce qu’ils doivent faire. Ils veulent participer aux processus de décision et ils réagissent de manière de plus en plus violente lorsque ces processus les ignorent. C’est une évolution politique et sociétale majeure à laquelle le dialogue social ne fait pas exception.

PARCOURS

• Aurélien Colson est professeur associé de science politique à l’Essec, où il dirige l’Institut de recherche et d’enseignement sur la négociation (Irené Paris & Singapour).

• Il est l’auteur ou le coauteur de cinq livres, dont Méthode de négociation (Dunod, 2010, 2e édition).

• Les responsables RH souhaitant participer à la partie quantitative de l’étude peuvent le faire sur le site <www.dialogueatwork.eu/Survey/12/fr-FR>.

LECTURES

• Le Facteur 12 : pourquoi il faut plafonner les revenus, Gaël Giraud et Cécile Renouard, éditions Carnets Nords-Montparnasse, 2012.

• Qu’est-ce que négocier ?, Christian Thuderoz, Presses universitaires de Rennes, 2010.

• J’arrive où je suis étranger, Jacques Sémelin, Seuil, 2007.

Auteur

  • VIOLETTE QUEUNIET