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COMMENT TRAVAILLERONS-NOUS DEMAIN ?

Enquête | publié le : 16.07.2013 | VIRGINIE LEBLANC

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COMMENT TRAVAILLERONS-NOUS DEMAIN ?

Crédit photo VIRGINIE LEBLANC

Les technologies de l’information modifient toujours plus vite nos façons de travailler. Experts et DRH explorent pour nous l’avenir du travail : quelles transformations les organisations, les modes de management et le lien contractuel à l’entreprise vont-ils subir ?

Dans le préambule de leur ouvrage À quoi ressemblera le travail demain ?*, Sandra Enlart, directrice générale d’Entreprise & Personnel, et Olivier Charbonnier, directeur général du cabinet Interface et cofondateur de D-Sides, laboratoire d’innovation et de prospective, écrivent : « Lorsque nous travaillons, nous mobilisons nos amis et les amis de nos amis : plus nos réseaux sont larges, nombreux et bien entretenus, plus nous sommes efficaces. […] Plus nos réseaux sont actifs, plus nous avons de la valeur. Les recruteurs ne s’y trompent d’ailleurs pas, puisque c’est le premier critère de sélection… » Cet extrait d’une fiction du travail illustre bien une des incidences de la diffusion des technologies sur les critères de recrutement.

Nouveaux usages

Tous les spécialistes du marché s’accordent sur l’importance croissante des médias sociaux et de la mobilité dans le processus de recrutement (lire p. 22). Des tendances en lien avec les nouveaux usages des jeunes candidats. Ces derniers veulent pouvoir, sinon postuler, du moins consulter les offres depuis leur smartphone. La géolocalisation leur permet d’ailleurs d’identifier rapidement celles qui sont à proximité de chez eux. Entre autres utilisée par Thales, qui y a greffé de la réalité augmentée (lire l’article “Recrutement” p. 22), cette technologie devrait prendre son essor. À terme, certains prévoient également la disparition du CV au format PDF au profit du « profil ». « À l’horizon 2030, notre métier de DRH ressemblera à celui d’un chasseur de têtes dans un hub de compétences », prédit Laurent Choain, DRH du groupe Mazars et président du Cercle de la prospective RH, qui réunit quelque 200 membres, DRH et professionnels des RH, prospectivistes et cabinets de conseil.

Travail nomade

Mais les TIC transformeront le monde du travail dans son ensemble. Le rapport « Le travail et l’emploi dans vingt ans » de juillet 2011, présenté par le Centre d’analyse stratégique, aujourd’hui Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP), avait examiné cinq sujets : les motivations du travail, les relations d’emploi, l’organisation et le contenu du travail, les espaces et les temporalités du travail et de l’emploi.

« Les évolutions intervenues depuis deux ans ne nous ont pas démentis, commente Véronique Deprez Boudier, chef du département travail emploi du CGSP : davantage de travail nomade qui s’organise, des exemples d’exercice autonome des fonctions et des métiers, une manière de travailler différente qui va continuer d’évoluer sous l’influence des technologies de l’information et des smartphones. La question de la frontière vie personnelle-vie professionnelle est de plus en plus présente ainsi que le sujet de la mobilité, qu’il est fondamental d’aborder alors que de vraies résistances existent en France s’agissant de la mobilité territoriale. »

L’essor du travail nomade, c’est aussi une tendance anticipée par Olivier Charbonnier, pour qui l’entreprise « va devenir un lieu de travail et de ressources ». « Il est de plus en plus absurde de perdre une heure dans les transports et d’arriver dans un open space trop bruyant ou trop calme, surtout si c’est pour faire le même travail que celui qu’on aurait pu réaliser chez soi ou dans un espace de coworking. »

Flexibilité accrue

Le cabinet Form’a, qui a publié un cahier de prospective intitulé « Imaginative workplace 2013 », en collaboration avec le cabinet Les InnO’vents, décrypte un modèle d’organisation activity based. En clair, l’environnement de travail sera organisé par activité et les salariés utiliseront “à la carte” les lieux et les équipements de travail, en fonction de la variété de leurs tâches au cours d’une même journée. Le salarié du tertiaire deviendrait un « nomade intra ». Le « travailleur de l’information » n’aura pas de poste alloué, sa communication sera unifiée et la flexibilité du lieu et des horaires de travail sera la règle. Mais, en contrepartie, il disposera aussi d’espaces pour s’isoler, se concentrer, et même se détendre… (lire p. 25).

Ces bouleversements auront une forte incidence sur le management. « Le manager devra alors faire en sorte que le collectif fonctionne bien, il ne sera plus dans une position de juge ou de donneur d’ordre, prédit Olivier Charbonnier. Son rôle sera davantage d’animer ces nouveaux modèles de travail et de faire vivre à distance le travail collaboratif. » Pour Emmanuelle Léon, professeure de gestion des ressources humaines à l’ESCP Europe, « partir du postulat selon lequel un collaborateur rend des comptes à un manager unique dans une unité de temps et de lieu, c’est décrire un monde qui n’existe déjà plus dans bon nombre d’entreprises. » (lire p. 25)

D’autres formes de liens à l’entreprise

Corrélativement à ces évolutions se développeront d’autres types de mobilités professionnelles autour de démarches territoriales (lire p. 26) et d’autres formes de liens à l’entreprise. « De nombreuses personnes voudront garder le sentiment d’être libres, et se positionneront davantage dans une perspective “Je travaille car j’y crois”, avec une volonté d’autonomie par rapport à leur activité. Les salariés n’auront plus tant d’attachement à un lien de type CDI. L’entreprise sera un lieu où le salarié partagera un projet, dans une logique de plaisir, veut croire Sandra Enlart. En contrepartie, l’entreprise devra comprendre que le salarié mène d’autres projets à côté. »

Philippe Durance, enseignant-chercheur au Cnam et prospectiviste, constate déjà qu’à « un moment de leur vie, des personnes quittent le monde traditionnel de l’entreprise et testent d’autres formes de coopérations répondant plus à des projets personnels. Pour remotiver et redonner du sens, les entreprises ont recours par exemple à l’innovation participative, qui se développe beaucoup ».

La Société générale vient d’ailleurs de communiquer sur une expérience collaborative qui a associé l’ensemble de ses salariés dans le monde, autour d’une démarche de coconstruction pour réfléchir aux mutations en jeu sur les trois volets de sa transition numérique : les changements en matière de relations client, les évolutions de leurs conditions de travail et les impacts sur les systèmes technologiques. Le réseau social interne SG Communities a été le support de cette cogitation collective qui a produit plus de 1 000 idées, issues de 19 pays.

* Éditions Dunod, 2013.

L’ESSENTIEL

1 Internet a déjà bousculé les usages en matière de recrutement. Demain, les entreprises devront davantage développer des stratégies d’utilisation des réseaux sociaux et des terminaux mobiles.

2 Le télétravail et d’autres formes d’activité à distance changeront à la fois l’organisation de la journée et des espaces de travail. Ils continueront de brouiller la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle.

3 La croissance des mobilités professionnelles s’accompagnera de la recherche de nouveaux outils RH, notamment territoriaux.

LES JEUNES ENTRE INSTANTANÉITÉ ET SPONTANÉITÉ

La génération Z, née avec le Web 2.0, et la génération Y, née avec Internet, ont en commun une maîtrise hors pair des outils numériques. Quelles conséquences cela aura-t-il sur leur façon de travailler ?

« Selon les enquêtes et analyses menées par les auteurs de La Génération Y dans l’entreprise, la frontière générationnelle en entreprise n’existerait pas. Pour eux, rapporte Carine Dartiguepeyrou, responsable du programme « Transformation numérique » du think tank de l’Institut Mines-Télécom et de la Fondation Télécom, les trois seules caractéristiques que l’on peut brosser de la génération Y sont : l’autonomie, l’importance du groupe et l’instantanéité. Mais les nombreuses études récentes montrent que la génération Y ne se comporte pas de manière radicalement différente des autres générations lorsqu’il s’agit de mener des projets en entreprise. »* « C’est assez effrayant de parler de générations Z et Y…, estime Laurent Bibard, professeur au département management de l’Essec et ancien dirigeant de l’école. Il faut surtout écouter les jeunes générations. » Selon lui, les jeunes craignent le désaccord, et « si on leur dit que l’on n’est pas d’accord avec leur proposition ou leur travail, ils interprètent cela comme “Je suis mauvais” ». De plus, ils auraient du mal à se projeter dans une expérience longue, leur rapport au temps étant davantage fait d’instantanéité. « Ils sont vexés qu’on les fasse attendre, leur relation au temps est problématique », constate le professeur. En conséquence, pour les accueillir, les entreprises devront être attentives à la dimension émotionnelle et faire attention à distinguer la personne de l’action. Par ailleurs, « comme ils apprennent très vite, il sera très utile de les valoriser quand ils savent et de les utiliser là où ils sont compétents », ajoute Laurent Bibard. Autre élément à prendre en compte, ils n’ont pas confiance dans les autorités et les institutions, et ils se positionnent d’égal à égal avec leur supérieur.

* Chantal Morley, Marie Bia Figueiredo, Emmanuel Baudoin, Alice Hrascinec Salierno, La Génération Y dans l’entreprise, mythes et réalités, Pearson, 2012, cité dans Cahier de prospective, “Les générations et la transformation numérique de l’entreprise”, Fondation Télécom, Institut Mines-Télécom, mai 2013.

Auteur

  • VIRGINIE LEBLANC