logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

LES DÉMARCHES TERRITORIALES AU SECOURS DES DRH

Enquête | publié le : 16.07.2013 | LAURENT POILLOT

La sécurisation des carrières procédera par rapprochements d’employeurs et d’acteurs publics qui, sur un même bassin, trouveront intérêt à fluidifier le marché du travail plutôt qu’à financer des plans sociaux.

Inflation des contrats courts et à temps partiel, boom de l’auto-entrepreneuriat : de plus en plus souvent, les mobilités professionnelles coïncident avec le développement des formes atypiques d’emploi, dans un contexte de chômage record (10,9 % de la population active en mai).

« Le CDI représente 75 % de l’emploi salarié, mais seulement 25 % des créations d’emploi. Il est donc la forme normale du contrat de travail, mais pas forcément l’avenir », remarque Chantal Prina, chargée de mission à l’association Aravis, qui a mené plusieurs études de terrain sur ce sujet en Rhône-Alpes.

Cadre social stable

Dans les rares entreprises encore dimensionnées comme des marchés du travail, le sujet de la mobilité est assimilé aux enjeux de qualité de vie au travail. La Poste (243 000 collaborateurs, dont près de la moitié de fonctionnaires) s’y prépare.

Sa direction s’apprête à offrir deux changements professionnels dans une carrière et à développer le temps partiel choisi. « Notre modèle reste fondé sur l’emploi permanent à temps complet : la proximité vis-à-vis de nos clients, ainsi que les transformations auxquelles l’entreprise fait face, nécessitent un cadre social stable. Néanmoins, les attentes des salariés nous appellent à offrir plus de souplesse », glisse Dominique Bailly, directeur de la performance et de la prospective sociale du groupe La Poste.

Richard Duhautois, chercheur au Centre d’études de l’emploi, distingue différentes réalités suivant le cycle économique, le dynamisme des entreprises, les âges et la taille des établissements. Mais, d’une manière générale, « les mobilités externes concernent avant tout les jeunes et les moins qualifiés. Elles sont contraintes, soit par l’entrée dans le monde du travail, soit par l’effet du chômage de masse qui fait alterner les périodes chômées et d’emploi. » À l’inverse, selon lui, les mobilités internes sont assimilables à des promotions. « Elles concernent les techniciens qualifiés et les cadres appartenant à de grandes entreprises. »

Tester une reconversion

Si les employeurs réfléchissent à leur gestion des emplois, peu ont une approche des mobilités. Ils l’abordent pour réagir à des épisodes douloureux de PSE engagés dans des bassins d’emplois par ailleurs exposés à des pénuries d’emplois : « Les DRH auront de plus en plus besoin de se rencontrer régulièrement pour confronter leurs problèmes de postes à pourvoir et agir à plusieurs », anticipe Baptiste Dumas, dirigeant du cabinet Sirac, spécialisé dans l’accompagnement au détachement de personnels.

Les cellules qui seront mises en place à l’initiative des grandes entreprises seront, selon lui, à entrée permanente. Confiées à des intervenants extérieurs (CIBC, maisons de l’emploi, consultants RH…), elles permettront aux salariés de tout profil d’imaginer, sans injonction d’urgence, une reconversion dans une autre entreprise, en en testant la faisabilité. Les premières démarches qui remontent à la fin des années 1990 devront s’élargir aux PME, jusqu’ici plutôt hors champ.

À l’époque, de grandes entreprises ayant lancé leur PSE avaient échoué à replacer leurs salariés sur les autres sites distants : pas question, pour eux, de déménager. Ce fut le cas à STMicroelectronics, Salomon et Tefal. Ces entreprises ont stabilisé, depuis, des cellules d’accompagnement interentreprises dans l’idée de préserver un vivier de main-d’œuvre, localement. Les premières, créées en Rhône-Alpes, en Ile-de-France et en Paca, ont été surtout centrées sur le salarié, pour qu’il réalise son projet hors de l’entreprise.

Mutualiser les GPEC

Mais d’autres dispositifs interentreprises inciteront à mutualiser les GPEC. La loi Cherpion de 2011 sur la sécurisation du prêt de main-d’œuvre encadre mieux de telles initiatives, depuis que les pôles de compétitivité ont expérimenté des opérations de prêt de main-d’œuvre à but non lucratif pour leurs entreprises adhérentes, lors de la crise de 2008.

Ces initiatives restent cependant limitées en nombre d’entreprises et de personnes repositionnées. À Lyon, des sociétés le proposent depuis trois ans à leurs salariés, avec l’appui méthodologique d’Entreprise & Personnel (lire l’encadré p. 26).

La sécurisation des parcours est « un jeu à acteurs multiples », estime l’économiste Bernard Gazier, qui prophétise l’avènement des « marchés transitionnels », contre le dogme de la flexisécurité qui entretient, selon lui, une précarisation sociale. « Les carrières à vie supposent des mobilités organisées (passage d’une activité à une autre, formation, bénévolat…) : c’est à cette condition qu’on maintient la capacité d’autonomie des gens et qu’ainsi on les fidélise » à leur territoire ou à leur entreprise.

En attendant, les distinctions de statut donnent du fil à retordre dans les organisations, avertit Chantal Prina : « Les personnels externes – CDD courts, intérim, salariés de groupements d’employeurs – sont difficiles à appréhender. Ils ne sont gérés par personne en direct et n’ont pas vraiment de collègues ; le lien de subordination existe, mais ailleurs que sur leur lieu de travail. On peut s’interroger sur l’impact de ces formes de travail sur les conditions d’emploi, même si les parcours sont sécurisés. »

PLATES-FORMES DE MOBILITÉS : RETARD À L’ALLUMAGE

« Nous partons du principe que les gens ont besoin de respirer, pas forcément de partir. » José Félix, DRH d’Aldes (systèmes de ventilation), s’en est convaincu depuis trois ans, en lançant avec cinq autres DRH – de Gerflor, Bayer, Merial, Merck Serono, Orange et Domeo – le projet Alliance, qui consiste à offrir aux 10 000 salariés la possibilité de « voir ailleurs » sans risque pour leur poste. « Nous centrons notre démarche sur le salarié », souligne José Félix. Il peut tenter un stage de découverte, une formation, un détachement ou même un transfert dans une autre entreprise. Si le groupe a été aidé par Entreprise & Personnel (méthodologie), c’est la Maison de l’emploi qui reçoit les volontaires et coordonne les parties prenantes.

Les plates-formes se créent parfois pour les DRH eux-mêmes. C’est l’option qu’a choisie le cabinet Sirac, qui coordonne sept groupes RH dans les départements de Rhône-Alpes. « Le coût moyen pour monter un groupe et pour accompagner une vingtaine de salariés est de 30 000 euros par an », avance son dirigeant, Baptiste Dumas. Sur ce montant, près d’un tiers doit être pris en charge par les pouvoirs publics les deux premières années pour que le dispositif soit viable.

Les leviers sont classiques. Aux entreprises, une base de données sur les besoins de compétences. Aux salariés, bilan de compétences, bilan seniors, préparation à la VAE ou aide à la création-reprise d’entreprise. C’est ce que propose le pôle de mobilité régional (espace Mapp) de Provence Méditerranée aux salariés d’Avenir Telecom, STMicroelectronics, CMA-CGM, Lyondell Basell, Eurocopter et Gemalto. Une bourse d’offres d’emploi, consultable en circuit fermé, vient compléter l’ensemble des services.

Point commun de ces expériences : peu de salariés osent s’engager – et donc changer de situation. José Félix en convient. Mais ce n’est pas là l’essentiel, selon lui : « Il vaut mieux investir dans l’accompagnement que financer des PSE. »

L. P.

Auteur

  • LAURENT POILLOT