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« La reconnaissance intégrative des salariés permet d’augmenter leur productivité »

Enjeux | publié le : 17.09.2013 | PAULINE RABILLOUX

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« La reconnaissance intégrative des salariés permet d’augmenter leur productivité »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

Les salariés souhaitent être informés sur les orientations de l’entreprise et impliqués dans l’organisation de son activité. Cette « reconnaissance intégrative » est encore rare. Elle constitue pourtant l’un des principaux gisements de productivité, notamment par temps de crise.

E & C : Qu’entendez-vous exactement par “reconnaissance au travail” ?

Christophe Laval : À la suite de Jean-Pierre Brun, titulaire de la chaire Santé et sécurité au travail à l’université de Laval au Québec, je définissais au départ de ma réflexion la reconnaissance au travail selon quatre axes principaux : la reconnaissance existentielle du salarié en tant que personne, celle des résultats – la contribution de chacun à la performance de l’entreprise –, la reconnaissance des compétences techniques comme comportementales des individus, et enfin celle des efforts fournis par le salarié. Mon travail de conseil auprès des entreprises m’a cependant conduit à accorder une place de première importance à ce que Jean-Pierre Brun nomme la “reconnaissance intégrative”, c’est-à-dire au fait que, toutes catégories d’entreprises et tous secteurs confondus, les salariés semblent aujourd’hui demandeurs d’informations sur les orientations de l’entreprise et d’être entendus sur la manière dont le travail doit être accompli. Ils veulent être “intégrés”, pris en compte, impliqués dans la façon dont elle décline sa stratégie, bref, être partie prenante : une exigence non seulement raisonnable d’un point de vue social et humain, mais aussi économique, puisque c’est évidemment sur le terrain qu’on voit le mieux les optimisations apportées aux méthodes de travail. Cette reconnaissance intégrative permet, là où elle existe, d’augmenter de manière significative la productivité et la qualité du travail.

E & C : La reconnaissance ne coûte rien ou presque. Pourquoi les entreprises en sont-elles si avares ?

C. L. : Elles ont aujourd’hui trop tendance à se focaliser sur le coût apparent du travail en négligeant les coûts cachés. À une époque où les coûts de personnel sont souvent le premier poste de dépenses, négliger ceux du turnover, de l’absentéisme et, plus généralement, du désengagement est un fort mauvais calcul. Pour augmenter la performance des salariés, les nouvelles formes de management ont individualisé les conditions de travail et de rémunération sans se rendre compte que cela se faisait au détriment de la performance collective. Cela encourage souvent des comportements indésirables, chacun essayant de tirer au mieux son épingle du jeu au détriment des collègues, voire du client. Il faut manifestement retrouver un équilibre entre les intérêts individuels et l’intérêt collectif. D’autres facteurs sont cependant également à incriminer : l’inquiétude que la reconnaissance du travail ne bouscule les repères hiérarchiques, le fait que les entreprises négligent de consacrer du temps à donner du sens au travail ou encore le fait que le top management comprend rarement que la reconnaissance est un vecteur d’efficacité et donc qu’elle est à l’origine de la performance, et pas seulement une récompense de celle-ci. Emportées par le tourbillon de nouveaux objectifs, elles risquent d’ailleurs d’omettre ce point, puisque les indicateurs, notamment les indicateurs de résultats, ont la fâcheuse tendance à être pris eux-mêmes pour des objectifs qu’il faut sans cesse dépasser.

E & C : Cette non– reconnaissance du travail effectué est-elle une spécificité française ?

C. L. : Non, bien sûr, mais il faut reconnaître que certains traits culturels ou institutionnels français aggravent les choses. Les Français semblent particulièrement attachés à l’expression des différences hiérarchiques, de telle sorte que tout partage de responsabilité ou tout remerciement pour le travail accompli est ressenti comme une menace. Les chefs n’interviennent souvent que pour pointer ce qui ne va pas. Par ailleurs, le système éducatif français, qui formate les individus, est à remettre en cause, dans la mesure où il est exclusivement fondé sur le contrôle et la sanction des résultats individuels au détriment de l’encouragement, de la collaboration et du partage. Enfin, il faut souligner que, si les managers sont souvent de bons professionnels en ce qui concerne l’expertise technique, ils ne sont pas ou trop rarement formés au management. Diriger les hommes, ça s’apprend, et cela ne consiste pas simplement à savoir percevoir leurs manquements ou leurs erreurs, ni même d’ailleurs à leur fixer des objectifs. Non seulement ces managers devraient être convaincus par leur formation que la reconnaissance est créatrice de valeur, mais encore faudrait-il qu’ils aient un peu de marge de manœuvre pour faire autre chose que répercuter les objectifs de la direction générale auprès de leurs équipes. Actuellement, cette latitude d’action leur manque de plus en plus.

E & C : Concrètement, que pourraient mettre en place les DRH ?

C. L. : La valeur travail restant forte dans notre pays, il appartient au DRH de créer les conditions pour que celle-ci porte tout le potentiel de compétitivité qu’elle promet. Cela passe par la mise en place d’espaces-temps d’expression destinés à transmettre les orientations stratégiques de l’entreprise et à recueillir les idées des collaborateurs sur les manières d’optimiser la chaîne de valeur. Les solutions concrètes dépendant bien sûr du métier et de la culture d’entreprise, mais, autant que l’on puisse fixer des préceptes généraux en la matière, les DRH peuvent fournir à l’encadrement les méthodologies pour recueillir les expériences professionnelles des collaborateurs sur le terrain et celles qui permettent de rééquilibrer la donne entre la mesure de la performance individuelle et celle de la performance collective. Dans un contexte concurrentiel exigeant, il leur appartient de rappeler que la ressource humaine est l’un des principaux gisements de compétitivité et qu’un management de qualité participe à la création de valeur. À eux également de faire valoir le fait qu’à côté des exigences du court terme existe une perspective de construction sociale à moyen terme de l’entreprise, garante de la pérennité de sa performance. Ces objectifs qualitatifs de moyen terme doivent figurer parmi les objectifs du management.

E & C : Qu’en est-il de la reconnaissance dans les entreprises en difficulté ?

C. L. : Ce serait une erreur de considérer qu’une entreprise peut faire l’impasse de la reconnaissance du travail par temps de crise, sous prétexte qu’elle a d’autres chats à fouetter. Tout d’abord parce que c’est au sein de ses troupes que résident les principaux gisements de compétitivité, ensuite parce qu’il s’agit souvent du seul levier dont elle dispose pour motiver les salariés quand les contraintes monétaires se font trop pressantes. Il y aurait par ailleurs de l’aveuglement à ne pas anticiper que les crises sont inévitablement suivies de reprises. Il importe de se préparer à rebondir efficacement en menant une réflexion approfondie sur les éléments de mobilisation qui généreront la future performance économique.

PARCOURS

• Christophe Laval, après avoir occupé différentes fonctions de direction RH en entreprise et avoir été directeur général de l’association Entreprise & Personnel, est aujourd’hui président-fondateur de VPHR, cabinet international dédié à la reconnaissance au travail.

• Il est habilité par l’université Laval (Québec), formateur de formateurs en reconnaissance au travail et intervient à HEC Montréal.

• Il prépare actuellement un livre blanc sur le sujet de la reconnaissance au travail.

LECTURE

• Management d’équipe, 7 leviers pour améliorer bien-être et efficacité au travail, Jean-Pierre Brun, Eyrolles, 2013.

• Reprenons-nous ! Jean-Paul Delevoye, Tallandier, 2012.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX